...

Pour le Pr Cédric Blanpain (Université Libre de Bruxelles - ULB), l'année 2020 s'est terminée en fanfare. Tout juste auréolé du célèbre Prix Francqui, il a vu les derniers résultats des travaux menés par son équipe être publiés dans la prestigieuse revue Nature. Fruits d'une collaboration entre différents groupes de recherche et départements cliniques belges, français et espagnols, ces résultats sont robustes et ils ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques chez les patients atteints de cancers présentant des mutations dans le gène FAT1. " Le gène FAT1, dont le nom 'gras 1' s'explique par son gigantisme, apparaît comme l'un des gènes les plus fréquemment mutés dans un large éventail de cancers humains, en particulier dans le carcinome spinocellulaire, mais aussi les cancers du poumon, de la tête et cou et de la cavité buccale", explique Ievgenia Pastushenko, dermatologue aux Cliniques de l'Europe, qui a rejoint le laboratoire du Pr Blanpain il y a environ quatre ans d'ici et qui est la première auteure de cette étude. Malgré la haute fréquence des mutations de FAT1, son rôle dans le cancer restait mal compris. L'objectif de cette nouvelle étude était donc de comprendre le rôle précis des mutations de FAT1 dans le cancer. Il a été largement atteint comme le précise Ievgenia Pastushenko. " Nous avons d'abord constaté que les mutations de FAT1 favorisent la transition épithéliale mésenchymateuse ou EMT, un processus par lequel les cellules de l'épiderme se détachent de leurs cellules voisines et acquièrent des propriétés migratoires des cellules mésenchymateuses. L'EMT est importante pour initier la cascade métastatique permettant aux cellules cancéreuses de quitter la tumeur primaire. Située sur la membrane des cellules, la protéine FAT1 aide à maintenir les cellules épithéliales attachées les unes aux autres et à préserver la structure organisée du tissu épithélial. Lorsqu'une mutation de FAT1 se produit, cette fonction est perdue et les cellules tumorales subissent une EMT." " Fait intéressant, nous avons aussi remarqué que les mutations de FAT1 non seulement favorisent l'EMT, mais induisent et stabilisent un état cellulaire très spécifique, l'EMT hybride ou partiel, caractérisé par la co-expression des gènes épithéliaux et mésenchymateux dans les cellules tumorales. Nous avons démontré que cet état EMT hybride survenant après la perte de fonction de FAT1 favorise les métastases et est associé à de mauvais résultats cliniques chez les patients cancéreux." Ce n'est pas tout. En utilisant différentes approches moléculaires - divers modèles de souris transgéniques, échantillons de tumeurs humaines et plusieurs technologies de pointe telles que CRISPR-Cas9 -, les scientifiques ont réussi à déchiffrer les mécanismes moléculaires précis par lesquels les mutations FAT1 favorisent l'état EMT hybride. " L'identification des mécanismes qui favorisent cet état tumoral hautement métastatique nous a permis de mettre en évidence le fait que les cellules tumorales mutées pour FAT1 sont résistantes aux médicaments fréquemment utilisés pour traiter les patients atteints de carcinomes épidermoïdes avancés ou métastatiques, tels que les inhibiteurs du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR)", poursuit le Dr Pastushenko. " Plus remarquable encore, nous avons démontré que les cellules tumorales épithéliales qui sont mutées pour FAT1 activent la voie de la kinase SRC qui entraîne l'EMT, et que ces cellules tumorales sont extrêmement sensibles aux inhibiteurs de SRC qui sont actuellement utilisés pour traiter les patients atteints de la leucémie et de la maladie d'Alzheimer. Ces inhibiteurs leur font perdre leur capacité d'invasivité." " Enfin, nous avons identifié un nouvel acteur moléculaire, mal étudié dans le cancer, la Calcium Calmodulin-Dependant Protein Kinase II (CAMK2), et pour lequel il n'existe pas d'inhibiteurs efficaces et spécifiques disponibles. CAMK2 joue un rôle central dans la promotion du phénotype hybride EMT et des métastases dans les cellules mutées FAT1." S'ils sont confirmés par des études cliniques, ces résultats auront des implications immédiates et majeures pour le traitement personnalisé des patients atteints de cancers présentant des mutations dans FAT1. Ievgenia Pastushenko en est persuadée. " Nos résultats sont tellement importants que nous n'avons pas hésité à déposer un brevet qui spécifie la méthode de prédiction de la sensibilité et de la résistance à la thérapie basée sur la présence de mutations dans FAT1, en particulier la résistance des tumeurs mutées FAT1 aux inhibiteurs de l'EGFR et la sensibilité aux inhibiteurs de la kinase SRC. Ces derniers pourraient avantageusement être utilisés pour lutter contre d'autres cancers que celui du sang. A cet égard, nous allons essayer de nouer des partenariats avec des fabricants d'inhibiteurs de SRC afin d'élargir nos études précliniques et de tester la réponse des tumeurs mutées FAT1 à de tels inhibiteurs dans un large répertoire de types de cancers. Si la réponse s'avère positive, nous nous embarquerons alors directement dans un essai clinique avec de vrais patients." " A plus long terme, nous envisageons le développement d'inhibiteurs de CAMK2 que nous pourrions aussi utiliser pour traiter des patients cancéreux", conclut la jeune chercheuse qui se dit ravie d'être impliquée dans ces diverses pistes de recherches.