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Dr Pierre Philippet: Dans le rapport du KCE, il y a énormément de choses... L'hospitalisation à domicile est à mon avis une notion mal comprise. C'est la raison pour laquelle, dans ce rapport du KCE, ils parlent davantage de "soins transmuraux". C'est une problématique très sensible du côté de la médecine générale. Cette évolution est inévitable dans la médecine, que ce soit pour les adultes ou les enfants. On essaie de sortir les enfants de l'hôpital le plus vite possible et de leur assurer des soins qui ne sont pas forcément nécessaires pour autant qu'il y ait une structure de soins adéquate. Donc mettre en place des soins transmuraux, c'est totalement nécessaire. Mais la question est de savoir comment. Il y a une grosse différence en fonction des pathologies. Il y a les pathologies lourdes (oncologie, pathologies digestives graves nécessitant une alimentation artificielle, ...) qui nécessitent une expertise importante. Et puis il y a toute une série de soins "courants" comme des antibiothérapies à domicile, des maladies de Lyme qui n'ont pas besoin d'une technicité particulière autre que la spécificité pédiatrique. La question est la place des uns et des autres. Le KCE analyse plus à fond trois modèles: français, australien et hollandais. Qu'en retenir? On voit qu'il y a de grandes diversités dans ces modèles. Ceci tient au fait que les systèmes de santé dans ces pays ne sont pas les mêmes. Il faudra donc "inventer" quelque chose pour la Belgique dont l'approche pédiatrique est différente de ces pays. Le KCE pointe accessoirement un problème à domicile: la pénurie d'infirmières spécialisées à domicile... La pénurie d'infirmières touche également les hôpitaux. Ça fait partie des commentaires envoyés au KCE lorsqu'ils nous ont présenté les résultats préliminaires du rapport. Ceci ne ressort pas assez dans le rapport, à mon avis: en réalité, la pénurie d'infirmières spécialisées en pédiatrie est un problème majeur! Le gouvernement doit mettre en place des incitants pour que les infirmières aient envie de se spécialiser en pédiatrie! J'enseigne auprès d'elles... Eh bien, elles n'ont aucun intérêt financier à se spécialiser puisqu'elles gagnent la même chose si elles demeurent infirmières non spécialisées. Concernant les compétences de celles susceptibles d'intervenir à domicile, ici (au CHC MontLegia, ndlr), nous avons une fonction de liaison, à savoir des infirmières au sein de nos services et qui vont former des infirmières à domicile. Cela permet de pallier ce manque de technicité dans les équipes actuelles d'infirmières à domicile. Elles seront formées à faire par exemple des soins de stomie, etc. Pour revenir aux exemples étrangers, je me suis intéressé davantage au système hollandais qui propose des coopératives privées d'infirmières et de soignants à domicile... Ce serait possible, cette forme de "privatisation"? Des exemples existent déjà en Belgique. Pour des enfants à déficit immunitaire et qui ont besoin d'une substitution immunoglobuline par voie sous-cutanée, différentes firmes productrices financent des services de soins à domicile structurés. Ce type d'entreprise assure une partie de l'éducation du patient et la livraison du matériel mais se paie sur celle fournissant l'immunoglobuline. Privatiser certaines choses permet d'avoir des structures ayant la technicité nécessaire. Mais il faudra les payer. Le KCE fait mention du fait que les réseaux hospitaliers feraient partie de la solution... Les réseaux n'ont pas de lien direct avec les soins transmuraux. Il s'agit d'un projet de répartition des tâches entre des soins pédiatriques plus spécialisés et "de base". À cet égard, il y a une grande discordance entre, d'une part, les réseaux hospitaliers imaginés par Maggie De Block et actuellement mis en place et, d'autre part, les "réseaux de pédiatrie" qui figuraient dans l'arrêté royal de 2014. L'overlap géographique entre ces derniers et les réseaux hospitaliers est important. Les réseaux pédiatriques imaginés en 2014 se basaient sur des centres tertiaires (capables d'assumer l'ensemble des soins pédiatriques, y compris les soins complets et intensifs) qui entraient en contact avec les centres secondaires qui n'avaient pas de service de pédiatrie pour assurer une couverture pédiatrique sur toute la Belgique. Ces centres existent déjà. Le CHC ici à Liège est un centre tertiaire pédiatrique de ce type. Une coordination est possible actuellement entre ces centres et des centres n'ayant pas forcément la fonction de liaison... Si on devait procéder par étape, on devrait commencer par certaines pathologies plutôt que d'autres? Et quelles seraient-elles? Difficile de répondre à cette question d'emblée. Le rapport du KCE parle de mettre en place des projets pilote (...) mais il y a tout le champ des soins banals qui pourraient se faire à la maison plutôt qu'à l'hôpital. Ceci devrait être disponible partout en Belgique. Pour les pathologies complexes et la fin de vie, il faut les concentrer sur quelques centres et les six fonctions de liaison existantes. Pour les soins plus basiques, il y a lieu de mettre en place une structure différente, disponible un peu partout, plus proche de l'hôpital et en lien avec la médecine générale et la pédiatrie générale à proximité des patients. Au niveau des pédiatres, êtes-vous suffisamment staffés pour vous engager dans une optique transmurale telle que recommandée par le KCE? De nouveau, cela dépasse largement les soins transmuraux. Les quotas de médecins censés être appliqués en 2027 sont totalement insuffisants. Si on applique ces quotas-là, c'est une véritable catastrophe. Il faudra engager des pédiatres roumains et étrangers car on ne pourra plus assurer le travail. En FWB, en 2027, ils prévoient en tout et pour tout 15 assistants pour entrer en formation! C'est intenable! Surtout pour la mise en place de soins transmuraux... Même dans les actuels petits centres, il n'y a pas suffisamment de pédiatres. Pourrait-on déléguer aux médecins généralistes (eux-mêmes plutôt très occupés) certaines tâches pour vous "libérer"? Nous avons eu des discussions à ce sujet avec des associations de médecins généralistes. On bute sur la formation en médecine générale qui est insuffisante, encore plus depuis le passage à six ans. La majorité des jeunes MG qui sortent maintenant de l'université ne se sentent absolument pas à l'aise pour s'occuper des très jeunes enfants (jusqu'à deux ou six ans). Les associations de MG ne se sentent pas prêtes. À moins de le faire via l'ONE... Donc le problème n'est pas la volonté ou non, mais la formation insuffisante. Il leur faut une formation complémentaire au sein du cursus de médecine générale.