"En 2023, toutes les femmes atteintes d'un cancer du sein devraient recevoir un traitement adapté", déclare le Pr Wiebren Tjalma (coordinateur médical de la Clinique du sein, UZA). "Si 20% des patientes restent sous-traitées, 50% d'entre elles sont, quant à elles, surtraitées."
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Il est possible d'affiner le traitement en classant les tumeurs hormonosensibles (sensibles aux oestrogènes et aux progestatifs, désignées par ER+ et/ou PR+), les tumeurs sensibles à HER2 (ER-/PR-, HER2+) et les tumeurs triples-négatives (ER-/PR-, HER2-). Les tumeurs hormonosensibles sont subdivisées en tumeurs luminales A et luminales B. Les tumeurs hormonosensibles sont les plus faciles à traiter et ont un bon pronostic. Les tumeurs luminales A évoluent plus lentement et sont moins agressives (moins d'atteinte glandulaire) que les tumeurs luminales B. Les tumeurs sensibles à HER2 se développent rapidement parce que HER2 est une hormone de croissance, mais depuis que des traitements anti-HER-2 sont disponibles, ces tumeurs peuvent être beaucoup mieux traitées. Les tumeurs triples-négatives sont les plus difficiles à traiter. En revanche, pour une tumeur triple-négative primaire traitée avec succès et qui disparaît pendant environ trois ans, le risque de récidive est minime, tandis que pour une tumeur hormonosensible primaire traitée avec succès, le risque d'un nouvel épisode après 10 à 15 ans oscille autour de 20%. "À mon avis, ce deuxième épisode est une nouvelle tumeur plutôt qu'une rechute", indique le Pr Wiebren Tjalma. Après une résection chirurgicale, les tumeurs hormonosensibles peuvent être traitées par hormonothérapie. Ce traitement présentant des inconvénients (obligation d'une prise quotidienne, effets secondaires, etc.), l'opportunité de l'administrer doit être discutée avec la patiente. La réflexion peut être encadrée par le modèle Predict, un outil informatique dans lequel on peut introduire toute une série de données concernant la patiente et la tumeur: âge, statut ménopausique, caractéristiques moléculaires de la tumeur, degré de différenciation, taille, présence ou non de ganglions lymphatiques positifs, etc. Le modèle indique ensuite le bénéfice de survie associé à l'hormonothérapie (et à une série d'autres options thérapeutiques). En outre, la patiente et son partenaire ou sa personne de confiance doivent être impliqués dans la détermination des modalités précises du traitement, en abordant les avantages et les inconvénients des différentes options. Cette 'prise de décision partagée' rend les gens plus conscients du choix du traitement, ce qui se traduit par une meilleure observance. En outre, elle accroît la satisfaction des patientes. L'hormonothérapie comprend le tamoxifène et les inhibiteurs de l'aromatase. Le choix entre les deux se fait en fonction du statut ménopausique. Les femmes ménopausées produisent de la progestérone et des androgènes dans la glande surrénale - ces derniers sont aromatisés en oestrogènes dans le tissu adipeux périphérique, par l'enzyme aromatase. Ce mécanisme existe également chez les femmes préménopausées, mais celles-ci produisent en plus des hormones sexuelles à partir des ovaires. Le tamoxifène bloque les récepteurs d'oestrogènes et inhibe l'expression des récepteurs de progestérone. Il peut donc être utilisé chez les femmes avant et après la ménopause comme traitement hormonal en cas de cancer du sein hormonosensible. Les inhibiteurs de l'aromatase en tant que tels ne sont utiles que chez les femmes ménopausées, car bien qu'ils inhibent l'aromatisation des androgènes dans le tissu adipeux, ils n'ont aucun effet sur la production d'hormones sexuelles par les ovaires. Si l'on veut donner un inhibiteur de l'aromatase à une femme avant la ménopause, il faut stopper la fonction ovarienne par ablation ou irradiation, sachant que ces deux interventions sont irréversibles. Il est également possible de mettre les ovaires temporairement au repos en administrant un analogue de la LH-RH. De cette façon, on peut voir si la patiente tolère bien les symptômes associés à cette mise au repos des ovaires. Dans une étude avec un suivi de 20 ans, le tamoxifène après une intervention chirurgicale pour cancer du sein a réduit la mortalité de 9%, tandis que le risque de récidive a diminué de 13% (Tjalma, Post San Antonio Breast Meeting, 2018). En ce qui concerne la durée du traitement, les études montrent qu'une durée de traitement de dix ans contre cinq ans réduit la mortalité de 3%, et le risque de récidive de 4%. "Ce n'est pas une différence énorme", commente Wiebren Tjalma. "Il est possible d'allonger la durée du traitement à dix ans, mais il faut bien peser les avantages en termes de mortalité et de récidive par rapport aux effets secondaires." Pour inhiber encore davantage les effets des oestrogènes et des progestatifs, on peut envisager de combiner le tamoxifène avec une suppression ovarienne, provoquée par la chirurgie, la radiothérapie ou l'administration d'un analogue de la LH-RH. Si l'on met les ovaires au repos par traitement au tamoxifène, on obtient 4% de plus de survie sans maladie qu'avec le tamoxifène seul. L'association d'un inhibiteur de l'aromatase et d'une suppression ovarienne augmente la survie sans maladie de 7% par rapport au tamoxifène seul. Cependant, la survie globale n'est pas différente entre les trois formulations. En même temps, il est clair que l'association du tamoxifène ou d'un inhibiteur de l'aromatase à la suppression ovarienne provoque plus d'effets indésirables (chez 31 et 32% des patientes, respectivement) que le tamoxifène seul (25%). L'hormonothérapie est à débuter quatre à six semaines après la chirurgie. Ceci est particulièrement important pour le tamoxifène. En raison du risque accru de thrombose associé à ce traitement (voir ci-dessous), il est préférable de ne pas le commencer si la patiente est encore un peu fatiguée dans les suites de l'intervention et reste donc beaucoup assise. L'hormonothérapie est commencée après la chimiothérapie, afin que la patiente ne doive pas faire face aux effets secondaires des deux traitements en même temps. Elle peut commencer avant, pendant ou après la radiothérapie. Qu'en est-il de la contraception? La femme peut utiliser un stérilet en cuivre, un préservatif ou un anneau. La prescription d'un stérilet hormonal chez les femmes atteintes d'un cancer du sein est déconseillée par l'Organisation mondiale de la santé, même si la tumeur n'est pas hormonosensible. Il est à noter que les femmes peuvent être fertiles sous tamoxifène, surtout en début de traitement. Une autre option possible est l'ablation des trompes de Fallope. Des études ont montré que cette intervention réduit de 50% le risque de cancer de l'ovaire. Ainsi, on peut assurer la contraception en un seul geste, et réduire un risque supplémentaire de cancer. Les effets secondaires du tamoxifène sont: · Les symptômes ménopausiques ; · La dépression ; · Les thromboses ; · Un risque accru de cancer de l'endomètre (avec toutefois une mortalité minime). Les symptômes comprennent des saignements irréguliers - chez les femmes préménopausées - ou des saignements post-ménopausiques. Le dépistage échographique de cette tumeur n'a pas d'effet sur la survie sans maladie ni sur la survie globale, alors qu'il entraîne un certain nombre d'interventions lourdes, telles que l'hystéroscopie, le curetage, voire l'hystérectomie. En outre, le tamoxifène provoque des interactions avec d'autres médicaments, tels que les antagonistes de la vitamine K et les inhibiteurs du CYP2D6 (Prozac® Seroxat® Serlain® Cipramil®). "En cas de dépression, il faut donner un autre médicament, comme l'Efexor®", recommande le Pr Tjalma. Il y a aussi une interaction avec les isoenzymes CYP450, ce qui signifie qu'il y a lieu d'éviter une série de médicaments/substances (clarithromycine, cambamazépine, phénytoïne, valproate, fluconazole, dexaméthasone, millepertuis, jus de pamplemousse). Le curcuma interfère avec l'action du tamoxifène. Il peut toutefois être associé à un inhibiteur de l'aromatase. Les effets secondaires courants des inhibiteurs de l'aromatase sont les bouffées de chaleur, les douleurs musculaires et articulaires, les raideurs articulaires, la sécheresse vaginale et les troubles sexuels. Des raideurs articulaires peuvent se manifester par des difficultés à se lever le matin ou à saisir un objet. Parmi les effets secondaires moins fréquents mais néanmoins importants, on peut citer la prise de poids, les sautes d'humeur, l'ostéoporose, les fractures, l'augmentation du cholestérol, l'augmentation du risque cardiovasculaire. Pour la protection contre l'ostéoporose, on recommande des mesures de style de vie avec un apport adéquat de calcium et de vitamine D dans l'alimentation, ou sinon des suppléments de calcium et de vitamine D. En cas de risque accru, une ostéodensitométrie peut être effectuée au début du traitement ou après trois à cinq ans. Un grand problème lié à l'hormonothérapie est l'observance du traitement. Après un an, 90% des patientes prennent toujours le traitement, après trois ans, elles sont 77% et après cinq ans, elles ne sont plus que 51%. Ceci est lié aux effets secondaires. Les médecins doivent donc insister sur le fait que prendre le traitement de manière irrégulière ou ne pas le prendre augmente le risque de rechute. "De plus, lors du suivi, il est important de passer systématiquement en revue les effets secondaires et de les nommer: en avez-vous ou en souffrez-vous? Pouvez-vous (dans le cas des inhibiteurs de l'aromatase) faire des mouvements fins au travail, à la maison et dans vos loisirs?", souligne le Pr Tjalma. "Veillez à aborder également la question de la sexualité, au lieu de partir du principe que la patiente devra simplement apprendre à vivre avec l'inconfort. Proposez-lui des solutions pour améliorer la qualité de sa vie sexuelle." Chez les patientes sous hormonothérapie, un suivi régulier est recommandé: tous les trois à quatre mois pendant les deux premières années (tous les six mois chez les patientes à faible risque présentant un carcinome canalaire in situ), tous les six à huit mois de la troisième à la cinquième année, tous les ans de la sixième à la dixième année, et tous les deux ans par la suite. Une mammographie et une échographie sont effectuées chaque année, de la première à la cinquième année, afin de détecter une éventuelle récidive. Il est important de noter que le risque de récidive est faible, en particulier pour les tumeurs luminales A. Parallèlement à l'imagerie, une analyse de sang est réalisée pour évaluer des paramètres tels que le taux de cholestérol, la fonction hépatique et la fonction thyroïdienne. Le dosage des marqueurs biologiques n'est pas utile.