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Le journal du Médecin: Vous êtes en fonction depuis près de 100 jours au CHU de Liège. Les hôpitaux doivent actuellement faire face à une augmentation des coûts liée à la hausse des prix de l'énergie, à l'inflation, à l'indexation des salaires... Comment réagissez-vous à cette situation qui met sous pression les finances, déjà fragiles, des hôpitaux? Marc De Paoli: Fin avril, l'impact de la hausse des coûts de l'énergie sur notre budget était de sept millions d'euros. En raison de l'indexation et des hausses barémiques, notre masse salariale augmente de 10%. Cette hausse n'est que partiellement répercutée sur le BMF (qui représente 40% du budget global de l'hôpital, NDLR) parce que certaines professions ne sont pas couvertes par le BMF. Par ailleurs, les honoraires médicaux n'ont été indexés que de 0,75%, avec une adaptation à 2% au 1er juin en raison de l'inflation (lire jdM N° 2713). Nous perdons donc une partie du chiffre d'affaires, à hauteur de six millions d'euros. En tout, cela fait 13 millions d'euros de perdu sur la recette globale du CHU de Liège qui s'élève à 720 millions d'euros. Il faut encore ajouter à ces coûts supplémentaires ceux liés à l'augmentation, entre 15 et 20%, des prix de nombreux produits. L'impact sera de 15 millions en 2022. En tenant compte de tous ces éléments, nous serons juste au-dessus ou en-dessous de l'équilibre budgétaire cette année. À côté du résultat final, il faut aussi tenir compte du cash-flow. En effet, le cash-flow nous permet de dégager des moyens pour investir, par exemple, pour renouveler le plateau technique. Chaque année au CHU de Liège nous investissons 20 millions d'euros pour entretenir l'outil, auquel il faut ajouter tous les travaux et investissements supplémentaires. Nous devons dégager entre 35 et 40 millions de cash-flow pour être avoir un plateau technique à la pointe de la technologie - ce que doit avoir un hôpital académique puisque nous formons les médecins de demain - et garantir tous les autres investissements. Le bâtiment principal a 40 ans. Il faut l'entretenir. La tour six va bientôt ouvrir. Nous avons plusieurs projets immobiliers en préparation: la construction de la tour sept (qui va accueillir les nouvelles urgences, les soins intensifs, le centre de brûlés, la maternité, un étage de consultation et un étage administratif), l'agrandissement du site Notre-Dame des Bruyères et du CNRF de Fraiture, la rénovation du site du Brull, la construction d'un parking sur trois étages... En tout cela représente entre 500 et 600 millions d'investissement pour la construction et la rénovation sur une période s'étalant de 2022 à 2030. Comment financez-vous ces grands travaux? Nous bénéficions du plan d'investissement hospitalier de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous avons également des fonds propres et nous devrons souscrire des emprunts à hauteur de 350 millions d'euros pour financer l'ensemble. Grâce au prix de journée, nous allons récupérer une partie des investissements. Nous devons générer du cash-flow pour financer les investissements. Comptez-vous dès lors augmenter votre activité médicale pour financer ces projets? Au mois de mars, la plupart des services médicaux avaient retrouvé leur niveau d'activité d'avant la pandémie. Les services des urgences ont même une activité plus élevée. L'hôpital universitaire reste un trépied qui repose sur les soins, la recherche et la formation ; il faut trouver l'équilibre entre ces trois points. Nous devons être attentifs aux coûts, mais nous ne faisons pas une course à la prestation. Le CHU de Liège exerce-t-il une forte attractivité sur les médecins ou devez-vous faire des efforts pour recruter certains profils? Nous devons réfléchir à la meilleure manière d'augmenter notre attractivité, cela passe notamment par notre capacité à faire savoir l'étendue de nos expertises, que ce soit en termes technologiques ou humains. L'hôpital universitaire est attractif notamment parce qu'il possède des techniques de pointe et que de nombreux médecins sont intéressés par la recherche et la possibilité de pouvoir faire une thèse. Dans certains domaines, la concurrence - et je n'ai pas peur d'utiliser ce mot - est difficile. Par exemple, nous manquons cruellement de gériatres. Les conditions de prestations et d'honoraires proposées par certains hôpitaux font qu'il est parfois difficile de trouver ces spécialistes. Que pensez-vous de la dynamique des réseaux hospitaliers? Les autorités nous demandent de travailler en réseau, de rationaliser les prestations - ce qui est logique - mais en même temps la plupart des hôpitaux sont majoritairement financés à l'admission et à l'honoraire. On essaye de faire entrer un carré dans un cercle. Ou inversement. Le dialogue entre tous est fondamental, mais sans réforme du financement hospitalier, on n'y arrivera pas. De nombreux médecins estiment que tant que la question de la cohérence des honoraires et des rétrocessions au sein des réseaux ne sera pas réglée, il sera très difficile de faire fonctionner les réseaux hospitaliers. à moins de forfaitariser de nombreux actes médicaux. Le danger des forfaits est qu'il favorise le développement des pratiques médicales extrahospitalières. Si les honoraires des médecins hospitaliers sont plafonnés, il y a un risque qu'ils quittent l'hôpital pour travailler dans des cabinets privés. Ce qui est déjà le cas pour quelques spécialités. En effet, mais la forfaitarisation risque d'accentuer cette tendance. Ce qui compliquera encore le recrutement de certaines spécialités dans les hôpitaux. La réforme du financement hospitalier doit être envisagée dans son ensemble, sans "stigmatiser" seulement les hôpitaux. Il faut réfléchir à une révision globale du financement de la médecine en Belgique. La note sur la réforme du financement de Frank Vandenbroucke ne parle presque pas des spécialistes extrahospitaliers. En effet. C'est pour cela que j'attire l'attention de vos lecteurs à ce sujet. Seul un court paragraphe est consacré, en fin de note, aux spécialistes extrahospitaliers. Il faut préserver la médecine hospitalière parce que la nuit et le week-end les patients en difficulté se rendent principalement dans les hôpitaux. Le travail hospitalier peut rester ingrat pour les médecins. Elipse, le deuxième plus grand réseau hospitalier de Belgique, se concrétise-t-il? Huit hôpitaux en font partie: le CHR de la Citadelle, le CHU de Liège, le CHR de Huy, le CH du Bois de l'Abbaye, ISOSL, le CHR Verviers, le CH Reine Astrid de Malmedy et la Clinique André Renard. Soit un hôpital académique, six intercommunales et un hôpital privé. Il y a une véritable volonté de collaborer et la confiance s'installe. Le travail en réseau ne sera pas facile mais trois éléments nous incitent à aller dans cette direction: l'aspect financier, actuellement compliqué pour tout le monde, la raréfaction de l'offre de prestataires de soins et l'arrêté du ministre Vandenbroucke, soumis au CNEH, qui va limiter les activités hyper-pointues à un seul hôpital par réseau, voire par région. Nous nous attelons à travailler ensemble pour la logistique: un magasin central, des achats groupés, la cuisine, l'informatique, la blanchisserie... Tous les membres du réseau ne devront pas adhérer à tout, tout le temps, mais chaque fois que la majorité des huit institutions décideront de collaborer ensemble, nous pourrons négocier les prix, réaliser des économies d'échelle, et mutualiser les coûts. Cette collaboration passe aussi par une modification du code de la TVA. C'est en discussion depuis un certain temps. Il faut que les prestations interhospitalières soient exonérées de TVA. Ces projets collaboratifs peuvent-ils se mettre en place rapidement? Tout à fait. Au sein du réseau Elipse, nous avons la volonté d'aller dans cette direction et de travailler sans tabou ensemble. Et au niveau médical? À partir du moment où le gouvernement va limiter, par arrêté, certaines fonctions à une institution par réseau ou par région, nous allons devoir nous entendre. Et les autorités médicales, directions médicales et conseils médicaux, en collaboration avec les directions générales, vont devoir débattre de la répartition des services. Que fait-on et où le fait-on? Pour les autres fonctions, celles qui ne sont pas contingentées par l'arrêté, les mêmes autorités médicales devront s'appuyer sur les pôles d'excellence qui existent déjà et s'associer pour gagner en efficience et favoriser le recrutement, tout en maintenant la viabilité de chacune des institutions du réseau. Les huit institutions ont leur raison d'être, leur histoire et leur implantation. Dans votre hôpital, 70% des médecins sont salariés, et dans les sept autres, ce sont des indépendants. Est-ce facile de faire collaborer des médecins qui ont des statuts financiers différents et sont rémunérés pour des activités différentes? Ce ne sera pas facile, mais il va falloir trouver des formules imaginatives pour les fonctions médicales qui ne pourront plus être démultipliées. Nous sommes dos au mur. Nous devrons le faire. Je suis adepte du cadre d'extinction. On détermine que le statut X est le meilleur. Ceux qui y dérogent entrent volontairement dans ce cadre ou entrent dans le cadre d'extinction. En tant qu'hôpital académique, nous devons garder 70% de nos médecins sous un statut de salarié. C'est une obligation légale. Il va falloir être imaginatif. Les travailleurs hospitaliers ont souffert durant la pandémie. Comptez-vous durant votre mandat mettre des choses en place pour améliorer cette situation. C'est une des cinq priorités de ma stratégie quinquennale. Je suis très attentif à l'humain. Tous les travailleurs hospitaliers ont vécu deux années terribles. À peine sorties de cette pandémie, les équipes ont dû prendre en charge des patients qui étaient en attente. Les durées de séjour sont de plus en plus courtes. Ce qui augmente la charge de travail du personnel. De nombreux infirmiers quittent la profession ou sont tentés par des horaires de jour, ce qui est compréhensible. C'est donc un défi de recruter et de fidéliser des soignants. Je compte également renforcer la communication. C'est également une action prioritaire de mon plan stratégique. Il faut dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit. Le CHU se doit d'être plus visible à l'extérieur. L'Institut de cancérologie Arsène Burny (CAB) est-il bientôt terminé? Notre centre d'excellence en oncologie a accueilli ses premiers patients le 7 février dernier pour certaines activités (imagerie oncologique, radiothérapie, médecine nucléaire) ; les autres disciplines se déploieront dès cette fin d'année. Nous avons le double avantage d'avoir en nos murs des experts de renommée internationale et des technologies dernier cri dans ces disciplines, sans oublier que l'ICAB a été construit dans un logique "Environnement healing" qui place le bien-être (du patient et du personnel) comme élément-clé dans la conception des espaces. Des équipes qui travaillaient par le passé dans des caves ont désormais accès à la lumière du jour. Nous savons qu'un personnel qui va bien est dans de meilleurs dispositions pour prendre soins des patients. Pour le CHU de Liège, cette avancée majeure concrétise aussi une prise en charge encore plus qualitative, individualisée et humaine. Quelles relations le CHU de Liège entretient-il avec les généralistes? Je suis très attaché à la médecine générale, d'autant plus que je viens d'un hôpital de proximité. J'avais tissé de très bonnes relations avec les médecins généralistes de la région. Cette collaboration avec la première ligne, les généralistes et les infirmiers, est fondamentale. En tant que directeur de la CSD Liège, j'ai lancé des projets d'hospitalisation à domicile (HAD) pour de la chimiothérapie, de l'antibiothérapie et de la surveillance via des objets connectés. Le relais des généralistes vers les spécialistes hospitaliers est important. Il faut éviter l'hospitalocentrisme. Depuis quatre ans, nous publions notamment deux fois par mois le CHUchotis du jeudi, une newsletter dans laquelle des spécialistes de l'institution traitent de thématiques particulières et les partagent avec leurs confrères généralistes et spécialistes externes ; dans la médecine, privilégier le partage de connaissances et le lien est fondamental.