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D'abord un constat, beaucoup de médecins hospitaliers quittent l'hôpital et s'installent en "libéral", soit pour partie, soit pour l'intégralité de leur activité. J'observe cela dans mon patelin (Seraing) depuis un certain nombre d'années. Les motivations sont probablement mélangées: s'éloigner de la lourdeur fonctionnelle de l'hôpital, en finir avec les rétrocessions d'honoraires et éviter les gardes hospitalières. L'énumération n'est peut-être pas complète... En réponse (partielle) à ce phénomène problématique pour lui, l'hôpital descend sur la ville. (...) En tant que responsables hospitaliers, le Dr Devos et la directrice du CHR de Liège n'y voient que du bien puisqu'il rapproche la médecine spécialisée des consommateurs de soins. (...) Philippe Devos ajoute: "Nous avons une mission de service public", mais il vend rapidement la mèche, affirmant: "L'idée est tout à fait pertinente sur le plan économique". Plus loin, il ajoute, candide: "Quand on est en difficulté, le seul moyen de survivre est de continuer à offrir la plus large offre de soins possible au plus grand nombre de patients possible. L'hôpital qui ne le fait pas sera mangé par les autres". À aucun moment n'est questionnée la pertinence des soins, leur correspondance réelle avec des besoins objectivés mais plutôt une demande de patients, voire encore pis un désir irrationnel de soins. Ainsi, la logique de cette descente est économique (augmentation des recettes) et répond à un besoin de satisfaire les consultants hospitaliers (semble-t-il peu satisfaits des conditions de consultation intra-muros). À la crise de l'utilisation hospitalière, la réponse des gestionnaires est une riposte de marché (si tu ne viens pas à l'hôpital, l'hôpital ira à toi...). Le Dr Herry, médecin généraliste, s'en inquiète et déclare, impavide: "Les spécialistes redirigent vers leur hôpital pour des examens complémentaires qui peuvent mener à une opération ou à une hospitalisation...". En bon français, cela veut dire qu'il existe un risque d'engager le patient vers des soins de pertinence faible (à faible valeur ajoutée, voire pis: inutile ou dangereuse). Tout comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, notre confrère Luc Herry défend ainsi l'échelonnement des soins. C'est-à-dire utiliser le rôle du généraliste comme filtre actif pour prévenir les soins inutiles ou nuisibles (soit la prévention quaternaire selon le Dr Jamoulle). Il va encore plus loin quand il "s'inquiète de l'ombre que ces nouvelles polycliniques risquent de faire aux médecins généralistes des villes...". (...) Nous nous trouvons face à des analyses essentiellement économistes, avec une solution à la crise des soins par une concurrence accrue et un recours intensif au marché pour assurer la régulation des soins et le retour à l'équilibre. Le Dr Herry réalise une défense essentiellement corporatiste en cherchant un territoire sécurisé hors de la concurrence des spécialistes. Il concentre notre tâche sur le suivi longitudinal et global des maladies chroniques avec renvoi itératif au spécialiste. Mais il ne développe guère le rôle d'amont comme filtre actif pour résoudre 80 à 90% des problèmes de santé sans recours à la deuxième ligne. Le Dr Devos manifeste son incompréhension de la fonction de la médecine générale puisqu'il souhaite intégrer un ou quelques généralistes dans ces polycliniques, alors que d'un point de vue intégration ils devraient les engager tous. Il croit voir de la jalousie envers le MG hospitalier alors qu'un MG n'a rien à faire à l'hôpital (15% des citoyens passent par l'hôpital en une année, alors que 85% des patients voient un MG sur l'année). Au surplus, tout MG qui entre dans une institution est un MG (tout ou partie) perdu pour les soins ambulatoires, où la pénurie est criante (...). Le Dr Herry voit d'instinct qu'il faut réformer en profondeur les soins de santé mais ne peut s'attaquer au déséquilibre des flux financiers entre la première et la deuxième ligne car il toucherait alors aux intérêts des spécialistes (le gros des bataillons électoraux de l'Absym). AADM est uasi exclusivement constitué de médecins généralistes néerlandophones. Seul le Cartel (dont fait partie de GBO) présente un équilibre professionnel presque parfait qui devrait lui permettre de proposer des solutions sensées. (...) Le "sauve qui peut" économique ne peut servir de moteur rationnel (...) Il faut une vision. Cette vision, ce sont des soins basés non sur l'hôpital qui est la pointe du système (..) mais sur les soins de base (de la pyramide). L'utilisation des deuxième et troisième lignes est tributaire de la capacité de la première à diagnostiquer et à traiter le maximum de problèmes de santé sans recours à la deuxième ligne. Et quand la nécessité apparaît, le spécialiste doit surtout jouer une rôle de conseil, d'information et de formation pour la première ligne. Pas de problème pourtant s'il prend le leadership pour les problèmes de grande chirurgie, d'oncologie, de maladies rares et/ou compliquées, etc. Ce principe qu'on appelle l'échelonnement (...) joue un rôle structurant sur les soins et évite tout effet de concurrence, non pour préserver une corporation mais au contraire pour que chacun joue le rôle ou sa plus-value santé est maximale. Dès lors que le principe de subsidiarité est admis par tous les soignants, la répartition des tâches se fera le plus naturellement du monde. Et la question de spécialistes (ou de pharmaciens d'ailleurs) dans des centres de santé de première ligne comme évoqué (de travers) par les hospitaliers ne posera guère de problème dès lors qu'ils sont là pour faire exclusivement ce que les autres ne savent (il s'agit bien d'un savoir) pas faire et jouer leur rôle de conseil et de formation. Mais si c'est, pour les pédiatres, être les généralistes des enfants ou, pour les gynécos, être les généralistes de femmes, alors vade retro satanas...