...

1. L'organisation peut toujours être améliorée. Partout dans le monde, nous avons en fait assez bien adapté nos structures intra-hospitalières en convertissant en lits de soins intensifs certains lits d'autres unités, comme les unités coronaires, les salles de surveillance postopératoire ou même certaines salles d'opération (cela soulève d'ailleurs la question de la validité du nombre de lits de soins intensifs fourni par chaque pays...). Les Chinois ont recouru à des stades de sport ou à la construction rapide de nouveaux hôpitaux, la région de Londres a hospitalisé des patients dans un centre de congrès, la France a monté des tentes de l'armée dans des parkings... En Belgique, notre système de santé a montré que ses réserves sont assez substantielles. Nous aurions pu recourir à l'ouverture d'autres structures telles que l'hôpital militaire. Cependant, quelle que soit la région, le problème n'est pas limité à l'espace ni même au nombre de lits, si on ne dispose pas en suffisance d'appareils de support des organes (les respirateurs en particulier), et plus encore de personnel qualifié. 2. Le manque de respirateurs et de masques de CPAP a été un problème majeur dans beaucoup d'institutions (heureusement peu en Belgique). Nous avons fait preuve d'imagination parfois en ventilant deux, voire trois malades avec le même respirateur ou en utilisant des respirateurs plus simples tels que ceux utilisés en salle d'opération, en développant des nouveaux systèmes simplifiés d'assistance respiratoire. L'industrie automobile (et singulièrement la firme Audi à Bruxelles) a apporté son concours proposant des nouveaux systèmes rudimentaires d'assistance respiratoire. 3. L'organisation logistique a été améliorée: le personnel soignant était évidemment sous pression non seulement par le nombre réduit de personnel soignant par rapport au nombre de patients, mais aussi par les difficultés logistiques que représentent les entrées et sorties des chambres de malades contagieux. Ici aussi, nous avons fait preuve d'imagination, en développant différents systèmes de poches ('holsters') pour pouvoir ranger ses effets personnels (lunettes, telephone, carnets...) sur soi, tout en gardant les mains libres. On a connu l'essor considérable de l'échographie portable, qui permet d'obtenir une imagerie de qualité sans mobiliser le malade. Dans certains centres, on en est même revenu au support rénal par dialyse péritonéale pour limiter les déplacements pour le changement de solutions d'hémofiltration. Tous les moyens de communication entre l'intérieur et l'extérieur de la chambre ont été mieux organisés, y compris la télésurveillance. L'usage de la télémédecine a été étendu pour recourir à des avis extérieurs sans devoir inviter le consultant au chevet du malade. 4. Il a fallu former les équipes de renfort. Il y a heureusement eu beaucoup de personnes de bonne volonté provenant d'autres services dont l'activité a diminué, mais ces professionnels n'étaient pas formés à la prise en charge de malades graves. Une formation a dû être organisée 'sur le tas' ; et des cours internationaux ont aussi été rapidement proposés. 5. L'organisation des soins a dû s'adapter aux différences de qualification et d'expérience: plutôt que d'inviter les personnes venant à la rescousse à s'occuper du malade d'à côté, une prise en charge pyramidale a dû être assurée dans laquelle les infirmier(e)s spécialisé(e)s en soins intensifs même relativement jeunes doivent superviser les autres, tout comme les médecins intensivistes qualifiés doivent superviser non seulement leurs juniors (comme d'habitude) mais aussi les médecins d'autres spécialités, quelle que soit leur expérience et leur compétence dans leur domaine. 6. Nous avons rediscuté des principes éthiques de justice distributive Lorsque l'information était relativement limitée au début de la pandémie, des malades ont été admis en soins intensifs sans beaucoup de réflexion préalable à propos de leur âge et de leurs comorbidités, aboutissant rapidement à un problème de disponibilité en lits. Il a fallu souligner que la règle du 'premier arrivé, premier servi' ne peut s'appliquer dans ces circonstances. De même que le principe du tirage au sort ('loterie') pour décider qui occupera le lit disponible puisqu'il n'y a jamais deux patients qui sont identiques. Des décisions d'arrêt thérapeutique se sont imposées dans la douleur. 7. La communication avec les proches pouvait être améliorée. Dans le chaos, le maintien des familles à distance pouvait être souhaitable sur le plan sanitaire, mais a eu des conséquences humaines désastreuses. La présence des proches a heureusement souvent été autorisée auprès des malades en fin de vie. La communication s'est grandement améliorée par l'introduction de techniques de communication en distanciel que nous maitrisons tous bien à présent. 8. Le support psychologique était parfois déficient. nous avons été touchés par la vue de médecins italiens pleurant sur le trottoir à la sortie de l'hôpital ou de cette doctoresse new-yorkaise qui s'est donné la mort après une nuit trop éprouvante sur le plan humain. L'assistance de psychologues de profession s'avère nécessaire. 9. Nous avons compris que le Covid-19 n'est pas qu'une infection respiratoire. Même si au départ il s'agit évidemment d'une pneumopathie, le tableau clinique évolue rapidement en sepsis viral avec nécessité d'appliquer la stratégie thérapeutique adaptée. Les études autopsiques ont bien montré la présence de virus dans tous les organes. Au début de l'infection, la présence de l'oedème pulmonaire a parfois encouragé l'administration intempestive de diurétiques, menant à une hypovolémie pouvant contribuer à la dysfonction d'organes. La prise en charge hémodynamique a heureusement été améliorée. 10. Les progrès thérapeutiques auraient pu être plus rapides: Trop de temps a été perdu à évaluer l'efficacité de l'hydroxychloroquine alors que les données initiales n'étaient pas convaincantes et que d'autres options plus raisonnables auraient pu être testées. Ce sont les essais prospectifs, randomisés, contrôlés, multicentriques bien menés qui peuvent faire progresser le traitement d'une maladie. L'organisation de ces études cliniques a été trop lente. Heureusement, l'administration de corticostéroïdes (dexaméthasone en particulier) s'est avérée efficace. Soulignons au passage l'excellence du travail fourni par nos collègues anglais qui ont pu former un réseau particulièrement efficace d'études cliniques. Les effets bénéfiques du remdesivir sont douteux dans les cas avancés, de même que les anticorps monoclonaux, et la place de l'immunothérapie (comme le tocilizumab, l'anakinra ou le baricitinib) reste à affiner. Il y a d'autres options thérapeutiques intéressantes qui pourraient encore être testées. La clofazimine est le dernier agent prometteur sur la liste. 11. L'importance de l'anticoagulation a été bien établie: le Covid-19 est associé à une coagulopathie associée à une incidence accrue de thromboses. L'administration d'héparine est importante dans tous les cas, encore qu'une héparinothérapie intense n'améliore pas le prognostic des cas graves. 12. Les infections bactériennes associées ne sont pas aussi fréquentes qu'on aurait pu le penser. L'administration systématique d'antibiotiques parfois pratiquée dès l'admission à l'hôpital n'était pas judicieuse et pouvait contribuer à l'émergence de germes multirésistants. Il faut garder à l'esprit qu'un malade grave même fébrile ne nécessite pas toujours un traitement antibiotique. L'administration d'antibiotiques doit être motivée et si possible ciblée. Il ne s'agit que d'une esquisse d'une douzaine de points, mais il y a beaucoup plus à dire... Nous avons appris beaucoup, et beaucoup reste à faire... Affaire à suivre, donc.