À l'heure où d'aucuns s'interrogent sur la pertinence du co-testing et du remboursement du test HPV en dépistage primaire du cancer du col de l'utérus, les professionnels de terrain s'inquiètent, eux, du nombre important de femmes qui passent encore sous le radar.
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Début décembre dernier, un accord était dégagé au sein de la conférence interministérielle Santé publique (CIM) pour modifier le dépistage du cancer du col de l'utérus. Si le "Pap-test" demeure pertinent chez les jeunes femmes de moins de 30 ans souvent porteuses du HPV sans pour autant présenter de lésions suspectes, au-delà de cet âge et jusqu'à 64 ans accomplis, le test HPV est plus performant et serait donc remboursé tous les cinq ans. Tout résultat positif serait complété par un examen cytologique, cytologie qui, pour rappel, est actuellement le seul test remboursé, tous les trois ans, en dépistage primaire. La CIM aurait donc entendu les experts, l'OMS, le KCE et la Fondation contre le cancer réclamant de longue date de passer au test HPV en première intention chez les 30+. La réforme s'assortit toutefois d'une condition: si le Fédéral finance le remboursement du test HPV (40 millions d'euros), les entités fédérées doivent de leur côté améliorer le recrutement au dépistage. Une récente enquête iVox/MSD révèle que plus de la moitié des femmes échappent encore au dépistage en Wallonie et à Bruxelles (en Flandre, plus de 60% des femmes se font dépister). Environ 600 cas de cancer du col de l'utérus sont détectés chaque année en Belgique, et l'on comptabilise encore 270 décès, principalement dans cette population qui demeure sous le radar. C'est donc bien là que le bât blesse prioritairement, alertent les praticiens de terrain. "Les résultats de Nikoláou Papanikoláou étaient connus avant la Seconde Guerre mondiale mais il a fallu 50 ans pour arriver à organiser quelque chose qui tienne la route. Pourtant, à l'heure actuelle, plus de 50% des patientes ne font pas encore de frottis", contextualise le Pr Jean-Luc Squifflet, du service de gynécologie, et responsable de l'unité de chirurgie gynécologique, des Cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles), à l'occasion d'une table ronde sur le co-testing organisée par la société Hologic. "Changer de remboursement ne va pas révolutionner les choses, ni diminuer drastiquement la mortalité. Il faut remédier à plusieurs points et, notamment, assurer une prise en charge globale." Contrairement au dépistage du cancer du sein ou du côlon, celui du cancer du col ne fait pas l'objet d'une convocation systématique en Wallonie et à Bruxelles (en Flandre bien). Il n'existe pas non plus de "registre" qui permette aux gynécologues de vérifier le dépistage. Seule la parole de la patiente (et la fiabilité de sa mémoire) permet donc de savoir si elle a déjà fait un frottis, et quand. Le médecin peut certes accéder à des résultats d'examens via les réseaux santé, mais si le test a été réalisé dans un centre privé ou au cabinet du gynécologue, il n'est pas accessible. "Cette disparité fait que je ne peux pas vérifier si la patiente est en ordre de dépistage", regrette le Pr Squifflet. "Un autre facteur limitatif est la protection de l'accès aux données. La bonne idée serait d'envoyer un courrier aux patientes qui, par exemple, n'ont plus fait de frottis depuis dix ans. Mais pour cela, il faudrait avoir accès aux listings des mutuelles pour consulter les facturations de frottis, or le RGPD ne le permet pas." "Un test HPV négatif est très rassurant, on pourrait même avoir un intervalle de contrôle à 8-10 ans", poursuit le Pr Squifflet. "Le problème vient des tests positifs: quel suivi dans un deuxième temps? Que faisons-nous de ces patientes? On perd une partie des femmes testées positives qui ne répondent plus ensuite... À l'heure actuelle, c'est compliqué car la prise en charge n'est pas systématique en termes d'organisation. Un laboratoire va dire 'mon deuxième test est une cytologie', un autre utilise le génotypage et le gynécologue dit: 'Revenez, je dois vous examiner le col'... Pour avoir un effet sur la diminution des lésions précancéreuses et cancéreuses, il faut que soit mieux organisée la prise en charge." A contrario, un certain nombre de femmes sont surtraitées. "Si on extrapole le nombre de CIN3, on estime qu'il faudrait réaliser entre 3.000 et 4.000 conisations annuelles pour éviter nos cas de cancers. Or, les chiffres de l'Inami montrent qu'on en pratique 9.000. On fait donc au moins 5.000 conisations de trop", calcule le Pr Squifflet. Ce surtraitement peut avoir un impact obstétrical, le raccourcissement du col augmentant le risque de prématurité. Ce qui, à son tour, a un impact sur les coûts de néonatologie. Et l'autotest HIV? L'expérience menée aux Pays-Bas se révèle décevante. "On espérait atteindre les femmes sous le radar mais, après sept ans, on voit que ça ne marche pas", explique le Pr John-Paul Bogers, anatomopathologiste à l'Université d'Anvers. "Et en plus, cela a fait chuter le dépistage en général..."