Fin septembre, le magazine Science a publié deux études qui établissent le lien entre la pathogenèse des cas graves de Covid-19 et les déficiences du mécanisme de l'interféron. Les résultats laissent entrevoir de nouvelles perspectives de traitement.
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Dans la première étude, les chercheurs ont analysé les prélèvements sanguins de plus de 650 patients hospitalisés dont le pronostic vital était engagé à la suite d'une pneumonie liée au Covid-19. Plus précisément, ils ont cherché des écarts dans 13 gènes qui exercent un contrôle sur l'interféron de type 1 et jouent donc un rôle crucial dans la défense du corps, contre le virus de la grippe par exemple, comme cela a déjà été étudié et publié. Les résultats indiquent que d'innombrables patients analysés portaient en eux des variantes rares au niveau de ces 13 gènes. Chez 3,5 % d'entre eux, un des gènes ne s'exprimait carrément pas .(1)La deuxième étude portait sur 987 patients, également atteints du Covid-19 et d'une pneumonie à risque vital. Les chercheurs ont constaté que plus de 10 % d'entre eux avaient fabriqué des auto-anticorps contre l'interféron de type 1. Dans certains cas, les auto-anticorps ont pu être décelés dans des échantillons sanguins prélevés avant la contamination du patient. Dans d'autres cas, ils ont été trouvés à un stade précoce de l'infection, avant que le système immunitaire n'ait eu le temps de réagir. Sur une population de contrôle de 1.227 personnes saines, quatre tests seulement ont été positifs. Parmi les patients atteints gravement du Covid-19 et présentant des auto-anticorps contre l'interféron de type 1, 95 % étaient des hommes .(2)Nous devons ces publications au Covid Human Genetic Effort (Covid HGE, www.covid.hge.com), un projet international impliquant actuellement 50 centres de génétique et des centaines d'hôpitaux à travers le monde, sous la supervision des chercheurs américains Jean-Laurent Casanova et Helen Su. Isabelle Meyts, immunologue pédiatrique, membre du personnel du service de pédiatrie de l'UZ Leuven, fait aussi partie du Comité de pilotage du Covid HGE. Elle est coautrice des deux publications. Creusons le sujet en sa compagnie. Le journal du médecin : des auto-anticorps contre les cytokines, voilà une notion nouvelle I.Meyts : Non, absolument pas. Les auto-anticorps contre les cytokines ont été découverts dans de nombreux cas de maladies auto-immunes et même comme phénomène de régulation naturelle. Le premier à avoir fait mention des auto-anticorps contre l'interféron de type 1 est le virologue français Ion Gresser, dans les années 80. Il a découvert que certaines personnes fabriquaient des anticorps contre leur propre interféron. Ses résultats n'étaient au départ accompagnés d'aucune corrélation clinique, mais par la suite, il a décelé ces anticorps chez un patient atteint d'un grave épisode de varicelle. La description la plus claire des auto-anticorps contre les cytokines concerne les patients atteints de polyendocrinopathie auto-immune de type 1 (APS-1). Ces patients présentent une mutation du gène AIRE (auto-immune regulator gene). Dans des circonstances normales, ce gène régule, dans le thymus, la sélection négative des lignées de cellules T qui peuvent provoquer des dommages auto-immunitaires. Chez les patients atteints d'APS-1, la sélection clonale montre des ratés, ce qui engendre la production d'auto-anticorps contre l'intérféron w, un sous-type d'interféron de type 1. Cette déficience a valeur de test diagnostique, mais les patients atteints d'APS-1 fabriquent tout de même un large éventail d'auto-anticorps contre les cytokines. On a ainsi découvert que l'infection chronique due à candida dont ils étaient atteints, était occasionnée par des auto-anticorps contre l'IL-17. Notons que la plupart des infections virales ne constituent pas une menace supérieure pour les patients atteints d'APS-1 que pour une population saine. Ce n'est qu'aujourd'hui, avec la crise du corona, que l'écart se creuse, puisqu'on a trouvé trois cas de patients atteints d'APS-1 ayant développé une forme très grave de Covid-19. C'est pourquoi la direction de notre consortium a décidé de vérifier, à l'inverse, la présence d'auto-anticorps contre l'interféron 1 chez ces patients gravement malades. Ce sont les résultats que nous venons de publier. Un argument supplémentaire pour affirmer que le Covid-19 n'est pas une simple grippe... En effet. Le fait que d'autres virus ne soient pas particulièrement dangereux pour les patients atteints d'APS-1, au contraire du Sras-CoV-2, montre que nous avons ici affaire à un virus très efficace. Le Sras-CoV-2 dispose d'une panoplie de protéines qui peuvent paralyser le fonctionnement de l'interféron. Ajoutez à cela la mutation du gène AIRE et vous obtenez des patients APS-1 encore plus sensibles au Covid-19. Il était normal que ces recherches incombent à Jean-Laurent Casanova, car ses laboratoires de l'Université Rockefeller et de Paris sont entièrement dédiés à la sensibilité interindividuelle de l'infection. A la base, l'étude se focalisait surtout sur les enfants, car les primo-infections surviennent particulièrement dans cette tranche d'âge, mais dans le contexte de l'épidémie de corona, on constate aussi énormément de primo-infections chez les adultes. Il est important d'ajouter qu'aucun auto-anticorps n'a été trouvé chez les patients atteints de formes modérées de Covid-19, mais bien dans les cas graves, chez les adultes et, comme l'indique le communiqué, surtout chez les hommes. Dans votre étude, des auto-anticorps ont été détectés dans des échantillons sanguins prélevés soit avant l'infection, soit dans une phase précoce de la maladie. Absolument. Chez deux patients, nous disposions d'échantillons prélevés avant l'infection. Ce n'est pas si étonnant. Le matériel biologique étant coûteux, il peut être judicieux, lors du prélèvement, de stocker le matériel dans une banque de sang, avec l'accord du comité éthique et du patient. Quoi qu'il en soit, la présence d'auto-anticorps avant le début de l'infection ou dans un stade précoce de la maladie nous permet raisonnablement de conclure que les auto-anticorps constituent la cause et non la conséquence d'une mauvaise évolution de l'infection. De plus, je peux vous annoncer que les résultats ont entre-temps été validés par une étude de cohorte non publiée à ce jour, pour laquelle existaient bien plus d'échantillons avant infection. Aux USA, la conservation des échantillons de chaque patient enregistré, aux urgences par exemple, est déjà devenue une habitude. J'ai aussi réalisé une étude sur une cohorte mondiale de patients atteints d'une immunodéficience primaire. Il en est ressorti que ceux qui n'avaient produit aucun anticorps connaissaient une évolution plus modérée du Covid-19 que les patients qui en produisaient encore, mais avec des déficiences. Les anticorps qui dévient de leur mission première, font donc plus de mal que de bien. Chez les patients Covid présentant une déficience ou un production inexistante d'interféron, on peut mettre en place un traitement par interféron exogène, comme l'explique le communiqué de l'UZ Leuven. Mais qu'en est-il des patients qui produisent des auto-anticorps contre l'interféron ? Plusieurs solutions existent. Il est ainsi possible d'éliminer les auto-anticorps par la plasmaphérèse, mais c'est une méthode très éprouvante pour des patients dans un état critique ou en passe de l'être. Une autre option est la paralysie des lymphocytes B qui produisent les auto-anticorps, à l'aide d'inhibiteurs de cellules B ou, encore mieux, d'inhibiteurs de plasmablastes. C'est une technique que nous utilisons également dans le contexte de la transplantation de cellules souches. Par le passé, nous avons déjà appliqué cette méthode chez des patients atteints d'anémie hémolytique. Cela fonctionne bien et rapidement, et cela permet de traiter le problème à la racine. Une troisième voie consiste à administrer un type d'interféron contre lequel le patient n'a pas d'anticorps. Nos recherches nous ont permis de découvrir que les auto-anticorps étaient fabriqués contre la plupart des types d'interféron conservés. On dénombre 17 sortes d'interféron de type 1, contre lesquels les patients ne fabriquent pas tous 17 opposants. Le défi est d'administrer les interférons à temps, au moment précis où la réponse de l'interféron est cruciale. Dans quels délais verrons-nous l'impact de ces résultats sur la pratique clinique ?Cela peut aller relativement vite. Quelques mois je dirais, en tout cas dans certains pays. Au sein du consortium, je dirige une taskforce qui s'apprête à promulguer une directive afin d'approfondir les découvertes de cette étude à l'aide de la recherche prospective. Nos deux études montrent qu'au total, près de 15 % des évolutions graves de Covid-19 sont dus à une réponse déficiente à l'interféron. Un chiffre non négligeable donc. C'est pourquoi nous entendons, entre autres, trouver un moyen, dans la pratique clinique, de mettre rapidement des tests à disposition, afin de détecter les déficiences concernées. Toutefois, dans un premier temps, il s'agit de montrer, par des études contrôlées contre placebo, que le traitement de ces déficiences est efficace et sûr. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Nos recherches constituent un remarquable exemple des bons résultats que l'on peut atteindre avec un consortium mondial. Je voudrais aussi attirer l'attention sur le fait que le premier et le dernier auteur des études (respectivement Paul Bastard/Qian Zhang et Jean-Laurent Casanova) sont des pédiatres. Un avantage pour les médecins chercheurs et pour notre discipline.