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Force est de constater que l'étoile de la Chine a pâli ces dernières années dans le chef des investisseurs professionnels. Tandis que les uns considèrent toujours le pays comme indispensable dans un portefeuille diversifié, d'autres s'en méfient au point de l'écarter. Quels sont leurs arguments? "La Chine est trop importante pour être ignorée, alors qu'elle offre une gamme de possibilités d'investissement très large, en actions comme en obligations", affirme d'entrée de jeu une étude publiée la semaine dernière par JP Morgan AM, la branche de gestion d'actifs de la première banque américaine. Et de poursuivre: "Pourtant, la Chine demeure sous-pondérée par les investisseurs internationaux, qui risquent de rater le potentiel de croissance et le bénéfice de la diversification qu'offre ce marché vaste et complexe". Le message est donc clair: il faut investir en Chine et davantage qu'on ne le fait aujourd'hui... JP Morgan estime que les derniers indicateurs témoignent d'une amélioration des perspectives de croissance, quoiqu'encore marginales, ce qui pourrait "stabiliser le sentiment des investisseurs". Lesquels devront toutefois faire preuve de patience en attendant des signaux politiques clairs, car "le sentiment du consommateur et des milieux d'affaires, comme la confiance dans le marché immobilier, resteront timides parce que leur restauration demandera des stimulants plus puissants". Contrairement à ce que laissait supposer leur introduction, les stratégistes Tilmann Galler et Chaoping Zhu, auteurs de l'étude, n'affichent donc pas un enthousiasme délirant! Faut-il rappeler que l'économie chinoise, dont on escomptait un vigoureux rebond l'an dernier, est au contraire restée à moitié en panne? Et que le principal promoteur du pays, le groupe Evergrande, qui ploie sous une dette de l'ordre de 300 milliards de dollars, a été déclaré en faillite par un tribunal de Hong Kong? JP Morgan souligne toutefois que les actions chinoises sont bon marché, un argument avancé par plusieurs confrères, et qu'elles présentent des opportunités de croissance à long terme. Évoquant les pourparlers de début février entre le président Xi Jinping et les autorités boursières, la banque Pictet relève que ceci survient au moment où "les allocations au marché chinois par les gérants d'actifs sont au plus bas depuis cinq ans". Pourquoi cet ostracisme? Parce que la bourse chinoise est fortement influencée par des facteurs tels que les décisions politiques, l'appétit des investisseurs étrangers, la réglementation, la géopolitique, souligne la banque suisse. Dès lors, "pour fabriquer de la performance, l'approche fondamentale, société par société, n'est pas suffisante". Mais alors que JP Morgan met en avant trois fonds axés sur la Chine et que Pictet se flatte que son TR-Mandarin ait très largement battu l'indice local, d'autres maisons avouent carrément ne plus avoir confiance dans l'empire du Milieu. Cette défiance remonte pour l'essentiel à l'été 2021, quand le président Xi Jinping et les autorités chinoises commencèrent à prendre des mesures radicales à l'encontre de plusieurs secteurs... dont les entreprises, jugées très prometteuses, étaient fort présentes dans les fonds occidentaux. En août de cette même année, ce sont les valeurs européennes du luxe qui trinquèrent. La société d'analyse financière Kepler Cheuvreux, partenaire de Belfius en Belgique, écrivit alors: "Les investisseurs en actions chinoises doivent maintenant intégrer pleinement dans leurs décisions le risque d'ingérence et de régulation de l'État". Le sentiment ne s'est pas amélioré depuis et encore moins quand, l'été dernier, le pays a cessé de publier les données concernant le chômage des jeunes, après qu'il se fût envolé. Les statistiques chinoises sont-elles fiables, s'est-on alors demandé. Les positions critiques sont aujourd'hui nombreuses, ainsi qu'il ressort de la table ronde organisée par L'Éventail, à paraître tout prochainement dans le numéro de mars. "L'investissement, c'est aussi une question de confiance et les actifs chinois n'ont plus celle des investisseurs, en raison du fait du prince qui peut intervenir à tout moment", résume Cécile Lux, de la banque Edmond de Rothschild. Difficile pourtant de faire totalement l'impasse sur un pays qui représente 17,7% de l'économie mondiale (contre 27% pour les États-Unis), d'après les calculs du FMI. Pourquoi pas de manière indirecte? Au travers des nombreuses entreprises occidentales qui y produisent et dont l'avenir chinois peut dès lors paraître moins aléatoire que celui des sociétés qui se contentent d'y vendre. Les Belges Barco et Bekaert, notamment, en font partie. Ou encore par le biais des pays qui en sont fournisseurs. C'est à ce titre que le Japon est avancé par certains. Un atout de plus pour ce pays "repêché" par les investisseurs occidentaux en 2022 et alors évoqué dans ces pages. Il est aujourd'hui mieux représenté dans les grands fonds internationaux diversifiés, lui qui pèse 4,2% du PIB mondial. Le désamour à l'égard de la Chine a par ailleurs accru l'intérêt des investisseurs pour l'Inde, qui reste toutefois un peu timide. Il est vrai que le pays ne représente encore que 3,7% de ce PIB, soit moins que l'Allemagne. Ses atouts sont connus de longue date. On y pointe en particulier la fort répandue bonne maîtrise de l'anglais et l'énorme réservoir de main-d'oeuvre, y compris très qualifiée: ses ingénieurs sont réputés. La plupart des grandes entreprises informatiques occidentales y travaillent. Le patron de la belge Odoo, la fabuleuse success story du Brabant wallon, vient même de s'y expatrier! On ne saurait toutefois présenter l'Inde comme un eldorado sans nuages, d'autant que sa bureaucratie légendaire n'est pas seule en cause. Le très autoritaire et très nationaliste Premier ministre Narendra Modi a les faveurs des milieux d'affaires et des investisseurs internationaux, mais il n'a qu'un peu écorné cette bureaucratie. Pire: le pays souffre d'un "capitalisme de connivence" peu compatible avec les exigences de rigueur et de transparence. Le scandale du conglomérat Adani, soupçonné de manipulations boursières et de fraudes comptables... dont le dossier n'a jamais abouti, en est une belle illustration. Plus près de nous, le holding belge Sofina en sait aussi quelque chose au travers de sa participation dans Byju's, entreprise d'apprentissage via Internet. Le holding de la famille Boël vient de se joindre à plusieurs autres actionnaires pour exiger une assemblée extraordinaire devant modifier la direction, suite à de gros problèmes de gouvernance. Sur un tout autre plan, les bénéfices des entreprises, assez modestes, n'ont pas suivi la forte hausse de la bourse indienne (165% depuis 2016 et l'arrivée au pouvoir de Modi, contre 120% pour les États-Unis), de sorte que ce marché est devenu fort cher. Se méfier de la Chine n'implique pas une confiance aveugle dans l'Inde... C'est pourquoi le mot le plus important pour l'investisseur reste: diversification!