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Fondé au tournant du siècle dernier par Karl Ernst Osthaus, industriel allemand de Hagen non loin de Essen, lequel s'enticha de collecter de l'art moderne pour l'époque, le Folkwang musée a attiré à lui, dès sa fondation dans cette ville de province en 1902, des artistes allemands qui vinrent y admirer les toiles avant-gardistes venues de France que comptait la collection, profitant même de résidences proposées par le généreux mécène et capitaine d'industrie. La première salle propose une intéressante comparaison entre Erich Heckel qui, en 1921, s'inspire dans une Vue de plage de celle de Gauguin vingt ans plus tôt, ou notamment exhibe une toile de Gabriele Münter appartenant au groupe Der Blaue Reiter, laquelle s'inspire manifestement d'une Nature morte de Matisse rarement montrée. Autre influence ou épiphanie pour ces artistes allemands: l'art d'Edward Munch, présent ici avec cinq gravures sur bois, dont le fameux autoportrait de 1895 annonçant Spilliaert. Parmi les artistes en résidence, Bötticher s'inspire clairement du peintre norvégien, dont il reprend la technique de gravure, de même que Christian Rohlfs dont les peintures sourdes évoquent aussi Permeke. Cette partie initiale présente également des peintres issus du mouvement Die Brücke (1905 à 13), comme Schmidt-Rottluff - présent avec le quasi abstrait Maison et arbres et Ernst Ludwig Kirchner, qui, dans le cas d'un paysage intitulé Lehmgrube, évoque un mélange de Cézanne et van Gogh. Lequel Kirchner connaîtra sa propre rétrospective dans l'ancien Folkwang de Hagen (le nouveau sera fondé à Essen en 1922) exposant notamment un portrait d'Erna au parasol japonais aux relents... japonistes. Les gravures sur bois de Heckel en noir et blanc ont quant à elles certainement dû influencer Masereel, son cadet de dix ans. Le Blaue Reiter paraît plus aimable romantique que Die Brücke, à voir les peintures de Franz Marc dans sa vision presque cubiste du Buffle couché (c'est une de ses peintures qui donne le nom du Blaue Reiter), lui qui adore peindre des animaux. Son tigre, et surtout son "école de dressage", une autre gravure sur bois bichrome, paraît, par son mouvement, presque futuriste. La sous-estimée Gabriele Münter est présente avec trois peintures expressives, notamment deux natures mortes qui joignent un Kadinsky qui fut son amant. Egon Schiele, dont Osthaus avait acquis 14 aquarelles et une peinture (un paysage étonnant de 1913) est ici restitué grâce aux prêts notamment du musée de Zurich et de Vienne (un quart des oeuvres viennent de Suisse, d'Autriche ou d'ailleurs en Allemagne) dispersés par les nazis en 33. Un tableau de Kokoschka le représente en compagnie d'Alma Malher en 1912, et six de ses dessins démontrent l'audace du collectionneur et des deux premiers directeurs du musée à l'époque. Moins connue, Paula Modersohn-Becker, morte trop jeune, fait également preuve d'audace au début du siècle dernier, notamment dans une série d'autoportraits à la fois précubistes et naïfs et des natures mortes qui évoquent Cézanne par moment. Un autre artiste acquis et qui conquit le fondateur du musée comme on l'a vu, fut Kirchner auquel est dédié une salle, avec notamment un mouvementé et chagalien Train dans les montagnes suisses. Des montagnes où il se réfugia après la guerre, donnant lieu à des peintures moins tourmentées, plus neutres et donc... helvètes comme ce Paysage à Davos. Son histoire miraculeuse de Peter Schlemihl, soldat (qu'il fut en 14-18) qui vend son âme au Diable, sur gravure sur bois colorée a, pour sa part, tout de la bande dessinée avant l'heure. L'expo comprend également un espace consacré aux sculptures de Wilhelm Lehmbruck, plutôt académique bien qu'il se considérait expressionniste, et d'Ernst Barlach qui l'est beaucoup plus et dont "l'horreur" rappelle l'agenouillé à la fontaine de Georges Minne. Autre découverte: Otto Mueller, choix de Ernst Gosebruch le deuxième directeur, qui fut associé à Die Brücke sans y être intégré: à voir ses oeuvres on comprend pourquoi... Emil Nolde, même s'il était plus âgé, fit bien partie de ce groupe de Dresde et a droit pour sa part à une salle complète: son style coloré et contrasté est bien moins terne, se veut expressif et, dans sa Nature morte à la figureen bois en 1911, annonce, dans le style enfantin, un mouvement Cobra en plus figuratif. Ses marines, qu'elles soient sous forme d'aquarelles (Mer et nuage, 1930) ou de peintures (Open sea, 1918) sont comme habitées. L'expo fluide et qui réunit plus de 200 oeuvres revient sur l'éviction en 1933 du deuxième directeur Gosebruck, remplacé par le nazi Baudissin: 1.400 oeuvres dont la liste est reproduite sont retirées des collections du Folkwang qui reçoit, par exemple, en "échange" des oeuvres classiques comme celle de Carl Gustav Carus montrant des moines rentrant à l'abbaye, certes d'un romantisme sombre et fervent, mais qui n'a évidemment rien à voir. Des reproductions photographiques noir et blanc, des salles de l'exposition d'art dégénéré présentée notamment à Munich en 1936 sont exposées, tout en pointant, en couleurs, celles en provenance du musée de Essen. Les dernières salles évoquent la façon dont, après la dernière guerre, le musée va tenter, et réussir parfois, de racheter les oeuvres incriminées, ou d'acquérir des travaux du même artiste qui sont similaires ou d'une même époque. Dans la deuxième catégorie se rangent le splendide Au café d'Emil Nolde d'une luminosité vibrante, la Tour rouge à Halle de Kirchner aux allures un peu slaves, et du trop peu connu Pechstein (qui révolutionnait autour de Die Brücke). Auteur notamment d'une Fille à la table qui évoque le Madame Ginoux de van Gogh. Émargent de la première catégorie, Mode: femme au parasol devant une vitrine aux relents précubistes d'August Macke en 1914 et surtout Le Couple dansant signé Kirchner et présenté à la sordide expo de Munich. Cette chasse aux oeuvres perdues n'est toujours pas finie, puisque le musée a récupéré aux enchères une gravure sur bois intitulée Deux femmes luttant de Heckel... l'an dernier. Mêlant harmonieusement histoire de l'art, du musée et qualité artistique, une exposition allemande qui de par son expression fait forte... impression.