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Le journal du Médecin: l'IA est-elle une menace pour l'emploi médical? Va-t-elle remplacer des médecins? Notamment les radiologues? Avez-vous une crainte? Philippe Kolh: J'ai assez peu de crainte. C'est difficile à dire. Il y a différentes manières de voir l'intelligence artificielle... En imagerie médicale, par exemple, elle peut être utilisée soit pour détecter des lésions, qui sont peut-être difficiles à détecter par ailleurs. Des études montrent qu'en matière de mammographie, le sénologue ne détecte parfois pas ce que l'IA détecte. Ça dépend notamment de l'expérience du sénologue ou du radiologue. Il faut aider le praticien à mettre en évidence des petites lésions non détectées par ailleurs. On peut prendre d'autres exemples. Il y a une aide certaine de l'IA... On peut également la voir comme moyen de "protocoler" une quantité importante d'imagerie faite en routine dans les services de soins intensifs par exemple. Quasiment tous les jours, certains types d'examens - je pense aux radiothorax - sont réalisés et ce n'est pas forcément une valeur ajoutée pour le médecin de les regarder toutes. L'IA peut être utile. Mais il faut raison garder. Certes, il y a une crainte dans certaines catégories d'emploi. Mais il est trop tôt pour se prononcer. Néanmoins, pourrait-on imaginer des opérations "banales" telle la cataracte par exemple qui pourraient être réalisées par une "machine" dans laquelle comme chez l'opticien, le patient s'installerait? C'est possible. Mais, de nouveau, il faut imaginer une précision particulièrement importante dans le cas précis de la cataracte. Au CHU, on fait plusieurs interventions de cataracte tous les jours. Plusieurs ophtalmologues sont spécialisés là-dedans. Il est difficile de se projeter... ChatGPT a évolué considérablement en très peu de temps. Ça a surpris tout le monde... Pour le moment, les robots, notamment Da Vinci, sont plus des "assistants" du chirurgien qui "garde la main"... En effet. Mais cette chirurgie qui existe depuis 20 ans n'a pas eu l'essor qu'on pensait à l'époque. Pour différentes raisons, notamment le coût élevé. Quid de l'IA - notamment ChatGPT et ses avatars - comme outil de recherche? Ce dispositif est déjà massivement utilisé pour des lettres de motivation, des CV, des mémoires (ça écrit très bien dans un français très convenable)... Est-ce une solution pour les médecins et pour les étudiants en médecine de l'utiliser pour parfaire ses connaissances - avec le revers de la médaille: des étudiants qui ne rédigent plus eux-mêmes leurs travaux... Sur ce dernier point, c'est évidemment une catastrophe... Comme outil de recherche? J'y suis favorable si l'outil amène des informations complémentaires, ciblées. Exemple périphérique: l'évolution du Dossier patient informatisé (DPI). Concernant les systèmes d'aide à la décision et au-delà, l'IA pourrait aider à mettre en lien tous les éléments du DPI, par exemple lorsque le patient a de nombreux antécédents oncologiques, traumatologiques, pneumologiques, vasculaires. Idem pour les guidelines récentes qui pourraient être mises en lien avec les données du DPI, en vue d'une médecine très personnalisée. À l'heure actuelle, nous visons à soigner les patients de manière EBM et au sommet de l'EBM, il y a les études randomisées. Mais dans ces dernières, il y a énormément de critères d'exclusion. Donc, souvent, on arrive à une conclusion sur une nouvelle molécule testée en ayant exclu de nombreux malades. Bien sûr, il faut une puissance statistique substantielle sinon le médicament ne serait pas commercialisé. Néanmoins, en raison des critères d'exclusion, on cible une population généralement très homogène. On en déduit que c'est valable chez tout le monde. Ce qui n'est pas correct, probablement. Si on veut aller plus loin, il faut lier les publications, guidelines de la littérature, avec les éléments précis du patient qu'on traite. Le médecin peut le faire pour chaque patient aux antécédents complexes mais cela prend énormément de temps. Ce n'est pas faisable. L'IA pourrait, me semble-t-il, nous aider. Elle doit être progressivement intégrée dans les DPI. Je suis aussi professeur de bio-physiologie humaine. J'ai donc de nombreux étudiants. Certains utilisent ce système pour faire réaliser leurs travaux! En médecine, c'est probablement moins le cas qu'en sciences humaines ou en droit... Car à part le TFE, il y a peu de travaux écrits pendant le tronc commun en médecine. Mais il n'en reste pas moins que l'université doit être particulièrement vigilante! En tant qu'enseignant, pensez-vous que vos collègues sont préparés à déceler la "tricherie"? Je ne le crois pas. La tricherie "traditionnelle" est déjà difficile à déceler... Les étudiants sont très ingénieux... En France, une dizaine d'étudiants ont rédigé à peu près la même chose... et donc ils ont été confondus... En tant qu'outil de recherche, une doctorante en physique me suggérait que ce que ChatGPT fournit peut parfois avoir l'apparence de la science (c'est vraisemblable) mais est complètement faux. Faut-il systématiquement fact-checker l'IA? Je le crois! C'est clair. Elle peut se tromper... D'autant qu'elle ne dispose pas toujours de l'information la plus récente. Il faut aussi se demander à quelles données a-t-elle accès? Qu'a-t-on mis dans sa "mémoire"? A-t-elle accès ou non à internet? ChatGPT se limite-t-elle à 2021? Je crois que c'est un peu plus récent. Mais c'est effectivement un souci. Il faut vérifier. Sur LinkedIn, un médecin soulignait la nécessité dans sa recherche assistée par l'IA de poser les bonnes questions. Or rien n'est moins simple... C'est exact. Bonne remarque. En tant que médecin, vous allez notamment sur Google, pensez-vous que l'IA apportant l'info sans effort va prendre le pas sur Google et autres moteurs de recherche? C'est difficile à dire aujourd'hui... Prenons les voitures électriques, elles doivent remplacer les thermiques, mais est-ce que ça va arriver un jour? En médecine, on utilise beaucoup plus Pubmed que Google. C'est pointu et ciblé. Les moteurs de recherche restent utiles car ils référencent énormément de choses. Mais tout dépend des mots clés qu'on introduit. Ne pourrait-on pas le faire en parallèle, IA et moteurs de recherche? Bonne idée! Si on pense à la médecine générale, qui utilise déjà la téléconsultation, pourrait-on imaginer à moyen terme, pour les petits bobos, de contacter une IA pour "premier avis". Si on est insatisfait, on peut toujours passer à un médecin généraliste "humain"... On pourrait l'imaginer... On essaie de développer des tests miniatures de triage. Il y a quelques questions posées au patient et on le dirige soit directement vers les urgences soit vers le médecin de première ligne. L'objectif serait de désengorger les urgences. Mais il y a bobo et bobo: une petite lésion de la cheville, cela peut être une entorse ou une fracture. Sans radio, impossible de savoir. En consultation de pré-anesthésie, ce serait possible d'utiliser l'IA, notamment concernant les médications à éviter. Au-delà, les téléconsultations se font souvent en vidéo-conférence... C'est compliqué. Cela dépend de la situation. Le risque est que le patient soit mal orienté. Mais c'est déjà peut-être le cas avec des patients qui utilisent "Dr Google". Peut-on imaginer un 1733 partiellement IA, puisqu'il y a tellement de plaintes en ce moment? On pourrait. Mais il faut être prudent. Il faut tester tout cela. Ça dépend des circonstances... Je vois l'IA de manière positive si on l'utilise de manière intelligente. De manière provocatrice, je dis souvent que l'intelligence humaine fait aussi des erreurs. Il faut aussi que l'humain ait bien réglé la machine (pensons aux juges de ligne robotisé en tennis par exemple)... En effet. À mon avis, ce sera à peu près pareil dans la chirurgie robotique: le technicien et le chirurgien, mutatis mutandis, devront être vigilants. A contrario, on parle de pénuries dans de nombreuses spécialités: l'IA pourrait-elle constituer une forme de délégation de tâches? Possible. Bien qu'il n'y ait pas de nombreuses pénuries en imagerie médicale. Mais ce qui est prégnant, ce sont les pénuries d'infirmières. Au CHU de Liège, il en manque 200 sur 2.000 environ. En discussion avec des collègues français et américains, j'ai constaté que c'est le cas aussi dans ces pays, par exemple. L'IA peut-elle suppléer le travail des infirmières? Pensons à la distribution des médicaments, les prises des paramètres, l'anamnèse infirmière, les soins de plaies,... Que peut faire véritablement l'IA là-dedans? Un robot pourrait distribuer les médicaments... Il y a évidemment un risque de déshumanisation mais lorsqu'une infirmière encadre 15 lits et ne peut s'occuper que de la moitié, ce n'est guère mieux pour le patient. La nuit notamment, l'encadrement étant faible, on peut imaginer des infirmières robotisées à roulettes... Exactement. Y a-t-il dans votre hôpital une cellule consacrée à l'IA qui réfléchit à tout cela? Y a-t-il, par ailleurs, une prise de conscience globale au niveau des médecins chefs et des gestionnaires de cette révolution sans précédent dans l'histoire de l'humanité? Il n'existe pas réellement une cellule ad hoc. Dans mon département des technologies de l'information, on y réfléchit. Dans un cadre européen notamment. On n'a pas, cependant, constitué une cellule multidisciplinaire sur ce sujet comme il en existe en matière de réseau hospitalier par exemple. Y a-t-il une prise de conscience? Pas chez tout le monde. Je pourrais suggérer ce genre de choses. La Wallonie (et plus généralement l'Europe) est-elle en retard? Si on compare à certains pays asiatiques, certainement. Vous croyez à une prise de pouvoir de l'IA type "Terminator" ou "2001 Odyssée de l'Espace", y compris en médecine? Non. Je ne suis pas d'un naturel pessimiste. Ni catastrophiste. J'ai commencé la médecine en 1982, on parlait des ordinateurs personnels. Il y en avait peu. À l'époque, déjà, la question de la prise de contrôle par les ordinateurs se posait. On en est loin. Quelle responsabilité civile et pénale avec l'IA? Un médecin ou un soignant peut-il se défausser sur la machine pour échapper à ses responsabilités? Non. Le médecin porte toujours la responsabilité ultime. Mais il est important d'avoir un cadre légal et réglementaire! On y réfléchit notamment à l'Académie royale de médecine, pour prendre position sur le sujet...