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L'apnée du sommeil est une affection caractérisée par la survenue, au cours du sommeil, d'un nombre tout à fait anormal de pauses respiratoires (apnées) et/ou d'épisodes de respiration superficielle (hypopnées). La littérature en donne plusieurs définitions distinctes, mais il sera généralement question d'un problème pathologique en présence d'au moins cinq épisodes d'apnée ou d'hypopnée par heure de sommeil - une fréquence horaire connue sous le nom d'indice d'apnées-hypopnées (IAH). L'apnée du sommeil est un phénomène extrêmement courant. Des recherches épidémiologiques font état, dans la population adulte, de chiffres de prévalence d'au moins 24% chez les hommes et 9% chez les femmes. À l'échelon mondial, un milliard de personnes seraient concernées, dont 97% souffrent de la forme obstructive (le syndrome d'apnées obstructives du sommeil ou SAOS) et 3%, de la forme centrale. Il existe un lien étroit entre le poids corporel et le SAOS, parce que l'accumulation de graisses est susceptible de provoquer un rétrécissement des voies respiratoires supérieures. " En principe, le phénomène est réversible si le patient perd du poids", précise le Pr Johan Verbraecken (pneumologue et coordinateur médical du centre du sommeil de l'UZA). "Chez un certain nombre de sujets (15% environ), on observe toutefois un SAOS en l'absence de surpoids. Chez eux, la cause réside souvent dans un faible diamètre du pharynx, principalement sous l'effet d'une rétrognathie ou d'une hypertrophie des amygdales. Enfin, on peut encore citer le rôle des muscles chargés de maintenir les voies respiratoires en position ouverte au cours de l'inspiration, et en particulier du muscle génioglosse situé à la base de la langue. Une réactivité réduite à ce niveau peut également expliquer la survenue d'apnées obstructives chez des individus de poids normal." La prévalence du SAOS augmente avec l'âge, pour des raisons qui tiennent à une série de facteurs tels qu'une atrophie musculaire liée à l'âge, une diminution des réflexes (réveil moins rapide) et une moins bonne qualité du sommeil. Il existe également une différence entre les sexes: globalement, les femmes sont moins sujettes aux apnées, parce que le diamètre du pharynx est plus grand chez elles que chez les hommes. Après la ménopause, elles opèrent toutefois une manoeuvre de rattrapage sous l'effet d'une part de la diminution des taux d'hormones féminines (qui ont un effet protecteur contre le SAOS), d'autre part de la prise de poids qui accompagne fréquemment cette transition. Enfin, l'obstruction nasale est un autre facteur à ne pas perdre de vue: les sujets qui en souffrent ont logiquement tendance à respirer par la bouche, ce qui entraîne plus facilement un rétrécissement du pharynx. Dans la population générale, les apnées du sommeil ne provoquent des plaintes que chez une personne sur six. Les ronflements - généralement gênants surtout pour le conjoint - sont le problème le plus fréquemment rapporté à la consultation. Les patients se plaignent aussi d'une somnolence ou d'une fatigue en journée. Parmi les autres plaintes, on retrouve des troubles de la concentration, une tendance à fonctionner "en pilote automatique", des maux de tête au réveil, une nycturie, une transpiration nocturne et des réveils nocturnes accompagnés d'une sensation d'oppression dans la poitrine ne pouvant être expliquée par une cause d'ordre cardiaque. Ces symptômes ne sont pas présents chez la totalité des patients. Bien que la prévalence du SAOS augmente avec l'âge, la majorité des patients qui se présentent au centre du sommeil pour un examen ont la cinquantaine. " Cela s'explique probablement par la prise de poids un peu plus marquée que l'on observe souvent vers cet âge", commente le Pr Verbraecken. " On peut aussi supposer que le conjoint développe au fil du temps un sommeil plus superficiel et devient donc plus sensible aux ronflements du patient - qui, en cas de SAOS, ne sont pas réguliers mais au contraire saccadés et sifflants." Les apnées du sommeil s'accompagnent d'un certain nombre de complications, que nous passerons en revue ci-dessous d'une part parce qu'on peut s'attendre à ce qu'elles disparaissent - ou non - sous l'effet d'un traitement efficace, d'autre part parce que, dans une population de patients générale, elles peuvent être le signal qu'il conviendrait peut-être de rechercher un éventuel SAOS. L'apnée du sommeil accroît le risque de diabète de type 2 par le biais de la survenue d'une résistance à l'insuline. À l'inverse, un quart des diabétiques de type 2 souffrent également d'apnées, l'obésité étant le trait d'union entre les deux problématiques. Une autre complication possible est l'hypertension, qui sera résistante au traitement dans un petit groupe de patients. Certains sujets développent une hypertension strictement nocturne ou une absence de baisse des valeurs tensionnelles au cours de la nuit (qui s'élève normalement à 15%). Il est également fréquent qu'à plus long terme, une hypertension initialement nocturne s'étende également à la journée. 90% des hommes avec une hypertension résistante souffrent d'apnées du sommeil ; chez les femmes, cette proportion est d'environ 60%. Face à un patient qui présente une hypertension résistante, il sera donc judicieux de s'enquérir d'autres plaintes potentiellement associées à un SAOS. Un traitement efficace de l'apnée peut contribuer à améliorer l'hypertension. Chaque année, 1% des patients souffrira d'un épisode de fibrillation atriale incidente ; sur une période d'une dizaine d'années, la probabilité monte à 15%. Dans l'autre sens, la fibrillation atriale s'accompagne d'apnées du sommeil chez 50% des patients. Là encore, on peut donc parler d'un signal d'alarme. " Le patient ne présentera pas forcément un problème d'apnée du sommeil symptomatique, avec par exemple des ronflements ou des problèmes de fatigue", précise Johan Verbraecken. "Le risque de rechute après cardioversion électrique atteint toutefois 85% chez les personnes qui associent fibrillation atriale et apnées... et retombe à 45-50% après traitement de ces dernières, ce qui correspond au niveau observé dans une population générale sans apnées." Les apnées du sommeil provoquent une hypertriglycéridémie et une baisse du taux de cholestérol HDL. L'impact de la ventilation en pression positive continue (PPC, voir prochain épisode) sur ces troubles lipidiques est toutefois peu marqué, ce qui force à prescrire des statines, dont l'effet sur la dyslipidémie est deux fois plus puissant. La nycturie en tant que signal. En cas de SAOS, on assiste à une contraction puissante des muscles du thorax et de l'abdomen qui vise à lever le blocage des voies respiratoires. L'augmentation de la pression intrathoracique qui en découle provoque un stress au niveau de l'endocarde, avec à la clé une sécrétion de peptide auriculaire natriurétique (PAN) - une hormone qui favorise la diurèse et explique donc la nycturie qui accompagne les apnées du sommeil. Certains patients doivent se lever jusqu'à quatre fois par nuit pour uriner alors qu'ils ne souffrent ni d'hypertrophie de la prostate, ni de problèmes de vessie. " Ils sont souvent très étonnés de constater qu'un traitement efficace du SAOS fait également disparaître la nycturie", commente encore le spécialiste . "Au cours de l'anamnèse, la nycturie est l'un des éléments qui peuvent orienter le diagnostic vers un SAOS. Celui-ci sera fort probable chez un patient d'âge mûr qui souffre de nycturie." Il n'est pas clairement établi que l'apnée du sommeil puisse déclencher une démence. Chez les patients qui en souffrent déjà, le traitement de l'apnée semble toutefois en mesure de freiner la progression des troubles cognitifs. La prise en charge du SAOS dépendra de la demande du patient et de sa volonté d'accepter un traitement donné. Si ses plaintes évoquent un problème d'apnée du sommeil, il conviendra en première instance d'aborder avec lui son hygiène de vie et en particulier son poids corporel et sa consommation d'alcool (atonie musculaire) et de tabac (inflammation des muqueuses, qui favorise également l'obstruction). Il sera également indiqué de procéder à un examen de la gorge. Les observations peuvent être cotées au moyen de l'échelle de Mallampati (score de I à IV), développé à la base pour prédire la facilité d'intubation. À l'examen, on demandera au patient de tirer la langue le plus loin possible. L'évaluateur évaluera la visibilité du voile du palais, de la luette et des piliers amygdaliens ; plus elle est élevée, plus le score et le risque obstructif seront faibles. Un score supérieur ou égal à III signe un risque accru d'apnées du sommeil. Si l'anamnèse et l'examen clinique représentent une aide utile, ils sont peu fiables en eux-mêmes. Chez les patients (ou conjoints) qui se plaignent de ronflements gênants, d'une fatigue diurne et d'apnées, un examen spécialisé ne révélera finalement une apnée du sommeil que dans 50% des cas. " En présence d'une forte suspicion d'apnée, je plaide donc pour que la patient soit référé au laboratoire du sommeil, où des mesures objectives permettront d'évaluer la gravité réelle du problème", conclut le Pr Verbraecken. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le prochain épisode.