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"La véritable révolution des soins de santé n'a pas encore eu lieu." C'est en ces termes forts que s'exprimait le mois dernier Julia Angeles, gestionnaire du fonds Worldwide Health Innovation au sein du groupe Baillie Gifford. Fort peu connu chez nous, ce gestionnaire d'actifs écossais, basé à Édimbourg, est réputé pour avoir une réelle vision de long terme. Un peu à la manière du fameux investisseur américain Warren Buffett, ses fonds conservent généralement leurs actions pendant de longues années. "Nous pensons en décennies, pas en trimestres", y déclare-t-on ainsi. Et qu'y pense-t-on plus précisément aujourd'hui au sujet du secteur médical? Qu'il est en train de connaître une vague d'innovations sans précédent, en particulier grâce à l'intelligence artificielle (IA, AI en anglais). Celle-ci va bouleverser les modèles d'entreprise en modernisant les soins aux patients et en accélérant le développement de nouveaux traitements et médicaments. "L'intelligence artificielle pourrait conduire à des percées dans la lutte contre les maladies aux issues mortelles comme le cancer, l'insuffisance cardiaque et la maladie d'Alzheimer", s'enthousiasme Julia Angeles, gestionnaire du fonds. Fort bien, mais comment? La gestionnaire avance les noms de deux entreprises à titre d'exemple. Basée à Salt Lake City, Recursion Pharmaceuticals exploite la puissance de l'IA pour découvrir et développer de nouveaux médicaments "en évaluant l'impact subtil des petites molécules lorsqu'elles sont administrées aux cellules". Recursion se définit notamment comme "décodant la biologie en y intégrant les innovations technologiques (...) pour industrialiser la découverte de médicaments". D'où son slogan The industrial revolution of drug discovery is here. Une action à acheter? Baillie Gifford n'est pas seul à le penser. Il faut dire que l'action est beaucoup moins chère que naguère, puisque son cours a été... divisé par sept en un an, chutant de 42 à 6 dollars! L'entreprise est cotée à la bourse technologique Nasdaq, où elle pèse un milliard de dollars. L'autre société évoquée par la gestionnaire du fonds est la britannique Exscientia, qui "construit de puissantes plateformes d'IA pour donner un sens à la complexité de la biologie humaine, afin de rendre la découverte de médicaments plus efficace". L'entreprise elle-même va un peu plus loin, car on relève parmi ses slogans Inventors of the World's first AI designed drugs to enter clinical trials. Également cotée au Nasdaq, cette entreprise a moins chuté en bourse que la précédente, n'ayant perdu "que" une bonne moitié de sa valeur depuis son sommet de l'automne 2021, à quelque 12 dollars. Fort optimistes à son sujet, les analystes qui suivent le titre tablent toutefois sur un doublement du cours. "Les deux entreprises s'attaquent à la complexité au lieu de la fuir, observe la gestionnaire. C'est une stratégie qui, selon nous, est susceptible de caractériser l'innovation au 21e siècle." Et ceci alors que la révolution technologique dans les soins de santé avait déjà été renforcée par la pandémie de Covid-19. "Au cours de l'année écoulée, nous avons assisté à la validation mondiale de nouvelles technologies comme l'ARNm, dont le fer de lance sont des entreprises comme Moderna, que nous détenons dans notre portefeuille depuis son introduction en bourse en décembre 2018." Notons à ce propos que l'action fut émise à 23 dollars, qu'elle ne bougea guère pendant une bonne année, avant de s'envoler en 2021 jusqu'à friser les 500 dollars en été. Elle a ensuite progressivement dégringolé en direction des 130 dollars actuels. "Au fil du temps", conclut Julia Angeles, "l'ARNm a le potentiel de devenir une plateforme technologique qui transforme nos propres cellules en mini-usines produisant des protéines pour soigner les cancers, les maladies auto-immunes et de nombreuses autres maladies chroniques et rares." Tel est le regard d'une gestionnaire d'actifs sur l'avenir de la médecine... C'est par le biais de la révolution numérique actuellement en cours que la maison Lazard, gestionnaire d'actifs basé à Paris et New York, a récemment abordé le secteur de la santé. Avec ce jugement global en guise d'introduction, plutôt sévère, on en conviendra: "Traditionnellement freiné par un environnement réglementaire intense et un état d'esprit intrinsèquement conservateur, le secteur de la santé est à la traîne en matière de progrès numériques par rapport aux domaines des communications, services financiers et produits de consommation, entre autres. Cependant, la situation évolue." Gestionnaire du fonds Lazard Digital Health, Ryan Hutchinson distingue plusieurs domaines que les investisseurs doivent suivre de près. D'abord, l'inévitable big data! Les données qui alimentent les applications numériques permettent de "découvrir des modèles qui dépassent parfois l'entendement humain". La découverte de nouveaux médicaments va particulièrement bénéficier du big data, en évitant les "tâtonnements laborieux" du passé. Mais malheur aux entreprises pharmaceutiques traditionnelles qui ne s'adapteront pas! Autre sujet: les diagnostics avancés. Les nouvelles technologies entraîneront une évolution spectaculaire vers les soins préventifs et le diagnostic précoce. Les dépenses liées à la prévention, qui ne représentent aujourd'hui que 5% des dépenses mondiales de santé, vont dès lors exploser. En utilisant les informations génétiques d'une personne, la médecine personnalisée "devrait connaître une croissance fulgurante", estime le gestionnaire. Il pointe notamment la thérapie CAR-T, qui donne de grands espoirs dans le traitement de la leucémie grâce à des récepteurs antigéniques chimériques. Ou encore l'outil baptisé Crispr, qui permet de modifier des fragments d'ADN. Les entreprises qui conçoivent ces thérapies ciblées occupent aujourd'hui le devant de la scène, mais les découvertes réalisées dans des domaines tels que la manipulation des gènes ou les thérapies cellulaires vont modifier le paysage pharmaceutique, avertit Ryan Hutchinson. L'amélioration du vieillissement est un autre domaine d'avenir incontournable. Avec cette amusante remarque médico-économique: "Même de légères hausses de la longévité, réparties sur les milliards de personnes dans le monde, représentent des centaines de millions d'années de vie supplémentaires et des centaines de millions d'années de consommation supplémentaires!" Le gestionnaire conclut que "les facteurs qui étaient jadis considérés comme des barrières à l'entrée du secteur de la santé sont aujourd'hui moins importants compte tenu de la numérisation et de l'accès à l'information. Ce nouvel environnement devrait uniformiser les règles du jeu pour les innovateurs, tout en incitant les acteurs établis à se réinventer."