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Le but des recherches du Professeur François Fuks, directeur du Laboratoire d'Epigénétique du Cancer (ULB) et de l'ULB Cancer Research Center (U-CRC), est de mieux comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires du cancer pour pouvoir mieux le traiter, en particulier ceux qui sont responsables des métastases, sachant que 90% des personnes qui succombent au cancer sont victimes de la dissémination de cellules cancéreuses dans le corps. " Comprendre pourquoi et comment ces métastases se forment et parviennent à se répandre dans le reste du corps est un défi majeur en oncologie", considère le Pr Fuks. Un défi qu'a souhaité relever le Dr. Jana Jeschke du laboratoire du Pr Fuks avec le soutien d'autres équipes de l'Institut Bordet, de la KULeuven et de l'Université de Liège. Pour la première fois, le Dr Jeschke et ses collègues lèvent le voile sur le rôle clef que joue l'enzyme FTO dans le développement des métastases cancéreuses. Une découverte réalisée grâce à l'épigénétique qui est la spécialité de cette équipe de l'ULB. " L'épigénétique consiste à étudier les modifications dans l'expression des gènes non seulement au niveau de l'ADN mais aussi depuis quelques années de l'ARN", explique François Fuks. " C'est un domaine en plein essor. Début 2016, nous avions déjà publié une étude dans la revue Science qui mettait en exergue l'importance de l'alphabet qui compose l'ARN et le rôle d'une des lettres qui vient enrichir cet alphabet: l'hydroxyméthylation ou hmC." " Ces derniers mois, l'ARN messager a été médiatisé via les vaccins contre le Covid-19. Il est aussi question désormais d'un vaccin similaire pour lutter contre le cancer. Nous sommes un peu dans le même registre puisque nous travaillons aussi sur la molécule l'ARNm, non pas avec un intérêt en termes de virologie et de vaccins, mais à des fins thérapeutiques autres." " L'ADN est constitué de quatre lettres/nucléotides - A, T, G, C - dont la séquence forme notre génome, et nous savons qu'une cinquième lettre, la méthylation de l'ADN ou mC, participe à la spécialisation des cellules, en contrôlant l'expression de certains gènes," rappelle le Pr Fuks . "Tout comme pour l'ADN, outre les quatre lettres bien connues - A, U, G, C -, des lettres additionnelles habillent chimiquement l'ARN, l'autre molécule de la vie. C'est le cas de hmC mais aussi, nous venons de le découvrir, de la lettre m6A, ou méthylation de l'adénosine, survenant dans l'ARN messager." " On s'est posé la question de savoir si cet alphabet enrichi pouvait avoir un impact dans le cancer. Des travaux précédents ont révélé que la lettre m6A pouvait mener au cancer lorsqu'elle était apposée de manière inappropriée. Nous avons étudié l'action de m6A et constaté qu'il faut parfois enlever cette lettre à certains ARN pour que ceux-ci ne soient pas produits de manière anormale." Ce faisant, l'équipe du Pr Fuks a surtout mis en évidence un mécanisme moléculaire conduisant aux métastases, jusqu'ici insoupçonné: une protéine appelée FTO régule la production de m6A sur des ARN messagers impliqués dans une voie de signalisation très importante dans l'apparition des métastases, la voie WNT. " FTO, c'est comme une gomme qui va pouvoir enlever le trop plein de m6A sur les ARNm. Malheureusement, dans le cancer, la gomme est cassée, autrement dit, l'expression de la protéine est réduite et on ne peut plus effacer comme on le souhaiterait cette marque m6A, ce qui favorise l'apparition de métastases. Nous avons montré ce mécanisme de manière très claire sur un modèle murin et des biopsies de patientes." Les scientifiques de l'ULB ont ainsi ouvert la voie à un nouveau traitement potentiel des métastases qui serait basé sur une thérapie épigénétique de l'ARNm. " L'idée serait de venir avec une sorte de colle, une petite molécule chimique qui réparerait la gomme abîmée de manière à pouvoir inhiber l'activité enzymatique de FTO et faire en sorte d'effacer à nouveau m6A sur certains ARNm." L'équipe de François Fuks a pu mettre en évidence ce mécanisme particulier dans le cancer du sein, mais le même phénomène a été constaté dans une dizaine d'autres cancers: prostate, utérus, poumons, etc. " C'est un modèle qui a l'air assez général et qui semble très important." Cette nouvelle recherche devrait non seulement ouvrir un nouveau chapitre des connaissances sur la compréhension de l'apparition des métastases, mais elle devrait également mener à un nouveau paradigme de traitement des cancers, basé sur l'épigénétique de l'ARN, et donc à de nouvelles pistes prometteuses dans le cadre de l'oncologie personnalisée. " Nous essayons à présent d'identifier de nouvelles lettres de l'alphabet de l'ARN et les différentes gommes impliquées, de montrer quelle est leur implication dans le cancer et les métastases, de repérer d'autres mécanismes et de nouvelles cibles de manière à pouvoir élaborer des traitements anticancéreux inédits."