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Certains font de la musique avec des légumes, parfois grosses, Max Vandervorst, l'homme de Spa qui enchantait les bouteilles de cette eau, fait sortir des notes et carrément des mélodies d'objets du quotidien rehaussés (bouteillophone du Bordelais, violon à clous...) voire mis au rebut, dont il fait un rébus musical. Vingt ans après un premier opus, voici que ce mélomane du bric-à-brac, ce chef du fauteuil d'orchestre, de la chaise vraiment musicale, signe un deuxième CD "instruments et mental" intitulé Pataphonia, la petite musique des choses, passant de la valse au tango en passant par la polka aux titres que ne renierait pas Érik Satie ; un nouveau disque issu de "sa lutherie sauvage", véritable ovni, objet valsant non identifié... Le journal du Médecin: La difficulté de cet album, c'est en fait qu'il n'y a pas d'images, alors que votre art, s'il est bien entendu musical, est aussi visuel puisqu'il y a cette contradiction entre cet objet inerte au départ et la musique qui en sort... Max Vandervorst: Oui, il faut absolument que l'on arrive à faire sentir l'objet aux gens. Évidemment, toutes les explications sont dans le livret, mais je viens de réécouter deux trois morceaux, La valse des cailloux par exemple: personnellement, j'entends distinctement qu'elle est en effet exécutée par des cailloux. Nous avons effectué un choix drastique, en ne gardant que des choses où l'étrangeté de l'objet utilisé s'exprime fortement. Les Nits avaient fait un album avec des cailloux... Depuis les oreilles de mammouth ont fait de la musique avec des cailloux (rires). Et dans les traditions lithophones comme celle du Vietnam, où j'ai tourné, j'ai entendu des orchestres formidables de ce type. Cette pratique fait d'ailleurs partie intégrante de leur académie. Vous mélangez les instruments occasionnels et traditionnels. Quels sont-ils ces instruments "banals" qui accompagnent les vôtres? Le tuba de Michel Massot ; au violon, il y a Aurélie Goudaer ; aux percussions Stéphan Pougin sur mes brols ; Frank Wuyts pour les claviers et l'harmonie en général... Avez-vous déjà essuyé des refus de musiciens parce que vous jouiez d'instruments non classiques? De toute façon, je choisis des personnes que j'apprécie, et, généralement, cela fonctionne dans les deux sens. Même s'ils sont surqualifiés, ils aiment jouer de ma musique. Et puis surtout, je les laisse y apporter du leur sur un morceau plus expérimental comme Tarentelle de l'ours, sur lequel je joue une simple partie de boîtes de conserve: j'ai demandé à Stephan et Michel de "remplir" la mélodie, ce qu'ils ont fait de manière extraordinaire avec un souffle et un style quasi contemporain, sauf qu'il s'agit d'une tarentelle, ce qui la rend abordable. Je procède selon deux démarches: soit j'utilise l'instrument tout seul, ce qui est un peu monodique et tristounet dans le cadre d'un album, ou alors je multiplie des pistes avec des instruments issus de la lutherie sauvage (ndla: fabriqués à partir d'objets du quotidien). Avec un problème, c'est que souvent ils sont moins parfaits que les autres: ils n'ont pas connu une évolution longue de trois siècles, mais possède un aspect brut... et du brut sur du brut, parfois cela peut commencer à devenir lourd, sonné un peu faux. Vos musiques ont un côté balkanique: êtes-vous sensible à ces musiques? Depuis bien avant que ce ne soit la mode. C'est un peu un hasard (c'est vrai avec les klaxons sur Bombay Polka). Mon tout premier morceau, Symphonie d'objets abandonnés en 88, issu de mon spectacle initial, était déjà dans cette mouvance: un morceau qui a très bien marché, au point de devenir le générique d'émissions de télévision. Plusieurs titres d'ailleurs de mon album de 2002, alors qu'il était autoproduit, a servi de générique pour l'émission Alors on change! à la RTBF. Il s'agit d'une petite valse avec des bouteilles soufflées, avec ce côté balkanique ; un peu asexué... un peu à la mode Tintin. (rires)Un peu bachibouzouk? Oui, mais je n'ai aucune prétention musicale. Je fais de la musique plaisir. Ce CD déboule 20 ans après le premier: vous avez notamment travaillé avec le théâtre de marionnettes le Tof Théâtre entre temps et puis il y a eu le Covid. Et la pandémie a eu pour conséquence de vous voir composer des morceaux pour vos petits-enfants. Ce qui est paradoxal puisque vous insistez sur le fait que votre art n'est pas de la musique pour enfants. Or, dans le cas de ce disque, c'est tout de même l'impulsion initiale... Je suis un être paradoxal (il sourit). Très honnêtement, au niveau carrière, j'ai rapidement remarqué qu'il était réducteur de me cantonner dans un secteur jeune public, qui n'est que jeune public parce que là où les adultes voient quelque poésie souvent les enfants ne voient que franche rigolade. Et cela s'est vérifié mille fois. J'ai découvert cette formule qu'on appelle le tout public, fréquente dans les festivals dits de rue auxquelles je participe souvent, qui réunit les quatre générations et dans lesquels mes spectacles fonctionnent plutôt bien. En effet, ce qui a changé, c'est que je suis devenu grand-père. Je n'imaginais pas que cela allait me passionner à ce point. Franchement, j'aurais pu concevoir cet album rien que pour mes petits-enfants, tant cela a du sens désormais pour moi. Dans tous les pays où vous allez jouer, y en a-t-il où l'on est plus sensible à cette musique que dans d'autres? Non. Mais pour jouer de gros clichés, disons qu'en Italie le public y est très raffiné, possédant beaucoup de références culturelles ; en France, il y a de tout ; en Espagne cela peut partir en "ola", d'autant que ce pays est très polygénérationnel, en Hollande par contre, le public sera beaucoup plus froid mais appréciera énormément. Et partout ailleurs dans le monde il y a cette fascination. En Afrique, voir un blanc qui joue de l'arrosoir c'est trop drôle pour les Africains qui se disent "il n'a même pas de quoi se payer un clavier! Pauvre gars! On va lui donner cinq francs." En même temps, cela les fascine. On m'a aussi traité de sorcier musicien, car en effet il y a un côté animiste qui fait vivre les objets. Au Vietnam, avec Le quadrille des lanciers, jouer à la chaise musicale (ndla: percée de trous et transformée dès lors en flûte), tout le monde était debout en train de hurler alors que Wat a Wonderful World de Louis Armstrong interprété avec des bouteilles soufflées les laisse froids, au contraire de ce qui se passe en Europe. Est-ce l'objet ou la musique qu'ils apprécient? Cela dépend. Évidemment, si j'interprète "Il est libre Max" au Bangladesh cela ne risque pas de fonctionner. (rires)Quand vous composiez dans le cadre de ce CD, la mélodie était-elle plus importante ou c'est le type d'objet que vous utilisez qui est plus important? C'est un peu les deux. Pour ce disque, j'ai par exemple croisé à la fois une fanfare et une petite valse qui ont existé en dehors pour mes objets. Sinon, souvent, je démarre de l'objet: Bombay Polka. Ce n'est pas le morceau le plus génial, mais c'est le plus représentatif de la démarche. Trois klaxons, que racontent-ils? Un propos auquel j'ajoute des instruments traditionnels, Je peux aussi citer TangoVerde, ce morceau joué avec le violon à clous: cela débute avec du piano et puis arrive ce violon qui donne des frissons dans le dos, car le son est prodigieux: cet instrument consiste seulement en des clous plantés dans un aggloméré: habituellement, je n'interprétais que des mélodies chinoises avec cet instrument, mais dans ce cas-ci j'en joue presque comme du Ennio Morricone. (il rit)