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Naguère, la plupart des patients en passe d'être opérés redoutaient l'anesthésie. Aujourd'hui, ils arrivent en consultation préop' quasi les mains dans les poches... Tout est-il donc rose au pays des songes artificiels? "La période périopératoire demeure un moment fragile, un épisode où l'on va déstructurer la vie du patient", tempère le Dr Éric Deflandre, anesthésiste. "Une étude sur les dix premières causes de décès dans le monde montre que c'est la troisième après les infarctus et les AVC, entraînant quatre millions de décès chaque année." Certes, les critères de qualité et de sécurité ne sont pas les mêmes partout, mais l'anesthésie reste un moment clef, à gérer avec le patient, notamment au niveau de ses médications. Le Dr Deflandre, directeur médical de la Clinique Saint-Luc de Bouge (SLBO), a proposé une mise au point lors de la matinée scientifique de l'hôpital namurois en collaboration avec l'Association des généralistes de la Haute Hesbaye namuroise (AGHHN). Locorégionale (blocs nerveux, dont la rachi et la péridurale) ou plutôt générale, l'anesthésie? "Différentes études, sur des cohortes importantes, montrent que l'odds ratio est clairement en défaveur de l'AG, qui s'avère deux fois plus risquée (AVC, infarctus, infections au niveau du site opératoire...)", souligne d'emblée le Dr Deflandre. Faut-il pour autant opérer sous rachi pure tous les patients PTG/PTH (genou/hanche), au risque qu'ils entendent les (forts) bruits de l'intervention? "Recourir à une AG type 4 (sédation) avec la rachi permet au patient de ne pas se rendre compte de ce qui se passe au bloc. Ainsi, on est gagnant sur toute la ligne. Il faudra cependant gérer les substitutions médicamenteuses et trouver un équilibre face au risque d'hématome au niveau de la colonne."Le type d'intervention est aussi à prendre en compte. En cas de fracture du col par exemple, plus vite on opère, mieux c'est, le risque de mortalité inhérente à la fracture augmentant à partir de 48 h. "Si je dis au chirurgien orthopédiste qu'il faut attendre cinq jours pour éliminer l'anticoagulant pour faire une rachi, nous allons croiser les risques ensemble pour déterminer les plus importants", détaille le Dr Deflandre. Homéostasie durant les deux semaines préop', tel est le message à retenir: "On ne modifie rien, c'est-à-dire qu'on ne retire ni n'ajoute de médicament", insiste-t-il. À côté de cette règle, voici les particularités pour l'arrêt en fonction des molécules. Anti-agrégants plaquettaires: à part dans les chirurgies à très haut risque hémorragique, on n'arrête quasi plus l'AAS (< 200 mg/j), pas de substitution, pas de relais par HBPM. "Si le patient est vraiment à risque (d'AIT, p.ex.), on donne Asaflow 80 au matin." Pour le ticagrelol, dernière prise à J-5 (matin), clopidogrel et prasugrel à J-7. Antivitamines K et HBPM: dernière prise de Sintrom®à J-3 au matin. "Pas de substitution, sauf en cas de score CHA2DS2-VASc > 3, d'ATCD d'AVC sur FA, d'événement thromboembolique < trois mois ou de valve mécanique: dans ces cas, on met une HBPM thérapeutique, avec dernière dose H-24", conseille le Dr Deflandre. Dernière prise à J-5 pour la warfarine et à J-7 pour la phenprocoumone. Les Naco:"Cela s'est simplifié ces derniers mois", constate le Dr Deflandre. En prophylactique, dernière prise à H-24 (rivaroxaban), H-36 (apixaban) et H-48 (dabigatran). En usage thérapeutique, dernière prise à J-3 au matin. Jamais de relais. "Classiquement, deux nous ennuient un peu, les IECA et les Sartan, qui donnent des hypotensions assez embêtantes à court-circuiter", note l'anesthésiste. "La règle: ne pas prendre le jour de l'opération. Pour les patients décompensés cardiaques, nous avons tendance à mettre le traitement le matin de l'intervention car nous avons plus de bénéfices à le garder qu'à l'arrêter. Un seul doit être arrêté absolument, l'Entresto® car il est combiné au sacubitril qui agit plus sur le tonus vasculaire."Pour les bêtabloquants, la règle est de poursuivre: "L'étude Poise a montré moins d'infarctus mais beaucoup plus d'AVC, donc s'il faut mettre un patient sous bétabloquants, il faut le faire plus de 15 jours avant pour que l'organisme ait le temps de s'y habituer." Pour les diurétiques, pas de prise le matin de l'opération, pour le confort du patient "et pour le volume circulant périopératoire. À discuter cependant pour les patients décompensés cardiaques.""Pour les insulines lentes, dernière prise la veille au soir, à la dose habituelle. Pour les formes rapides, pas de prise le matin de l'opération, cela sera réglé par nous en interne", explique le Dr Deflandre. Le cas de la metformine a fait l'objet d'un changement: "On ne fait plus d'arrêt, sauf en cas de risque majeur d'hypotension, hypovolémie ou insuffisance rénale (arrêt H-24)." Pas d'arrêt pour le gliclazide. "Pour les inhibiteurs de SGLT-2, c'est un peu comme la metformine, ça donne un risque d'acidose métabolique, mais sans hyperglycémie. C'est très 'touchy' à diagnostiquer, donc on les arrête à J-3 dans les chirurgies majeures et intermédiaires." Attention au Jardiance®: on garde le jour même de l'opération chez les décompensés. "Les analogues du GLP-1 et les glipeptines ralentissent la vidange gastrique, on a donc un risque d'inhalation pendant l'opération", soulève l'anesthésiste, "or, l'inhalation engendre un risque majeur de décès: un patient sur dix qui inhale va faire une pneumonie et dans ce cas, il a 25 à 30% de risque de décès. On arrête donc ces médicaments per os H-24 le matin, et en sous-cutané, on n'administre pas dans la semaine qui précède."Immunosuppresseurs: "Nous ne les arrêtons plus du tout à Saint-Luc et n'avons aucun souci", assure le médecin. "Une étude avait montré un risque, très modéré, d'infection sur les PTG/PTH, mais elle date de 20 ans et n'a jamais été reconduite." Il ne faut plus, non plus, arrêter les statines (idem pour les antidépresseurs, benzo, neuroleptiques). Quant aux antiparkinsoniens, il faut surtout bien les poursuivre, et aux heures précises: "Sans oublier le dose de 10-11 h, s'il y en a une."Et l'estomac dans tout ça? Jeûne H-8 pour le gras, H-6 pour les aliments solides, H-6 pour le lait (H-4 pour le maternel) et H-2 pour l'eau, café noir sans lait, thé non sucré et jus sans pulpe. "Ainsi, vous êtes pile dans les recommandations, pour 90 à 95% des patients. Nous, anesthésistes, gérons les autres au cas par cas", conclut le Dr Deflandre. "Enfin, notez qu'il est intéressant de demander INR et TCA à l'occasion de vos biologies sanguines, une fois tous les deux ans, surtout chez les plus de 50 ans, cela nous évite de devoir repiquer juste pour ça."