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82 intercommunales relevant de la tutelle de la Région wallonne ont été passé au crible par la Cour des comptes. Le rapport s'appuie principalement sur les comptes annuels (statutaires et consolidés) des exercices 2017 à 2019. On constate que les réviseurs d'entreprises n'ont pas été tendre avec les intercommunales, notamment en raison l'impact des rattrapages enregistrés en comptabilité générale sur la base du budget moyen financier (BMF) alors qu'il n'a pas encore été définitivement arrêté par le SPF Santé publique pour chaque année concernée. Suite à l'analyse de risques, 11 des 82 intercommunales sont identifiées comme financièrement risquées, dont six relèvent du secteur médico-social (soit près de 28% du secteur). "L'analyse sectorielle révèle en effet que ce secteur "médico-social" est plus exposé aux risques financiers en raison de la dégradation de la situation nette (fonds propres en diminution, parfois très bas, voire même négatifs) en raison de pertes reportées importantes et d'une sensibilité importante à l'endettement en augmentation", détaille Faska Khrouz, professeur ordinaire et titulaire des chaires de comptabilité générale et contrôle de gestion à la Solvay Brussels School of Economics and Management. "Dans plusieurs intercommunales hospitalières, l'endettement représente 80% des ressources utilisées."Une situation financière compliquée donc. Et même aggravée par un cercle vicieux: ces intercommunales hospitalières manquent d'argent, ont du mal à rembourser leurs dettes à long terme, et sont donc obligées de contracter de nouvelles dettes. "Le cash-flow après impôts étant nettement insuffisant pour assurer le remboursement de ces dettes à long terme, ces intercommunales doivent soit puiser dans leur trésorerie lorsque cela est possible, soit effectivement contracter de nouvelles dettes. Or, l'équilibre financier est déjà sérieusement menacé avec des fonds de roulement négatifs, une trésorerie négative, des pertes d'exploitation relativement importantes sur plusieurs exercices et une capacité d'autofinancement insuffisante nécessitant l'intervention de tiers."Le résultat de cette situation se retrouve en page 64 du rapport 1, où un tableau classe par niveau décroissant de risque financier les intercommunales sur base, notamment, de critères de risques financiers des indicateurs de trésorerie nette, de degré global d'endettement et de cash-flow (voir ci-contre). La Cour des comptes et Companyweb, spécialiste dans le domaine des informations d'entreprises en Belgique, estiment que l'Association intercommunale de soins et d'hospitalisation (CH Bois de l'Abbaye), le CHR de Huy et Isosl présentent un risque financier élevé. La Cour des comptes ajoute également le CHUP Mons-Borinage et le CHR de la Citadelle, mais tempère. Pour le CHUP Mons-Borinage, "le degré d'endettement moyen de 75% et le cash-flow positif permettent de financer la trésorerie nette négative". Concernant le CHR Citadelle, "le fonds de roulement net positif finance le besoin en fonds de roulement net positif". Les autres intercommunales hospitalières s'en sortent mieux, à l'instar de l'ISSPC, de Vivalia, du CHR Verviers ou de l'Association intercommunale de la santé de la Basse-Sambre (AISBS), co-gestionnaire du CHR Sambre et Meuse. Mais peut-on se fier à ce classement? "C'est un classement intéressant. Toutefois, on ne peut évaluer une intercommunale hospitalière sur la seule base de ces critères pris isolément (trésorerie nette, degré global d'endettement et cash-flow, ndlr) ", répond le Pr Khrouz . "En réalité, certaines de ces intercommunales hospitalières sont effectivement dans une mauvaise posture parce qu'elles font face à plusieurs difficultés mentionnées plus haut (capitaux propres faibles, dettes, cash-flow insuffisant). Mais une intercommunale qui n'a qu'un problème d'endettement et qui dégage des capacités d'autofinancement pour rembourser les dettes et prendre en charge les intérêts peut parfaitement se redresser. De même, une intercommunale qui rencontre un problème ponctuel de trésorerie et qui n'est pas très endettée et qui enregistre des bonis importants peut parfaitement renflouer sa trésorerie."Un exemple de la limite du tableau: le cas de l'AISBS. Selon la Cour des comptes, l'association s'en sort bien, même très bien. Mais en grattant, on se rend compte que l'intercommunale risque la liquidation. L'intercommunale gère deux MRS, à Fosses-la-Ville et Mettet. L'évolution financière défavorable de l'AISBS a poussé certaines communes à quitter l'association, et d'aucuns se questionnent quant au futur de l'AISBS. Son salut? Elle est l'entité juridique qui permet aux représentants communaux de la Basse-Sambre d'avoir voix au chapitre dans la gestion du CHRSM (cogéré par l'AISBS et le CPAS de Namur). Entité dont l'avenir ne se situe pas forcément dans le giron public par ailleurs, puisqu'un partenariat public-privé pourrait voir le jour suite au retrait annoncé de la Province de Namur de la gestion des hôpitaux, dont le CHRSM. Solidaris et la Mutualité chrétienne sont sur la balle, mais les négociations pourraient durer. Ce sac de noeuds prouve que gérer une intercommunale hospitalière est complexe. De plus, la complexité du système de financement et la problématique des rattrapages du BMF compliquent la tâche des gestionnaires. Le Pr Khrouz estime effectivement que "les intercommunales hospitalières à haut risque financier souffrent souvent de problèmes de gestion et, à titre d'exemple, d'organes d'administration pléthoriques et pas nécessairement professionnels. On constate dès lors un mauvais pilotage, mais également une mise en place de systèmes de financement de leurs investissements peu appropriés et adaptés."Dès lors, le modèle de gestion de l'intercommunale est-il toujours le bon? "Il est possible d'imaginer et de concevoir des systèmes plus adaptés", répond Faska Khrouz. "Il me semble cependant que si ces intercommunales pouvaient déjà se professionnaliser en matière de gouvernance et d'organisation, notamment au niveau de leurs conseils d'administration et de leur comités exécutifs constitués par exemple du duo classique de médecin directeur et de gestionnaire, cela pourrait déjà être un premier pas dans la bonne direction. Ces CA sont souvent constitués d'un très grand nombre d'administrateurs qui représentent d'abord les communes qui les ont mandatés et ne font pas nécessairement preuve d'affectio societatis vis-à-vis de ces intercommunales. Ils ne s'appuient pas non plus nécessairement sur des comités spécialisés comme il doit en exister dans des entreprises privées de grande taille: des comités d'audit, des comptés de rémunération, des comités de suivi stratégique, etc. Outre cet aspect de CA, il arrive, lors de successions à la tête de certains services importants que des postes de responsabilité soient confiés à des adjoints qui, parfois, ne sont pas nécessairement versés dans les matières couvertes par ces services. Et je n'évoque ici que deux aspects, parmi plusieurs, susceptibles de poser problème."