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L'heure du choix'' titrait votre journal du Médecin du 26 mai 1998, il y a tout juste 25 ans, à trois jours de l'avènement des premières élections médicales belges. Le compte à rebours de ce scrutin historique démarrait symboliquement avec l'envoi, par voie postale, des bulletins de vote jadis encore sur papier. Si l'on poste désormais sa voix par la voie numérique, les enjeux des élections n'ont, eux, guère profondément changé en un quart de siècle. Alors que dans le monde, en 1998, Microsoft lance sa première version de Windows 98, Volkswagen rachète Rolls-Royce, un TGV déraille en Allemagne faisant plus de 100 morts, que la tension monte au Kosovo, Tabarly disparaît en mer, la Loi sur les 35 heures est adoptée en France ou encore qu'Arantxa Sánchez et Carlos Moyà remportent Roland-Garros (pour vous remettre au parfum, NdlR), au petit Royaume de Belgique, les dossiers chauds qui agitent les deux syndicats médicaux en lice (Absym et Cartel) sont: la revalorisation de l'acte intellectuel, l'organisation et la qualité des soins, le conventionnement, l'échelonnement, les honoraires des médecins à l'hôpital, leur implication dans la gestion et les CA et les suppléments en chambre, les médecines parallèles et la formation continue. La seule révolution, en fin de compte, se niche dans l'offre médicale: les discussions font florès autour de la pléthore et non de la pénurie, on cause "numerus clausus" et contingentement de l'accès aux stages. "D'où vient-on?", contextualise le Dr Jacque de Toeuf, alors président de l'Absym: "d'un système sans élections du tout, où chacun joue de son influence en vertu d'un rapport de force qui tient compte... d'on ne sait quoi! C'est Marcel Colla qui introduit la notion d'élections médicales, à ce moment-là avec des places réservées aux médecins généralistes d'un côté et aux spécialistes de l'autre. Quand les premières élections ont finalement lieu, en juin 1998, ça fait bien trois ans qu'on en discute." Effectivement, le thème des élections apparaît dès 1995 lors de réunions chez le Premier ministre (Dehaene) avec les ministres Colla (Santé publique et Pensions) et De Galan (Affaires sociales). "Il est décidé de croire aux élections et de commencer la campagne", s'enthousiasment déjà les membres du C.A. de la Confédération des médecins belges (ASGB+GBO-VBO) en janvier 1995. "Il y aurait deux collèges, un de généralistes et un de spécialistes, pas de vote croisé et scrutin à la proportionnelle", souligne, en mars 1997, une note confidentielle de cette même Confédération qui planche déjà sur l'organisation pratique d'"élections éventuelles". Avec quels candidats? "L'organisation syndicale devrait être mixte, exister depuis au moins trois ans, reprenant au moins deux régions et capable de fournir au moins 2.000 signatures d'appui." "On a toujours demandé des élections et on s'est toujours fait renvoyer aux fraises!", se souvient le Dr Pierre Drielsma, actuel trésorier du GBO/Cartel. "Il n'y avait que deux syndicats reconnus comme ''représentatifs'': l'ASGB et les Chambres syndicales. Les sièges étaient répartis de façon arbitraire, les Chambres en avaient la majorité. Les spécialistes, plus nombreux, faisaient passer tout ce qu'ils voulaient. On s'est dit qu'il fallait faire deux collèges pour que seuls les généralistes puissent voter pour des généralistes. Et on l'a obtenu de De Galan! À son cabinet, il y avait deux consultants médecins: Pierre Gillet (actuellement à la direction médicale du CHU de Liège, NdlR), alors généraliste en maison médicale, et Michel Roland, également généraliste en maison médicale et professeur de médecine générale à l'ULB."Voilà qui n'était pas du tout du goût d'André Wynen, du côté des Chambres... "Moi je trouvais ça très bien, lui trouvait ça très mauvais", sourit Jacques de Toeuf. "Forcément, il était bien content du système qui existait et lui donnait huit des onze sièges! Le rapport de force se faisait en débauchant des gens représentatifs, le paysage était éclaté et André, qui n'était plus président mais avait encore ses ''groupies'', souhaitait rassembler tout le monde sous sa bannière. Au lendemain des premières élections, nous n'avions plus que sept sièges et le Cartel, cinq. C'était certes moins bien, mais personnellement j'ai toujours été partisan de la démocratie à tous les niveaux." "Quand on a su qu'il y aurait bien des élections, ce fut une grande joie", reprend Pierre Drielsma. "Puis, il a fallu les gagner!" Le médecin généraliste participe au dépouillement des bulletins de vote au siège de l'Inami: "Cela permettait de voir les tendances en Flandre et en Wallonie, ce qui n'est plus le cas à présent, c'est complètement opaque." Sans trop de surprise, le GBO obtient la majorité au collège des généralistes. "Cela permet de débloquer toute une série de dossiers, nous intervenons beaucoup plus et avons toutes les raisons d'être heureux", se souvient le Dr Drielsma. "Le seul débat, à l'époque, était de scinder ou non l'entièreté de l'Inami entre généralistes d'un côté et spécialistes de l'autre", poursuit le Dr de Toeuf. "Nous ne le voulions pas, le compromis fut de ventiler en même temps, entre MG et MS, les sièges en médico-mut, au Conseil technique médical et au Comité de l'assurance." Changement de paradigme en 2014, avec l'arrivée de l'AADM sur l'échiquier syndical. "Avant les élections, Onkelinx modifie les règles légales qui définissent les critères de reconnaissances des organisations syndicales, ce qui fait monter en piste un troisième larron, l'AADM", précise Jacques de Toeuf. L'Alliance, rentrée dans le jeu de façon subreptice, fait d'assez beaux résultats, engrangeant trois sièges (contre un à l'Absym et deux au Cartel) sur le banc des généralistes. "Avec AADM éligible, les voix des généralistes s'émiettent, trois syndicats doivent désormais se partager le même gâteau...", glisse Pierre Drielsma. "AADM devient le premier en 2014 en faisant plus de 40%, puis ça s'inverse en 2018 où nous repassons au-dessus d'eux mais pas assez pour récupérer le troisième siège! On se retrouve tous les trois avec deux sièges (clé D'Hondt, NdlR), mais avec 40% pour nous, 36% pour AADM et 25% pour l'Absym", défalque le trésorier du GBO, qui incarne la mémoire comptable de toute l'histoire de ces élections médicales. En 2017, De Block change à son tour la réglementation électorale, pour y inclure des quotas de représentativité régionale, ainsi qu'entre MG et MS. Jusque-là, il suffisait d'avoir plus d'un généraliste ou spécialiste parmi ses membres pour se prétendre "représentatif". D'aucuns estiment que l'Alliance est montée en piste en 2014 avec bien peu de spécialistes à son bord... Et que ce manque de représentativité pourrait expliquer - davantage que le covid officiellement invoqué par Frank Vandenbroucke - le report des élections à 2023 alors qu'elles se déroulaient d'habitude tous les quatre ans. Les élections auront donc désormais lieu tous les cinq ans. "Or plus les périodes inter-électorales sont longues, pire c'est si les personnes élues ne sont pas les bonnes...", soupire le Dr de Toeuf. Qui par ailleurs, fort d'une carrière complète consacrée à la défense professionnelle, appelle plus que jamais au vote: "Allez voter car si nous, syndicats, ne représentons plus personne, on ne tiendra plus compte de notre avis. Les grands patrons de l'assurance maladie sont le ministre et les mutuelles. Soit on s'oppose, soit on joue les idiots utiles..."