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Comment le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, peut-il se féliciter déjà le 17 avril que " l'épidémie de Covid-19 en Allemagne est désormais sous contrôle et gérable " ? Arrogance teutonne ou réalité ? Le pays comptait le 30 avril, 6.288 morts selon le dernier décompte de Our World in Data, soit moins que les 7.501 morts belges, pour un pays de 80 millions d'habitants ! En comparaison, les pays européens les plus peuplés font pâle figure avec, le 30 avril, plus de 24.000 morts officiellement recensées en Espagne, France, Grande-Bretagne et Italie... Mais comment font-ils outre-Rhin pour aller jusqu'à accueillir des patients alsaciens et italiens alors que les hôpitaux italiens sont à saturation et les hôpitaux français du Grand-Est sont dans une situation comparable ? Plusieurs explications peuvent être avancées. Pas forcément celle des dépenses germaniques de santé en proportion du PIB. Elles sont en effet comparables à la France ou la Belgique (11,2% du PIB) mais toutefois supérieures au Royaume-Uni (9,8%), à l'Espagne (8,9%) ou à l'Italie (8,8%) selon des données récentes de l'OCDE. Les dépenses de santé par habitant offrent à l'Allemagne un léger avantage : 5.986 dollars par habitant contre 4.965 dollars en France et seulement 3.428 dollars en Italie. Il faut sans doute chercher dans les performances allemandes, des explications plus terre-à-terre. Tout d'abord, l'Allemagne dispose de bien plus de lits de soins intensifs que ses gros voisins : 6,02 pour 1.000 habitants contre seulement 3,09 en France et 2,62 en Italie, 2,43 en Espagne et 2,11 en Grande-Bretagne. Le vieillissement accéléré de la population allemande explique cette politique, partagée avec le Japon vieillissant (près de 8 lits intensifs/1.000 habitants dans l'Empire du Soleil levant). Le nombre de lits intensifs a même augmenté en Allemagne de 20% entre 2002 et 2017. Cette capacité en lits intensifs a encore été augmentée face à la crise pandémique de 28.000 lits à 36.000 dont 25.000 avec respirateurs, selon l'IGES Institut. Il faut dire que l'Allemagne produit elle-même les fameux respirateurs Dräger, une entreprise basée à Lübeck. Ce qui nous renvoie à la deuxième explication : l'industrie allemande. Ayant bénéficié d'usines flambant neuves après la Seconde Guerre mondiale puisque les Alliés avaient à peu près tout rasé, les Allemands ont conservé l'atout d'un taux d'industrialisation plus élevé. L'Allemagne n'a jamais délocalisé complètement ses capacités d'assemblage. Elle a pu ainsi reconvertir une partie en production de masques par exemple. La décentralisation de la politique de santé est aussi un facteur-clé. Là où la Belgique critique la dispersion des compétences en matière de politique hospitalière entre entités fédérées et État fédéral, les fameux Länder allemands, dont les compétences sont un peu comparables à nos Régions, semblent ne pas s'en plaindre, eux qui financent les dépenses d'investissement des hôpitaux. Bien qu'ayant globalement diminué leur contribution financière aux hôpitaux (de 3,64 milliards d'euros à 2,76 milliards en 15 ans), le budget global a augmenté si l'on additionne la part de l'État fédéral allemand. L'offre hospitalière est dense avec une multitude de petits hôpitaux autour des villes moyennes, pas toujours rentables malgré un financement à points censés les rendre plus performants. Autre avantage, fondamental, face à la pandémie, le dépistage. Comme en Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour1, l'Allemagne a rapidement testé les Allemands pour séparer les infectés des personnes saines. Nos voisins teutons vont prochainement passer de 500.000 tests par semaine à 200.000 tests par jour. La Belgique est très loin de cette performance, malgré les annonces de diverses équipes universitaires et du ministre De Backer. Comme les Tigres asiatiques, la république allemande a très précocement (dès la mi-janvier) testé les vacanciers qui rentraient des Alpes italiennes. Les personnes positives ont été mises d'emblée en quarantaine. Ceci tranche avec l'Italie qui n'a pas screené son importante communauté chinoise et la Belgique qui a laissé rentrer les vacanciers d'Italie sans aucun contrôle. En France, Emmanuel Macron s'est exclamé : " Le virus n'a pas de frontière "... En cas de pandémie, le contrôle des frontières (et non la fermeture) est un acte de salubrité publique un peu oublié par nos autorités, scotchées à la libre-circulation, pierre angulaire de la philosophie de l'Union européenne. L'Allemagne a aussi démontré qu'elle pouvait tester massivement ses citoyens sans les méthodes intrusives de la Corée du Sud. La pandémie aura pour vertu de tester nos systèmes économiques et sanitaires et faire le tri entre les systèmes qui s'adaptent le mieux et les autres. Qu'en comparaison avec l'Italie, l'Espagne et la France, l'Allemagne arrive en tête en matière de capacité d'adaptation n'est pas vraiment une surprise. En revanche, les mauvaises performances de la Belgique en nombre de morts par habitant alors qu'elle offre une qualité de soins et des dépenses de santé comparables à l'Allemagne sont plus interpellantes. Il sera nécessaire d'élucider cette question lorsque la crise sera passée. On peut d'ores-et-déjà pointer un retard à l'allumage en matière de rapidité de réaction et les pénuries en matière de moyens de défense contre la pandémie, tests et matériel de protection en tête mais aussi médicaments. 1. La deuxième vague pandémique actuelle serait circonscrite aux " cités-dortoirs " des travailleurs immigrés, selon les autorités qui parlent d'un virus d'importation. Rappelons que Singapour est une démocrature.