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Celui qui fut d'abord photographe de plateau voit sa nouvelle pièce, "En attendant la fin", partir en tournée en Wallonie jusqu'à la fin du mois. L'occasion d'interroger ce drôle de paroissien, qui se garde bien de tout prêchi-prêcha en nous révélant la nature de son credo. Le journal du Médecin: "Purgatoire", "Les Dernières volontés", "Délivre-nous du mal"... Tout ça fait un peu 'amen'? Dominique Bréda: La mort se situe en-dehors de la religion finalement, et nous concerne tous. Mais elle envahit cependant le champ religieux ou politique: c'est un sujet vaste, varié et universel, une crainte qui dépasse les cultures et les frontières. Pour certains, la mort est dans l'ordre des choses et plus ou moins acceptable mais, individuellement, j'ai l'impression que nous ressentons à peu près tous la même chose en face d'elle. Prendre le parti du mort de rire pour conjurer la peur est une bonne idée, d'autant plus que l'on parle de moins en moins de la mort, finalement, dans nos sociétés contemporaines... En tout cas, on s'en éloigne de plus en plus, tentant de la tenir à distance. C'est vrai qu'il fut un temps où les gens mouraient chez eux, le cercueil restait ouvert. Nous avons pris peur, ce qui n'empêche pas la mort de venir. Le rire est la politesse du désespoir, c'est un peu votre maxime? Oui. Quand il n'y a plus rien d'autre à faire, on est bien obligés de rire de ce qui nous arrive. À partir du moment où l'on souffre, il faut peut-être se poser la question: "Est-ce qu'on n'en rirait pas un peu?" J'imagine qu'on rit sur le front en Russie ou en Ukraine. On a certainement ri à Auschwitz parce que c'est la seule chose que les prisonniers possédaient encore, qu'ils avaient encore un rien de force pour rire, que ce soit devant la tyrannie ou devant la mort.C'est un remède universel? Je ne sais pas si l'humour est universel mais la démarche de rire, certainement. L'une de vos premières pièces s'intitulait "Le Groupe". Chez vous, la notion de troupe paraît importante... Le théâtre est une aventure collective: on ne peut le pratiquer tout seul, ni jouer, ni mettre en scène, ni écrire ; si l'on veut créer une oeuvre en solo, mieux vaut écrire un roman. Pour le reste, on est obligé d'être dans un esprit collectif. Mais vous en aviez déjà l'optique, puisque vous étiez musicien dans un groupe de rock. Au théâtre, vous êtes tel un compositeur qui écrit pour ses interprètes? Il y a, en effet, un côté groupe de rock. Depuis que j'ai 15 ans, j'ai été habitué à ce format. Mais j'ai toujours voulu faire partir d'un groupe. Disons que je suis plus Beatles que David Bowie, même si j'aime les deux. Souvent, dans vos pièces, il est question de religion, qui est un bon sujet d'humour. Vous avez un rire 'excommunicatif'? (il rit) Pas trop quand même. Je ne me suis pas encore fait excommunier, même si je ne fais partie d'aucune chapelle. Je n'ai pas envie d'écrire contre les religions. Mes pièces ne sont pas blasphématoires vis-à-vis des croyants. On croise parfois cette suffisance de l'athée qui possède la vérité. Du style: "Je sais qu'il n'y a rien et tous les autres sont des guignols". Ce qui est une croyance comme une autre. Il n'y a pas d'arrogance à avoir... Vos pièces sont à la fois drôles et profondes mais souvent, vous posez plus de questions que vous n'apportez de réponses... Je n'ai pas la vérité. Par contre, les questions qu'on se pose peuvent se partager plus facilement. Cela me paraît plus pertinent, en tout cas, que d'imposer des réponses. Mais certains donnent des réponses, et c'est très bien. En suscitant le rire, vous suscitez aussi la réflexion. Ce n'est pas anodin... Mais j'ai l'impression qu'il n'y a que ce qui me fait réfléchir, qui peut vraiment me faire rire. C'est à partir de ce moment-là que les idées surgissent... Pour rire moi-même, j'ai besoin de réfléchir. Je ne veux pas être méprisant, non plus, par rapport à d'autres manières de rire. De toute façon, lorsqu'on pratique l'humour, qu'on fait rire les gens, on est sauvé: on ira au Paradis (il sourit). Fondamentalement, quelle que soit la manière dont on les fait rire, c'est bon pour la santé mentale, physique et pour la santé globale des personnes et du monde en général. Le politiquement correct est-il un sujet de drôlerie? Oui, évidemment. Il y a une hypocrisie, une parure, une espèce de mauvaise... foi. Vos pièces sont-elles souvent politiques? "Aura Popularis" l'était, de manière évidente... Finalement, les choses de la vie, sans en avoir l'air, sont politiques: il est donc difficile de faire l'économie d'un tel sujet. D'autant plus que les problèmes structurels de la société se règlent par la politique. Nous n'avons pas d'autres moyens que celui-là: on peut compter sur l'évolution des mentalités, mais il faut passer par la politique à un moment donné. C'est donc un sujet important. Finalement, vos pièces parlent de politique sans le dire... De toute façon, j'ai l'impression qu'un peu partout on parle de politique sans en parler. Vous êtes photographe de formation. Cela vous dote-t-il d'un certain regard et d'une capacité de mise à distance? Une mise à distance, je ne sais pas, mais en tout cas, cela me permet de tourner autour d'un sujet pour tenter de trouver le bon angle: tout se tient, j'ai l'impression. Qu'il s'agisse de la musique ou de la photographie, voire de la danse... On peut apprendre de tout: pour un cinéaste, être musicien, c'est un petit plus, au niveau de la justesse ou de la pertinence. Qui peut le plus peut le mieux... Vous êtes une sorte de Martin Parr du théâtre? Je ne suis pas sûr d'atteindre un tel niveau dans l'humour ou l'ironie, mais ses photographies sont géniales. Vous êtes libre d'y voir ce que vous voulez. Martin Parr n'impose rien. Parfois, les mots sont pesants parce qu'ils définissent et verrouillent: j'essaie de me battre contre le fait d'expliquer, de trop expliquer. On ne peut pas dire que Martin Parr se moque vraiment. Il fait montre d'une ironie tendre, c'est aussi votre cas? Mon rire n'est pas moqueur: la moquerie ne me paraît pas très intéressante car elle place l'autre en-dehors de soi, alors que lorsqu'on tente de trouver les travers d'une société ou des personnes qui la composent, on dispose de nombreux exemples à l'intérieur de soi - pas besoin d'aller piocher dans la bêtise des autres, on en a suffisamment en soi pour s'amuser. Les Monty Python, c'est votre came? Oui, j'ai grandi avec eux. Chez les Monty Python, il n'y a pas non plus une injonction à rire: on peut être mal à l'aise. Ce qui est étonnant, c'est que vous avez l'impression que ça a été écrit pour vous, quand vous le regardez. J'avais 15 ans quand je les ai découverts et je me disais: "Comment d'autres gens peuvent-ils rire de cela?" Un peu comme les Snuls: une espèce de finesse et un degré très particulier d'autodérision et d'absurde. Votre philosophie, c'est un peu naître et le néant. Vous parlez beaucoup de la naissance et de la Mort... La vie est un intervalle, un moment charnière entre deux néants: on était dans le néant avant d'y retourner. Ce qui peut rassurer vis-à-vis de la peur de la mort. Nous avons déjà été morts, nous avons déjà 'non-existé' pendant très longtemps, ce qui ne nous a pas posé de problème. Puisque nous parlons d'intervalle, évoquons la musique. Les musiques que vous utilisez sont des chansons rock d'avant votre naissance, justement... C'est la nostalgie peut-être... De quelque chose que l'on n'a pas connu? J'ai toujours été nostalgique de ce que je n'ai pas connu. J'ai des souvenirs de nostalgie de ma petite enfance quand je lisais des bédés d'avant, de vieux exemplaires du journal Spirou. Je voyais de publicités anciennes et j'avais l'impression que le monde était plus beau auparavant. Ce qui est faux évidemment, et c'est un travers que j'ai et que je n'aime pas trop. Le passé est toujours plus beau que le présent parce qu'il est idéalisé. Chaque fois que l'on convoque le passé, on le transforme un peu, finalement au point de devenir une fiction. De son propre passé, avec un peu d'imagination, on peut faire quelque chose de beau... De plus beau que le présent.