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Établie en 1945, l'entreprise Würth a cru, sous la férule de Reinhold Würth qui perdit son père la même année à l'âge de 19 ans, de façon exponentielle, pour occuper plus de 80 000 personnes aujourd'hui et compter 40 filiales de par le monde. Elle est d'ailleurs le leader mondial des techniques de fixation. Son fondateur a très tôt développé une passion pour l'art, fonctionnant de façon spontanée, par goût, et non par courants ou écoles. Aujourd'hui âgé de 87 ans, cet entrepreneur a assemblé une collection extraordinaire de près de 18 500 oeuvres, principalement d'art moderne et contemporain, bien qu'il possède également une section dévolue au Moyen Âge. Elle est exposée dans l'ancienne église Johanniterkirche de Schwäbisch Hall (à 300 m de la Kunsthalle, ouverte en 2001 et évoquée plus loin), dont "La Vierge à l'Enfant et la famille du bourgmestre Meyer", de Hans Holbein le Jeune, est le point d'orgue. Le souci de Reinhold Würth a toujours été de faire partager son amour de l'art: la société possède notamment son propre orchestre philharmonique, soutient les écrivains (le prix Würth de la littérature européenne vient d'être remis à Annie Ernaux) et tente de sensibiliser ses employés et ses concitoyens à la culture (les entrées aux différents musées et expos sont gratuites). Localisé aux abords de la petite ville de Künzelsau (à côté de Öhringen, d'où il est originaire), le quartier général de Würth accueille, dans son hall principal, des expos temporaires (pour l'instant, l'oeuvre habitée par l'étrangeté d'Edita Kadiric) et propose, depuis le début des années 90, aux employés d'accrocher temporairement une oeuvre de leur choix, issue des collections, dans leur bureau voire... chez eux. Une initiative désormais populaire dans les grandes entreprises, mais révolutionnaire à l'époque. Cette volonté de remercier entre guillemets la communauté dont on est issu en y gardant son entreprise, d'y diffuser l'art, commune aux collectionneurs de cette très riche région d'Allemagne qu'est le Baden-Württemberg, ne se limite pas au seul quartier général de Würth, puisque 12 autres sites européens de la société possèdent leur propre espace d'exposition et proposent au public local des expositions basées sur des oeuvres issues, entre autres, de la collection. Bien évidemment, le coeur battant de celle-ci se trouve désormais dans un nouveau bâtiment, séparé du quartier général, mais situé sur le même site imposant, sobrement imaginé par l'architecte londonien David Chipperfield ; inauguré en 2020, le Museum Würth 2 se révèle aérien, translucide et donc lumineux, s'intégrant dans le paysage environnant qui accueille un parc de sculptures monumentales au nombre de 55, parmi lesquelles des oeuvres de Chilida, Tony Cragg, Markus Redl ou Georg Baselitz. De grands espaces sobres, neutres c'est-à-dire blancs, accueillent la première présentation éloquente d'oeuvres issues de la collection (elle sera renouvelée l'an prochain) dans une approche qui privilégie le dialogue souvent, parfois la thématique ou le courant, sans véritable fil rouge, à l'image du choix du coeur qui a toujours présidé la réflexion du collectionneur allemand au cours de ces soixante dernières années. Si Kiefer, Max Ernst, Baselitz, Hockney, Chilida, Toni Ungerer et Robert Jacobsen, sculpteur qui se lia d'amitié avec Reinhold Würth, sont très bien représentés dans la collection, l'exposition permanente accorde aussi beaucoup d'attention au mouvement pop au travers notamment d'une peinture et d'une sculpture de Roy Lichtenstein et d'une série de Warhol, lequel se voit dans la section "portraits", par l'entremise de son grand tableau "Friedrich II", confronté à une imposante "Femme fumant" de Botero. Subjugué par la technique de dessin réellement photographique de Robert Longo, Würth a acquis deux de ses grandes oeuvres, semblables en effet à des photos: l'un est la vue du festival artistique Burning Man dans le Nevada, l'autre la tête en gros plan d'un tigre "prise" au zoo de New York. Le goût du self-made-man allemand baguenaude du style Color Field pixellisé du Suisse Johannes Itten "représentant" les quatre saisons dans un quadriptyque, au fameux "Homage To The Square" de Josef Albers, qui lui fait face. Un espace est dédié au mouvement expressionniste Die Brücke, avec notamment une sublime description d'une forêt par Kirchner, une série de Beckmann ponctuée par deux Munch, dont son tout premier tableau représentant un paysage marin crépusculaire, daté de 1892. À l'image du Chirico de la fin, en 60, resucée de la bonne période dans les années 1910, ce premier accrochage propose une série de Picasso datant de la guerre (retour au cubisme) et de la fin, les moins intéressants (mis en regard de deux oeuvres de Georg Baselitz qu'il met en conversation plus loin avec l'abstraction colorée d'un Richard Mortensen), ainsi qu'un Magritte de 53, "Le domaine enchanté" (plus loin un autre du début, "L'âge des merveilles" de 1926), réplique de la fresque du casino de Knokke. Beaucoup plus internationales que d'autres collections d'art d'entreprises allemandes que nous verrons plus tard, celle de Würth donne à voir des représentants de la Nouvelle École de Paris, Serge Poliakoff notamment, ou qui lui sont liés comme Jean Dewasne, a la prescience du retour en grâce actuel de Vasarely et de la persistance de l'oeuvre, aussi lumineusement simple que somptueuse, d'Anish Kapoor. Au sous-sol, dans les deux salles reprenant les oeuvres délicates qui sont ainsi soustraites à la lumière naturelle, un remarquable petit tableau de la période bleue de Picasso, "La conversation", deux collages de Max Ernst détournant le classicisme de gravures à la Gustave Doré, et, entre autres, un Sisley et un Pissarro, voisins par le thème et le style, un détour par le Bauhaus avec Willy Baumeister, suivi enfin d'un tir groupé formé de Paul Klee, Miro et de quatre oeuvres de Fernand Léger. Il faut encore citer Jean Arp, présent avec un collage, et deux sculptures, celle d'Anthony Caro et d'Antony Gormley, et insister sur l'accrochage qui, constamment, met les oeuvres en conversation: le dialogue le plus fascinant est celui qui se déroule entre la très belle vue du port du Havre par Eugène Boudin face à la grande marine d'une simplicité et d'une lumière hopperienne d'Alex Katz, artiste américain né en 1927 et qui accède à la renommée sur le tard. Un artiste que l'on retrouve dans la Kunsthalle, de vingt ans l'aînée du musée, consacrée aux expositions temporaires située dans la petite ville voisine et épargnée de Schwäbisch Hall, que l'on croirait sortie de l'histoire du joueur de flûte de Hamelin. Le musée, qui s'intègre parfaitement dans le panorama de la ville à pans de bois en s'ouvrant sur celle-ci, accueille, jusqu'au début 2023, une exposition sur la thématique des loisirs dans l'art, basée uniquement sur des oeuvres (sculptures et peintures que Reinhold Würth amassent) tirées des collections. Ce qui démontre, si besoin l'était encore, l'étendue et la variété de celles-ci. On y croise notamment un jeu d'échecs signé Max Ernst, une photo de Michel Sima - média rarement représenté dans la collection - montrant Man Ray et Marcel Duchamp s'y adonnant, une autre de Michael Halsband représentant Warhol et Basquiat en boxeurs, des peintures de Bonnard, Kirchner ou Kupka, des sculptures de Tinguely ou de Robert Jacobsen, des dessins de Georg Grosz, de Toulouse-Lautrec, et des céramiques de Picasso illustrant la corrida. Face aux 2 600 m2 d'exposition, le visiteur reste subjugué à la fois par le nombre et la qualité des oeuvres de cette collection, et la fluidité avec laquelle la muséographie établit le dialogue entre oeuvres modernes et contemporaines.