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Initialement rapportée uniquement dans les pays en voie de développement, l'hépatite E connaît depuis le début du siècle une progression rapide dans le monde occidental. Au-delà d'une meilleure détection des cas, la consommation de viande de porc ou de sanglier (mal cuite) est l'une des causes évoquées pour expliquer cette évolution. Il s'agit donc ici d'une zoonose, avec pour réservoir les porcs et leurs cousins sauvages. "C'est il y a une trentaine d'années que j'ai été confronté pour la première fois à l'hépatite E, chez des éleveurs de porcs", retrace le Pr Frederik Nevens (service de gastro-entéro-hépatologie, UZ Leuven), tout en précisant que la consommation de fruits sauvages contaminés par des sangliers peut offrir une autre piste d'explication. La maladie est très similaire à l'hépatite A, y compris en ce qui concerne sa symptomatologie et son décours habituellement bénin suivi d'une guérison spontanée. Les complications neurologiques, rarissimes chez les patients atteints d'hépatite A d'après la littérature, semblent toutefois sensiblement plus fréquentes en cas d'hépatite E. "Il est question le plus souvent de paresthésies ou d'une forme légère de polyneuropathie. Dans les cas les plus graves, on peut observer un syndrome de Guillain-Barré", précise le Pr Nevens. "Lorsqu'une hépatite virale est associée à des anomalies neurologiques, on parle d'un syndrome hépatoneural." La cause de l'atteinte neurologique reste jusqu'ici inconnue. Dans la littérature, les formes plus légères sont attribuées à l'infection de neurones par le virus de l'hépatite E (VHE). Le syndrome de Guillain-Barré serait par contre dû à une réaction immunitaire contre le pathogène. Le diagnostic de l'hépatite E repose sur la recherche de l'ARN viral dans le sérum ou les selles du patient ou sur la recherche d'anticorps spécifiques dans le sang. Le décours étant souvent bénin, l'infection ne nécessite généralement aucun traitement. L'hépatite E peut toutefois être plus sévère chez les patients sous immunosuppresseurs, par exemple après une transplantation ; chez ces personnes, il arrive même qu'elle se chronicise et provoque une cirrhose. Frederik Nevens: "On parle toutefois ici d'une immunosuppression extrêmement marquée. Le risque d'hépatite E chronique ne semble pas clairement accru après une greffe hépatique." Les patients qui ont bénéficié d'une transplantation cardiaque ou pulmonaire, par contre, sont plus sensibles à cette forme chronique. "Des formes graves d'hépatite E sont toutefois possibles même chez des sujets en bonne santé", poursuit l'expert. La veille de notre interview, il a encore été amené à examiner, aux urgences, une patiente infectée par le virus. "Une jeune femme de 35 ans environ, qui ne semblait avoir aucune raison particulière de contracter ce pathogène (si ce n'est peut-être une promenade en forêt) mais présentait une infection carabinée, avec un taux de transaminases de plus de 1.000 UI. Pour illustrer ce que je disais plus haut à propos du tableau clinique, elle mentionnait aussi des paresthésies."Il n'existe pas de traitements spécifiques contre l'hépatite E, mais la ribavirine s'est avérée efficace contre la forme chronique dans un certain nombre de cas. Aucun vaccin n'est actuellement disponible dans nos régions. L'hépatite D ou delta aussi fait beaucoup parler d'elle en ce moment. Le Pr Nevens souligne que notre expérience de ce virus n'est pas nouvelle, puisqu'il est connu depuis plusieurs décennies ; s'il suscite aujourd'hui un regain d'intérêt, c'est parce qu'un traitement spécifique semble pour la première fois se profiler à l'horizon. Le virus de l'hépatite D (VHD) a la particularité de ne pouvoir se multiplier qu'en présence de celui de l'hépatite B (VHB), ce qui explique qu'on ne le rencontre que chez les patients porteurs de ce dernier. La transmission peut survenir en même temps que celle du VHB ou chez un patient déjà VHB+ (transmission secondaire). Le principal mode de contamination dans notre pays est actuellement la consommation de drogues intraveineuses. Il y a quelques décennies, les médecins belges observaient régulièrement l'hépatite delta chez des immigrés italiens ; depuis, l'Italie a toutefois largement vacciné sa population contre l'hépatite B. Par la suite, l'accent s'est déplacé vers une population d'origine principalement albanaise et turque. À l'heure actuelle, dans notre pays, la co-infection est diagnostiquée surtout chez de jeunes migrants et réfugiés africains. Chez les patients qui souffrent d'une hépatite B chronique, l'infection par le VHD constitue un facteur de risque de cirrhose précoce. On suspectera une co-infection par le VHD lorsque le taux de transaminases et les paramètres inflammatoires restent perturbés alors que le virus de l'hépatite B est efficacement inhibé par les traitements et indétectable dans le sang. Un test PCR permettra alors d'identifier l'ARN du VHD. "Chez un certain nombre de malades, le VHD disparaît du sang lorsque le VHB voit sa virémie inhibée par un traitement adéquat, mais ce n'est pas toujours le cas", précise Frederik Nevens. Le seul traitement disponible à ce jour dans notre pays est le peginterféron - un médicament qui provoque malheureusement beaucoup d'effets secondaires et qui ne permet d'obtenir qu'un faible taux de réponse contre l'hépatite delta. Le bulévirtide, développé il y a quelques années, empêche le VHB et le VHD de pénétrer dans les cellules hépatiques, ce qui freine fortement la réplication du second. L'EMA l'a approuvé en 2020 dans le traitement de l'hépatite delta. "Les résultats de ce traitement ont été présentés lors du dernier congrès de l'EASL", commente le Pr Nevens. "Il n'est pas curatif - la virémie repart à la hausse dès l'arrêt de la prise - , mais il permet tout de même de garder la maladie sous contrôle. Le bulévirtide est disponible sous forme de flacons contenant une monodose de poudre, à injecter par voie sous-cutanée une fois par jour après dilution. Ce mode d'administration représente évidemment un obstacle dans des populations socialement vulnérables comme celle des migrants et des réfugiés, mais il n'existe actuellement aucune bonne alternative. On pourrait limiter l'usage de ce produit aux patients qui en ont le plus besoin, ceux qui présentent déjà un début de cirrhose... mais malheureusement, les données d'efficacité sont encore peu nombreuses pour ce groupe spécifique. Il faudra voir ce que décide l'Inami."