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"C e qui est certain, c'est que les inhibiteurs du CGRP sont des traitements sûrs à court et à moyen terme", précise d'entrée de jeu le spécialiste . "En ce qui concerne la sécurité à plus long terme, il semble préférable de réserver encore un peu nos conclusions définitives, mais les données cliniques sur une période de cinq ans laissent entrevoir des perspectives positives." Les inhibiteurs du CGRP agissent aussi plus rapidement que les traitements préventifs classiques contre la migraine, et ils sont mieux supportés. La question de savoir si les inhibiteurs du CGRP permettent aussi d'obtenir un meilleur taux de réponse, par contre, n'est pas vraiment tranchée. Une seule étude réalisée en Allemagne a comparé l'érénumab au topiramate - dans le cadre d'un excellent protocole de recherche avec double feinte, précise Jan Versijpt. Les patients ont reçu soit un comprimé placebo + de l'érénumab s.c., soit une injection placebo + du topiramate par voie orale. Le critère d'évaluation primaire était la tolérance. " Dans cette étude, c'est l'érénumab qui s'est avéré supérieur, avec seulement 10% d'abandons pour cause d'effets secondaires contre 30% avec le topiramate", poursuit l'expert bruxellois. " C'était assez prévisible, car nous savons qu'il y a un sous-groupe de patients qui ne supportent pas bien le topiramate." En ce qui concerne le critère d'évaluation secondaire, l'efficacité, les répondeurs étaient également plus nombreux dans le groupe érénumab que dans le groupe topiramate. " Sur ce plan, j'ai tout de même quelques réserves", commente le Pr Versijpt. " Ces résultats découlaient en effet d'une analyse en intention de traiter. Ils ont donc aussi pris en compte les patients qui ont abandonné prématurément l'étude en raison d'effets secondaires, ce qui joue évidemment en la défaveur du topiramate pour les raisons que je viens d'évoquer. À mon sens, il aurait fallu évaluer l'efficacité en comparant les patients qui ont pris le traitement jusqu'à la fin de l'étude. Cette analyse est d'ailleurs en cours, mais ses résultats ne sont pas encore connus." " Indépendamment de cette étude, la majorité des spécialistes des céphalées - moi-même inclus - s'accordent néanmoins à dire que les inhibiteurs du CGRP sont effectivement plus efficaces que les traitements classiques en prévention de la migraine. Il est toutefois très difficile de classer les médicaments par ordre d'efficacité dans ce domaine spécifique, ce qui s'explique en grande partie par le fait que les essais cliniques réalisés à ce sujet sont confrontés à un effet placebo particulièrement marqué. Un placebo permet souvent déjà d'abaisser le nombre de jours de céphalées de six à sept jours, auxquels les vrais traitements préventifs ajoutent deux ou trois jours supplémentaires. Le bénéfice est bien réel, mais la marge est assez limitée pour démontrer la plus-value d'un produit donné par rapport à un autre en comparant entre elles des études contrôlées par placebo." Le phénomène des super-répondeurs - des patients qui réagissent spectaculairement bien au traitement - a suscité un grand intérêt surtout juste après le lancement des inhibiteurs du CGRP. " Et nous voyons effectivement des cas de ce type dans notre pratique quotidienne", confirme Jan Versijpt . "Il s'agit toutefois d'un groupe assez limité et dont on peut se demander s'il est vraiment plus important avec les inhibiteurs du CGRP qu'avec les traitements classiques. C'est difficile à établir, car les études plus anciennes ne prévoyaient pas d'enregistrement distinct des super-répondeurs."" C'est du reste une considération que l'on peut élargir à l'ensemble des traitements préventifs de la migraine. Les inhibiteurs du CGRP sont les traitements les mieux étudiés dont nous disposions dans ce domaine, parce qu'ils ont fait l'objet dans un passé récent de travaux détaillés reposant sur une méthodologie de qualité, réalisés par quatre entreprises. À titre de comparaison et même si personne ne conteste leur efficacité préventive contre la migraine, l'utilisation des bêta- bloquants dans cette indication repose sur des études réalisées dans les années 70 et 80, souvent dans des populations très limitées. C'est pour cette raison qu'on ne peut pas légitimement affirmer que les inhibiteurs du CGRP n'ont pas démontré leur supériorité sur certains points. Comparer des études anciennes et plus récentes, c'est un peu comparer des pommes et des poires. Mettre sur pied des études de comparaison directe pour toutes ces classes de produits serait toutefois une entreprise titanesque... d'autant qu'un nouveau groupe de traitements préventifs contre la migraine se profile déjà à l'horizon avec les gépants." Les gépants sont également des inhibiteurs du CGRP ou plus précisément des antagonistes des récepteurs du CGRP, mais il s'agit cette fois non pas de protéines monoclonales mais de petites molécules ( small molecules). Ils ont initialement été développés vers l'an 2.000, mais leur mise au point a été interrompue en raison d'une unique étude indiquant une toxicité hépatique. À l'époque, on a supposé que celle-ci concernait l'ensemble de la classe... mais il s'est avéré par la suite qu'elle était liée spécifiquement aux métabolites de la molécule étudiée. Entre-temps, l'attention s'était toutefois déplacée sur les anticorps monoclonaux inhibiteurs du CGRP, qui sont métabolisés non par le foie, mais par le système réticulo-endothélial. Le développement des gépants a aujourd'hui repris. Plusieurs molécules de cette classe ont déjà reçu l'approbation de la FDA et l'une d'entre elles, le rimégépant, a également reçu le fiat de l'EMA. " Ce médicament fait en quelque sorte le lien entre antalgie et prévention, puisque nous avons des preuves à la fois d'une action sur la douleur lors des crises aiguës et d'un effet prophylactique en cas de prise quotidienne", précise le Pr Versijpt . "Il en découle que cet antalgique ne contribue pas à chroniciser les céphalées en cas de consommation excessive (céphalées médicamenteuses), puisqu'une prise quotidienne est associée à un effet préventif. À titre de comparaison, il est généralement admis que les triptans - la seule autre classe d'antalgiques spécifiquement destinée au traitement de la migraine - provoquent des céphalées médicamenteuses lorsqu'ils sont utilisés plus de dix jours par mois." Il n'existe actuellement aucune preuve que les gépants seraient plus efficaces que les anticorps monoclonaux. Néanmoins, ces derniers restent présents dans l'organisme durant plusieurs mois, alors que les gépants disparaissent en l'espace de quelques jours - un facteur qui peut évidemment avoir toute sa pertinence chez les femmes qui envisagent une grossesse. " Une nouvelle option thérapeutique représentera toujours une plus-value pour certains patients", conclut le Pr Versijpt. " Vu sous cet angle, l'avènement des inhibiteurs CGRP a marqué le début d'une nouvelle ère passionnante pour les spécialistes des céphalées. Nous pouvons désormais proposer à nos patients un nouveau produit spécifiquement développé pour le traitement de la migraine, bien supporté et avec lequel ils se sentiront bien voire très bien."