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Depuis deux ans, les Prs Jérôme Lechien et Sven Saussez du Centre hospitalier Epicura s'attachent à documenter le lien entre perte d'odorat et formes légères du Covid-19. Ils viennent de publier une nouvelle étude (1) démontrant que l'infection par le Sars-CoV-2 peut être associée à des problèmes d'odorat définitifs chez un certain pourcentage de patients. Pour ce faire, ils ont suivi 171 patients de la première vague durant deux ans. "On a démontré que 2,9% ont un déficit semi-objectif (aux tests d'identification des odeurs) et quand on s'intéresse plutôt à l'ensemble de l'odorat (sentir les odeurs et les percevoir telles qu'elles sont), 29% ont des problèmes persistants, malgré la capacité à détecter les odeurs (tests psychophysiques)", explique le Pr Lechien. En juin dernier (2), nous vous présentions les résultats de l'étude lancée au CHU Saint-Pierre à Bruxelles par Younès Steffens (assistant du Pr Lechien) pour examiner l'utilité et la sécurité de l'injection de plasma riche en plaquettes (PRP) dans la fente olfactive, chez 56 patients souffrant d'une dysfonction olfactive post Covid-19 depuis au moins un an. Cette première étude randomisée contrôlée a démontré que cette approche permettait d'accélérer la récupération. Confortés par ces résultats préliminaires (3), les Prs Lechien et Saussez, en collaboration avec le Dr Khalife (chef de service ORL, Epicura), ont ouvert une consultation spécifique où le patient peut bénéficier de ces injections de PRP. "Cette technique est un espoir pour les milliers de patients présentant un trouble persistant de l'odorat après Covid-19", estime Jérôme Lechien. "À ce jour, j'ai injecté plus de 250 patients. J'observe environ 80% d'efficacité, tant sur la perte d'odorat que sur les parosmies. Cependant, pour publier ces résultats, j'attends d'avoir un groupe contrôle plus important." Pour être éligible à une injection de PRP, les patients Covid-19 doivent subir une perte d'odorat gênante depuis plus de six mois. "Généralement, s'ils n'ont pas récupéré à trois mois, ce sera très lent. J'ai aussi l'impression que plus on injecte tôt, plus le PRP est efficace. Tout cela reste expérimental", souligne l'ORL, qui a élargi ses critères d'inclusion à d'autres patients, comme ceux qui ont perdu l'odorat suite à un traumatisme ou en raison d'une maladie neurologique. "Avant de traiter, je fais toujours un scanner et une fibroscopie nasale rigide pour regarder au niveau des sinus s'il n'y a pas, par exemple, une rhinosinusite très importante, des polypes ou une tumeur. Comme le PRP est un boostant, je n'ai pas envie de précipiter une maladie sous-jacente. Il faut être très prudent étant donné qu'il n'y a que deux études qui utilisent le PRP dans le monde, celle de Bruxelles avec 60 patients (3) et celle de Stanford avec 12 patients, on manque de recul", insiste-t-il. Parmi les effets secondaires, évalués à deux moments (une semaine après l'injection, puis trois mois après), on relève 80% de saignements dans les cinq minutes qui suivent l'injection (quelques gouttes de sang pendant deux-trois minutes), 2% de syncopes vagales et 1% de céphalée. Aucun effet indésirable à long terme n'a été observé. Chez les cent premiers patients, une première amélioration a été notée en moyenne après 3,6 semaines, mais l'effet peut survenir dans les trois mois. "Je fais deux tests semi-objectifs: un avant l'injection, et un autre trois mois après. Si l'amélioration est très importante, je ne propose plus rien au patient et lui conseille de continuer la rééducation olfactive et gustative. Si l'amélioration est plus limitée (cinq points au test semi-objectif) et que le patient dit ressentir un bénéfice, je peux proposer une deuxième injection (4-5% des cas). S'il n'y a aucun changement, je ne fais pas de troisième injection." "Quand j'ai commencé le PRP, je n'étais pas convaincu que cela marcherait dans le nez", concède le Pr Lechien. "Alors que j'ai moi-même eu du PRP parce que je cours et que j'avais tout le temps des tendinites. Maintenant, je n'en ai plus. Finalement, j'ai eu des résultats très surprenants sur mes patients ORL. Sur le plan scientifique, il est urgent de publier nos résultats pour que d'autres études puissent commencer les injections de PRP et confirmer nos résultats. Notre population est composée d'Européens qui expriment le récepteur ACE2 dans la fente olfactive d'une façon différente que les Asiatiques, les Africains et probablement, même, que les Américains. Ce qui est intéressant c'est de voir le côté universel." Actuellement, la consultation pour l'injection de PRP affiche un délai de trois mois: "Je suis tout seul à le faire, j'encourage donc mes collègues ORL à s'y mettre parce qu'il y a de la demande." Le Pr Lechien s'est aussi rendu compte que les patients qui ont une perte d'odorat sur le long terme et un Covid long ont un profil psychologique particulier, caractérisé par de l'anxiété et un stress extrêmement importants. "Est-ce une conséquence du trouble de l'odorat persistant ou y a-t-il un profil psychologique prédisposant chez les Covid long? On ne sait pas. Des collègues à Marseille ont observé la même chose. Beaucoup de médecins généralistes qui m'adressent des patients avec une perte d'odorat, le notent également." "En ORL, c'est connu", ajoute-t-il. "Il existe des associations entre certaines maladies et un profil psychologique marqué par une forte anxiété et un stress important. Par exemple, le 'syndrome du nez vide' chez des patients opérés dans le nez et qui développent une incapacité à respirer par le nez. On ne comprend pas l'origine de ce syndrome, mais on remarque que tous les patients qui en souffrent ont un profil psychiatrique particulier." "J'envoie ces patients chez une logopède pour faire les testings d'odorat, pour avoir un suivi dans l'entraînement olfactif et pour les encourager mais, en parallèle, je leur conseille aussi de consulter un psychologue quand je vois qu'ils tremblent à ma consultation, qu'ils disent ne plus supporter les aliments... Que ce soit une cause ou une conséquence du problème d'odorat, c'est important parce que cela 'aggrave' la perception du déficit et impacte négativement leur vie."