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Qui pense Delft pense Vermeer, le bleu de la porcelaine, mais pas le rouge de la brique de de Hooch. Ce fils de maçon rotterdamois n'a en effet pas son pareil pour peindre le matériau qui fut à la base du métier de son père.Sa génitrice était elle originaire de Delft où il émigre vers 1650 et y épouse une fille de la ville. Laquelle est une cité d'artistes comme le montre dans l'introduction située dans la chapelle de cet ancien monastère, des tableaux de peintres initiateurs de ses vues urbaines et architecturales comme Gérard Houckgeest ou Emmanuel de Witte.Outre des documents qui attestent de la présence de de Hooch notamment, son enregistrement comme peintre dans les registres de l'Hôtel de ville de Delft, l'acte de baptême de son fils, des peintures de ce genre comme L'explosion du dépôt de munitions par van der Poel illustrent l'influence du genre sur le Rotterdamois. Plus encore, celle de tableaux comme une femme avec un enfant à la fenêtre de van der Burch sur l'oeuvre de de Hooch est indéniable, surtout au cours de sa période la plus féconde : celle de Delft qui court de 1652 à 60 et d'Amsterdam où il émigre ensuite.Baignée d'une ambiance fervente, intimiste, l'exposition dont les tableaux sont éclairés d'une manière remarquable, se focalise bien entendu sur sa période delftoise. Son autoportrait est symbolique de sa peinture ; très précise, mais simple dans ses thématiques, réaliste et surtout pénétrant l'intimé des foyers ou des lieux.Ses descriptions de corps de garde, très souvent débutées avant son installation à Delft, possèdent la chaleur, voire l'ébriété, d'un Jacob Jordaens qu'elles rappellent ; Le verre vide : un " joyeux " officier drague une serveuse qui remplit sa chope.Contemporain de Vermeer, dont on ne sait s'ils se connaissaient tout en étant inscris tous deux à la Guilde de Saint-Luc, de Hooch est d'abord un peintre de scènes intimes extérieures, là où Vermeer choisit souvent l'intérieur : c'est un vrai peintre de " cour " où les femmes filent la laine en été, sous le bleu Delft du ciel, parsemé de nuages joliment portraiturés, et dans une maîtrise parfaite de la perspective.Mais contrairement à Vermeer, de Hooch se montre beaucoup plus hésitant dans ces personnages, plus grossiers, moins précis, et plus statiques, à l'instar du tableau Femme portant un panier de haricots dans un jardin potager. Au contraire d'un traitement de l'architecture, de la lumière voire des éléments végétaux raffinés, celui des personnages paraît maladroit et flouté.Vermeer fut influencé par de Hooch, parvenu à maturité avant lui, et dont l'un des chefs-d'oeuvre est sans doute Les joueurs de cartes : même fenêtre semble-t-il, même lumière qui semble baigner la scène de La laitière signée Johan. Mais ce tableau venu d'une collection privée trahit la difficulté de De Hooch avec le mouvement des personnages : celui du joueur qui lance sa carte paraît irréel et maladroit. Étonnant pour quelqu'un qui maîtrise par ailleurs à ce point la perspective des objets inertes.A côté, La femme pesant les pièces d'or et d'argent, semble un mauvais Vermeer, pour les mêmes raisons, et est irisé d'une lumière jaune-orange.Quitter Delft en 1660, semble une bonne idée pour de Hooch, dont " les joueurs de cartes dans une pièce ensoleillée " semble être le chef-d'oeuvre absolu (il sort de la collection privée de la reine Élisabeth d'Angleterre) où lumière perspective, ambiance intimiste s'équilibrent d'autant plus que le regard peut s'échapper vers l'une de ses fameuses... cours ; et, pour une fois, les personnages bien rendus se meuvent dans une agitation qui n'apparaît pas comme maladroite ou mal reproduite. Fenêtres et courts rythment les scènes d'intérieur (une femme et un enfant dans un garde-manger) comme une échappatoire, une distraction pour que le regard ne s'attarde pas trop sur les personnages (" Intérieur avec femme et enfant ").Et quand de Hooch peint une famille de clients richissimes, les Jacott-Hoppesack, s'il soigne le décor, les personnages, époux et enfants, se révèlent d'une pâleur fantomatique, ont tous de gros yeux cernés - on dirait la famille Addams -, comme s'ils n'avaient pas dormi de la nuit. Bref, un cauchemar pour le commanditaire...Reste parmi ces trente oeuvres inégales, encore un chef-d'oeuvre : Un homme lisant une lettre à une femme 1670-74 (issu de la collection Kremer) qui voit de Hooch en pleine maturité, décrire la lecture d'une missive à la lumière du jour. Plus que de voir la scène, on l'entend. Même si les personnages sont une fois encore moins définis que chez Vermeer, lequel il y a deux siècles vivait dans l'ombre de Hooch (le sous-titre en néerlandais est "uit de schaduw van Vermeer"), ce tableau est certainement inspiré de La liseuse de son concurrent, une lettre mieux décrite encore, mieux écrite.Même s'il maîtrise également la même lumière delftoise que son contemporain, ses personnages ne pouvaient que placer de Hooch dans son ombre.