...

Qu'est-ce que la littératie en santé digitale? C'est la capacité à trouver des informations en matière de santé dans les sources numériques, à les comprendre, les évaluer et les utiliser, et à formuler et exprimer des questions, des opinions, des pensées ou des sentiments en utilisant des outils numériques. "Il faut faire attention à la fracture numérique parce que cela risque de se traduire par un manque d'accès aux soins de santé. C'est un défi pour l'Union européenne", a souligné Luc Van Gorp, président de la MC et du Collège intermutualiste national (CIN), lors de la conférence sur la "Littératie en santé digitale en Europe" organisée par le CIN, en collaboration avec Sciensano, l'AIM, le KCE et l'Inami [1]. "Alors qu'on estime que 46% de la population est digitalement vulnérable, l'UE souhaite qu'en 2030, 100% des citoyens aient accès à leurs données médicales en ligne et que 80% disposent de compétences digitales de base.""L'environnement de santé de plus en plus digital crée de nouveaux droits et de nouvelles possibilités, mais il exige aussi une compréhension et des compétences adéquates. Le renforcement de la littératie en santé digitale devrait être reconnu et consacré comme une priorité politique dans l'ensemble de l'UE", estime Joyce Loridan (Solidaris). "La moitié de la population belge est menacée par l'exclusion du numérique. Il y a trois types de fractures: ne pas avoir accès à internet et aux outils numériques, ne pas aller sur internet et ne pas avoir les compétences pour utiliser les services numériques et en ligne... Nous sommes tous concernés, les compétences digitales ne sont jamais acquises, on est continuellement soumis à une nécessité de mise à jour. C'est très important à prendre en compte: ne pas pouvoir accéder au monde numérique, c'est ne pas avoir accès à ses droits de base, l'exclusion numérique renforce l'exclusion sociale. Et il ne faut pas croire que les jeunes sont épargnés: 33% des 16-24 ans courent ce risque", précise Caroline George (Fondation Roi Baudouin). Les inégalités en matière d'accès et d'utilisation des outils numériques sont le premier obstacle que les citoyens doivent relever: 11% n'ont en effet pas accès à internet pour des raisons budgétaires et seuls 54% des Européens (16-74 ans) disposent des compétences numériques de base (chiffre de 2021). Il y a aussi un manque d'intérêt et de confiance en cette digitalisation. La complexification de l'écosystème de santé autour du patient nécessite de (re)définir les rôles des acteurs de santé. Notamment celui des médecins généralistes qui, pour 74% des Belges, sont le premier point de contact quand ils ont une question médicale. Il est donc indispensable de renforcer les compétences des médecins qui seront tant amenés à démystifier la mésinformation en ligne qu'à guider les patients vers leurs dossiers de santé électroniques. Enfin, ces défis concernent aussi les autorités: si 83% des États membres de l'OMS déclarent disposer d'une stratégie nationale en matière de santé numérique, seuls 52% ont des politiques relatives à la littératie en santé digitale. Il est ainsi recommandé à l'UE et à ses États membres de mettre la littératie en santé digitale à leur agenda, dans l'objectif de préserver les droits des citoyens dans un système de santé numérique. Les organisateurs de la conférence mettent plusieurs points en avant: -Donner la priorité au renforcement des capacités des acteurs de la santé en matière de littératie en santé numérique pour améliorer l'accompagnement des citoyens dans un système de santé numérisé ; -Veiller à la convivialité et à l'inclusivité des nouvelles technologies et des outils numériques afin d'améliorer l'accès aux services de santé, aux informations et aux données sur la santé, en intégrant le point de vue du patient ; -Promouvoir l'utilisation d'informations de santé fiables et basée sur les preuves, en améliorant la littératie en santé et aux médias des citoyens ; -Garantir l'interopérabilité technique et simplifier l'accessibilité ; -Veiller à ce que les services de santé essentiels restent accessibles dans un environnement non numérique (contact en ligne, téléphonique et en face-à-face), afin de ne laisser personne de côté. Ainsi, l'UE peut, en partenariat avec les États membres et les acteurs de la santé tels que les mutuelles: -Inscrire la littératie en santé digitale dans la révision 2025 du plan d'action du Socle européen des droits sociaux, et reconnaître l'importance des compétences numériques et de la littératie en santé comme un prérequis à l'inclusion sociale et à l'accès à la santé ; -Convenir d'un indicateur européen sur la littératie en santé digitale pour garantir une mesure commune, et l'introduire dans une enquête européenne afin d'assurer un suivi de ce concept ; -Sensibiliser et former les professionnels de la santé. "Le patient doit rester l'élément central de notre attention, il doit être acteur de sa santé, autonomisé et responsabilisé pour que sa qualité de vie soit meilleure. Dans un contexte numérique qui conduit à une transformation globale du système de soins de santé, les inégalités en santé doivent faire l'objet d'une attention permanente et le numérique doit être un levier pour aider le patient à activer ses droits fondamentaux", résume Mickaël Daubie, directeur général des soins de santé à l'Inami. Comment survivre dans cet environnement? "Il faut avoir la capacité pour acquérir la littératie en santé digitale. C'est une responsabilité collective entre le patient, le système et les professionnels de santé. Le système doit aussi être lisible et transparent afin de permettre au patient d'y évoluer de manière harmonieuse", poursuit-il, en plaidant notamment pour l'ouverture aux partenariats public-privé, pour intégrer les innovations technologiques dans la nomenclature et pour rémunérer les professionnels par rapport à leur investissement en temps dans cette littératie en santé. "Les professionnels de santé sont des partenaires de confiance, il faut capitaliser dessus. Ils ont une double casquette, à la fois d'apprenants et de facilitateurs. Ils doivent garder la relation interpersonnelle avec les patients, le numérique ne peut gommer cette interaction", met-il en garde. Mickaël Daubie salue la grande ambition de l'UE qui veut que 100% de ses citoyens aient accès à leurs données de santé en ligne en 2030, tout en regrettant que les investissements ne soient pas à la hauteur: "J'en appelle à un plan Marshall pour la littératie en santé digitale! Les recommandations vont dans le sens de la sensibilisation, de l'information et de la formation des professionnels et des patients, mais il faut les mettre en action. Le succès de cette conférence démontre l'importance qu'on accorde à ce sujet. Mais, pour moi, ce n'est pas un aboutissement, c'est le coup d'envoi pour que la transition numérique de la santé soit réellement inclusive."