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Le journal du Médecin: Quelles sont les caractéristiques du perfectionniste? Est-ce un défaut ou une qualité? Caroline Depuydt: Le perfectionnisme est la poursuite intransigeante de normes extrêmement élevées, qui sont personnellement exigeantes, inébranlablement orientées vers la réalisation de ces normes, et où l'autocritique en cas d'échec est implacable. Donc le perfectionnisme est comme une arme à double tranchant, c'est une qualité de vouloir faire de son mieux, cela nous rend responsable, efficace, performant, de confiance. Mais cela a un coût si on ne met pas des limites, si on n'accepte pas l'imprécision, l'imperfection, et dans ce cas, cela peut devenir un défaut, ou en tous cas, se retourner contre nous, parce qu'on n'arrive pas à s'arrêter jusqu'à épuisement. Donc, cela commence à poser problème quand il s'agit non seulement de vouloir faire de son mieux mais en fait de vouloir tout faire parfaitement sans se donner le droit à l'erreur. Pourquoi les perfectionnistes sont souvent des workaholiques? Les perfectionnistes ont des attentes très élevées vis-à-vis d'eux-mêmes (et d'autrui), et ils auront à coeur de produire un travail de haute qualité. Ils auront tendance à vouloir que tout soit bien réalisé dans les moindres détails. Ils ont peur de l'échec, travailler sans relâche peut être une manière de contrôler cette anxiété en se rassurant sur le fait qu'ils font tout leur possible pour réussir. Ils sont fort dépendants du regard des autres, recherchent la validation externe et craignent les critiques. Travailler beaucoup leur donne un sentiment de contrôle, ils aiment cet environnement professionnel structuré où les règles et les objectifs sont clairs, cela les rassure (...) Tous ces éléments expliquent pourquoi les perfectionnistes s'engagent souvent dans les activités professionnelles à fond voire même jusqu'au workaholisme. Quand on sait que beaucoup de médecins sont perfectionnistes (de nombreuses études le montrent), on comprend mieux pourquoi ils sont aussi souvent fort (parfois trop) engagés dans leur travail... Le perfectionnisme mène-t-il forcément au burn out? 100% des perfectionnistes n'auront pas un burn out (heureusement) et 100% des personnes en burn out ne sont pas perfectionnistes. Cette caractéristique du perfectionnisme mal adapté est un facteur de risque dans l'apparition d'un burn out, car il mène à l'épuisement mais il n'en est pas la cause unique (...) Ce livre part-il de votre vécu? Ce livre part de ces constats: j'entendais de plus en plus de témoignages dans ma patientèle, ainsi que dans mon entourage proche de ce sentiment d'épuisement, de n'avoir jamais fini, d'en faire toujours plus, de ne pas pouvoir s'arrêter et de culpabiliser à l'idée de dire non. Comme si nous étions tous soumis à de plus en plus d'injonctions à tout faire parfaitement dans tous les domaines de notre vie, la partie professionnelle, privée, les enfants, les amis, le sport, l'alimentation, le sommeil, etc. J'ai surtout réalisé qu'en effet, moi-même, j'étais complètement prise au piège de ces injonctions que je m'imposais et que je filais aussi droit vers l'épuisement, surtout dans la période de sortie du covid durant laquelle j'avais beaucoup travaillé. En tant que médecin, j'ai été formatée à donner beaucoup, à être perfectionniste, à ne pas mettre mes limites, mais je me suis rendu compte de l'impasse dans laquelle j'étais en train de m'enfoncer. Ce livre a donc aussi été une autothérapie qui m'a permis de réadapter mes missions et mes valeurs, de remettre mes limites et de continuer à m'investir avec enthousiasme mais aussi à dire non au reste. Quels conseils donnez-vous dans le livre pour "soigner" son perfectionnisme? Le livre est pleins d'outils pratiques, de tests (validés scientifiquement) et d'exercices pour avancer dans cet apprivoisement de son propre perfectionnisme. Je propose une espèce de méthodes en trois étapes. En effet, le cerveau est complexe et imbriqué, quand on en fait trop et qu'on s'épuise c'est souvent le résultat d'un dysfonctionnement au niveau de trois grandes zones du cerveau et c'est donc en apaisant ces trois zones que l'on pourra se relâcher. La première zone est la zone limbique, émotionnelle, qui parle de notre besoin d'être aimé et d'être reconnu (...) La deuxième zone du cerveau est le cortex préfrontal qui est la zone qui nous permet d'établir des règles et de les respecter. Quand on est perfectionniste et qu'on a tendance à en faire trop, cette zone se rigidifie et les règles deviennent des obligations qui ne nous donnent pas le droit à l'erreur. La deuxième étape sera donc de calmer cette zone en mettant un peu de flexibilité mentale dans le système et en se donnant le droit à l'erreur (...) La troisième zone du cerveau est le système nerveux autonome qui active le système de stress et de survie. Et la troisième étape sera donc de calmer ce système nerveux autonome et de diminuer le stress grâce à des approches psychocorporelles comme la cohérence cardiaque qui est un exercice de respiration qui vise à équilibrer le système nerveux autonome. Il s'agit d'apprendre à se reposer aussi, tout simplement. Par exemple, en mettant en place dix minutes de rien par jour, dix minutes durant lesquelles on se met dans un fauteuil ou dans son lit et on se permet de rêvasser sans lire, sans regarder la télévision, sans checker ses e-mails, sans être sur les réseaux sociaux.