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Près de 40% des patients atteints de cirrhose développent une encéphalopathie hépatique. Ce marqueur témoigne d'une atteinte majeure du foie, puisque 60% des patients décèdent dans la première année suivant le diagnostic d'encéphalopathie hépatique. Ce tableau clinique peut également se greffer sur une hépatopathie aiguë. La composante centrale de la pathogenèse réside dans la défaillance de la fonction détoxifiante du foie: les substances neurotoxiques continuent de circuler dans le sang et finissent par atteindre le cerveau. La neurotoxine la plus importante est l'ammoniac, provenant principalement de la flore intestinale, mais il en existe bien d'autres. L'hypertension portale joue également un rôle dans l'apparition de l'encéphalopathie hépatique, car elle s'accompagne de shunts portosystémiques dans le sang: le sang contourne le foie, ce qui entrave encore un peu plus la détoxification. " De récentes données indiquent de surcroît que l'inflammation systémique qui s'associe aux atteintes hépatiques graves constitue une dimension supplémentaire de la pathogenèse", poursuit le Pr Van Steenkiste. Le tableau clinique se caractérise par des anomalies mentales et neuromusculaires. Dans certains cas, les symptômes sont clairs et prennent la forme d'une encéphalopathie hépatique déclarée. Le patient souffre de somnolence, d'une conscience amoindrie et d'une élocution lente. Très souvent, les symptômes se font néanmoins discrets et on parle alors d'une encéphalopathie hépatique minime. C'est d'ailleurs souvent la famille, et non le patient, qui constate les problèmes: changement de personnalité, vigilance et concentration en berne, angoisses. " Le défi est de pouvoir déceler cette forme minime chez le patients", concède l'intéressé. " Certains médecins ont tendance à attribuer les symptômes de l'encéphalopathie hépatique minime à une dépression déclenchée par la pression liée à la maladie chronique. Ce malentendu renvoie donc parfois le vrai diagnostic aux calendes grecques." Les deux formes d'encéphalopathie hépatique peuvent s'alterner. La forme déclarée peut, sous l'influence du traitement par exemple, devenir minime et, inversement, des symptômes discrets peuvent se muer en une forme grave. Les épisodes d'encéphalopathie hépatique sont déclenchés par une série de facteurs tels que la déshydratation, les troubles électrolytiques, l'infection, la constipation (avec une prolifération bactérienne dans l'intestin) ou des modifications quelconques du traitement médicamenteux en cours. Vu l'absence de symptômes spécifiques, le diagnostic d'encéphalopathie hépatique ne se pose pas aisément. Le dosage de l'ammoniac constitue une maigre indication pour la première ligne, car le résultat dépend du traitement rapide, à la bonne température qui plus est. Un des symptômes typiques lors de l'examen clinique, en tout cas dans la forme déclarée de la maladie, est l'astérixis. Pour déclencher celui-ci, on amène le poignet du patient en hyperextension. Au relâchement apparaissent des mouvements spontanés et rapides de flexion et d'extension, principalement bilatéraux. La forme minimale se révèle entre autres par des tests cognitifs et moteurs spécialisés, à l'instar du Number Connection Test, outil classique de la pratique clinique, qui voit le patient classer des chiffres dispersés sur une page, et ce par ordre croissant et en un laps de temps donné. " Si le patient atteint d'un trouble hépatique prend trop de temps à réaliser cette action, il faut envisager une encéphalopathie hépatique minime", poursuit Christophe Van Steenkiste. En cas de présomption d'encéphalopathie hépatique naissante, mieux vaut consulter un spécialiste. La première étape consiste à corriger d'éventuels facteurs déclencheurs. Le traitement repose ensuite sur le contrôle des symptômes. Les options thérapeutiques actuelles n'influent aucunement sur le trouble hépatique ou l'inflammation qui l'accompagne. Le traitement spécifique se résume surtout à garder le taux d'ammoniac sous contrôle. En première ligne, on prescrit ainsi du lactulose, un disaccharide à l'effet laxatif. Ce lactulose est métabolisé par la flore intestinale et fait baisser le pH de la lumière intestinale. L'ammoniac se transforme par là-même en un ion NH4+, beaucoup moins facilement résorbable. Si cela ne suffit pas, on ajoute au traitement des antibiotiques non résorbables, dans le but d'influer sur l'action de la flore intestinale et de diminuer l'inflammation systémique. " La rifaximine en est un bon exemple. Ce traitement joue non seulement sur les symptômes, mais de belles études ont en outre montré que le nombre d'hospitalisations pour cause d'encéphalopathie hépatique diminuait également sous son effet." Lors du suivi, il incombe de rester attentif aux fluctuations de la motricité fine et de la cognition. Certaines apps permettent au patient, mais surtout à ses proches, d'évaluer ces paramètres de manière sérielle dans le temps. En cas d'évolution défavorable, on cherchera des facteurs déclencheurs. En cas de besoin, la médication peut être augmentée. Enfin, si une crise ne peut être maîtrisée dans les 24 h, il faut envoyer le patient chez le spécialiste. Par ailleurs, un régime alimentaire adapté s'impose. Le patient doit ingérer suffisamment de protéines, afin d'éviter la dégradation musculaire, qui provoque souvent des taux d'ammoniac en hausse. Une autre option consiste à emboliser les shunts portosystémiques susmentionnés, s'ils sont présents en grand nombre à l'imagerie médicale. En cas d'atteinte hépatique grave, la transplantation du foie doit être envisagée. " Les troubles neurologiques propres à l'encéphalopathie hépatique ne disparaissent hélas pas complètement après l'opération", déplore l'hépatologue gantois.