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Aux confins nord de la capitale, devant la gare de Berchem-Saint-Agathe, là où les lignes de tram bruxelloises viennent mourir, entourée par des hauts buildings impersonnels de bureaux qui semblent froncer les sourcils à la moindre frivolité, la Brasserie de la Gare arbore des airs de petit village gaulois résistant à l'aseptisation impersonnelle ambiante. Une brasserie bruxelloise comme l'on en fait de moins en moins: l'accueil y est professionnel bien sûr, mais chaleureux voire truculent, dans un lieu qui ne prend pas au sérieux et met aux murs notamment des peintures naïves voire une grande fresque un peu polissonne, une rêverie ferroviaire de Delvaux qui déraille... Paul Vankueken, père de Jean-François, propriétaire du restaurant depuis 26 ans, signe une toile, dupliquée en set de table représentant une carte de la "Zwanzanie", reprenant des expressions bruxelloises comme "calichezap" ("réglisse à sucer"). Pas étonnant dès lors de trouver dans le livre d'or les noms d'Eddy Merckx, Paul Van Himst, Lou Deprijck ou... feu le Grand Jojo évidemment, qui y avait ses habitudes. 6O couverts répartis en deux salles amples et lumineuses, 40 en terrasse aux beaux jours pour voir passer les trams (il y a un lieu sur la carte imaginaire qui bien sûr s'intitule "Fleshisaf") dont les vieilles plaques émaillées décorent aussi l'intérieur et une carte, réelle celle-là, qui propose des incunables de la cuisine de brasserie bruxelloise, ballekes exceptées. Entre l'américain préparé et voir le poisson, le duo de croquettes crevettes et fromage (baptisée à juste titre "méli-mélo") sont un régal tout comme le feuilleté de poularde et champignons, version huppée du vol-au-vent, qui peut se prendre en entrée ou en plat. Plats qui proposent par ailleurs notamment un cuberoll irlandais - une merveille - accompagné de sa béarnaise et frites, tout comme l'agneau présenté avec élégance, mais sans pédanterie. En dessert, aux côtés de l'incunable national qu'est la dame blanche, le sabayon à la kriek est une vraie découverte, moins écoeurant que sa version originale au Marsala. De la bière belge bien sûr peut accompagner le repas, dont la justement populaire Chouffe, mais aussi des vins français (quelques italiens aussi, notamment un Montepulciano d'Abruzzo bio) et même belges! Puisque, outre un vin bio du Lubéron Les Davids 'Les Dernières terres' en rouge - syrah, merlot, caladoc - très équilibré, réalisé par un membre de la célèbre famille Blaton, on découvre également quelques blancs belges pas fait par des bleus, entre autres le Genoels-Elderen limbourgeois en chardonnay... étonnamment bon. Aux frontières de la Flandre et de Bruxelles, le lieu qui compte deux cuisiniers comme les Dupont-Dupond, a des allures de dernier trait d'union (saint-gilloise) entre communautés qui, même si les suggestions de saison - aussi nombreuses que la carte, pour sa part plutôt courte - ne proposent pas de la langue (de boeuf), se retrouvent unies autour de l'assiette. Bref, même si elle est sise face à la gare de Berchem, cette institution reste centrale pour Bruxelles.