En combinant des modèles expérimentaux avec l'intelligence artificielle, une équipe internationale codirigée par le Pr Olivier Devuyst (UCLouvain) a élucidé les voies pathologiques à l'oeuvre dans une maladie génétique rare, la cytinose, et a découvert un traitement potentiel.
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La cystinose est une maladie génétique rare, "prototype des maladies lysosomiales de surcharge. Quand les lysosomes ne fonctionnent pas correctement, il y a une accumulation de déchets à l'intérieur des cellules, entraînant un dysfonctionnement cellulaire majeur et une atteinte progressive de différents organes", explique le Pr Olivier Devuyst, responsable de Louvain4Rare à l'UCLouvain et de l'Institut des maladies rares aux Cliniques universitaires Saint-Luc. "C'est le cas pour la cystinose, causée par une dysfonction d'un transporteur entraînant l'accumulation de cystine dans les lysosomes, qui se manifeste par une atteinte de la fonction rénale dès les premiers mois de vie et conduit souvent à une insuffisance rénale avant l'âge de dix ans. Par ailleurs, ces enfants développent des problèmes au niveau du système nerveux central, des yeux, du foie, des muscles..."Malheureusement, le traitement de la cystinose reste largement insuffisant. "Le seul traitement existant - la cystéamine, qui vise à diminuer la surcharge de cystine dans les lysosomes - est très pénible à prendre pour les enfants (au moins quatre prises par jour, mauvaise odeur, etc.), et ne corrige que très partiellement le problème. La plupart des enfants qui souffrent de cette maladie ont une mauvaise qualité de vie et une espérance de vie assez courte. Il y a donc un besoin urgent de trouver de nouvelles solutions thérapeutiques."Pourquoi avoir fait appel à l'intelligence artificielle? "Depuis une bonne dizaine d'années, notre groupe a développé une série de modèles pour mieux comprendre la cystinose, en partant du poisson zèbre (Zebrafish) jusqu'à la souris et au rat", répond-il. "Nous avons introduit le même défaut génétique dans ces trois organismes, couvrant plus de 350 millions d'années d'évolution. Les données générées par ces modèles ont ensuite été analysées sur la plateforme d'intelligence artificielle PandaOmics (Insilico Medicine, Hong Kong) pour identifier les voies métaboliques les plus affectées dans cette maladie, et donc les plus susceptibles d'être corrigées. Cette analyse a été complétée par une modélisation de l'effet de substances connues - en visant un repositionnement thérapeutique."Les chercheurs de l'UCLouvain et de l'Université de Zurich ont ainsi pu mettre en évidence une association causale entre la maladie et une activation anormale de mTORC1, une protéine conservée au cours de l'évolution et responsable de la détection des nutriments et du contrôle de la croissance et du métabolisme cellulaire. "Notre recherche a montré que le stockage de la cystine dans les lysosomes stimule l'activation de mTORC1, ce qui entraîne une altération de la différenciation et de la fonction des cellules tubulaires du rein. Cette voie est anormalement activée dans tous les modèles génétiques de la cystinose.""La plateforme d'IA et d'apprentissage automatique a intégré les données générées à partir de ces modèles animaux et de modèles cellulaires humains avec les éléments de la littérature et de nombreuses bases de données globales, pour générer une liste de principes actifs susceptibles de corriger les modifications métaboliques induites par ces mutations.""Et là, bingo!", se réjouit le chercheur. "Le premier médicament sur la liste, la rapamycine, un inhibiteur du système mTOR, est un immunosuppresseur approuvé et connu. Quand on a appliqué ce médicament aux différents modèles de cystinose, on a obtenu une réponse tout à fait positive avec correction des manifestations précoces de la maladie. Pour nous, cet effet bénéfique de la rapamycine est le point de départ d'un programme d'essai des inhibiteurs de la voie mTOR sur les différents modèles. Ces travaux pourraient déboucher assez rapidement sur une étude clinique, étant donné l'importance de cette cible thérapeutique dans différentes maladies."L'IA se révèle ainsi vraiment utile dans le processus de découverte de nouveaux traitements et, dans le cas présent, de repositionnement de médicaments connus. "Ce type d'approche, combinant à large échelle des données complexes générées sur plusieurs modèles et bases de données, permet de générer des listes de principes actifs, molécules nouvelles ou connues, qui peuvent ensuite être optimalisés en termes d'efficacité, de toxicité ou de pharmacocinétique. Ainsi, l'ensemble du processus de découverte de nouveaux traitements peut être considérablement accéléré par l'IA", précise le Pr Devuyst. Si le programme dont il est question ici est essentiellement axé sur le repositionnement, le groupe d'Olivier Devuyst s'intéresse également aux approches plus pragmatiques de type métabolique ou diététique. "Il faut savoir que le système mTOR peut être modulé par des approches comme le jeûne intermittent, le régime cétogène, certains compléments alimentaires..."Par ailleurs, "nous sommes déjà en train d'utiliser l'IA et l'apprentissage automatique pour développer des 'digital twins' - à savoir, des modèles purement digitaux basés sur des données biologiques complexes, permettant de tester très rapidement des librairies de composés pharmacologiques, sans passer par l'expérimentation. Ces "jumeaux digitaux" permettent d'économiser beaucoup d'animaux d'expérience. Ce dernier point est très important dans le cadre de la démarche des "3R": réduire, raffiner et remplacer à terme les modèles animaux", ajoute-t-il. "De plus, le développement de l'IA et sa capacité d'intégrer de multiples niveaux biologiques permettront d'identifier les personnes qui répondraient mieux à certains traitements, ou qui seraient plus susceptibles de développer des effets secondaires."Outre le fait d'ouvrir des possibilités proprement vertigineuses dans le domaine des nouveaux traitements et de la médecine de précision, l'IA établit de nouvelles passerelles entre biologistes, médecins et ingénieurs. "Cette approche interdisciplinaire est extrêmement prometteuse", estime Olivier Devuyst. "Pour un pays comme la Belgique, avec de nombreuses écoles d'ingénieurs, il y a une nouvelle capacité d'interaction entre ces métiers et ceux des sciences de la vie et de la médecine. Dans ce contexte, l'utilisation de l'IA et de l'apprentissage automatique comme technologies de brassage de larges banques de données et de génération d'algorithmes qui répondent à nos demandes peut aider directement les patients (dans le respect du RGPD, règlement général sur la protection des données)."