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"L a perception du risque est un élément essentiel, en constante évolution en fonction de la pandémie et qui a des répercussions importantes par exemple sur la volonté des gens de se faire vacciner et sur leur opinion par rapport à l'obligation vaccinale", a précise le Pr Olivier Luminet (UCLouvain), lors d'un webinaire sur les déterminants psychologiques de la vaccination contre le Covid-19, donné le 17 janvier à l'invitation de l'Unité de recherche en psychosomatique et psycho-oncologie de l'ULB, en collaboration avec la Clinique de psycho-oncologie de l'Institut Jules Bordet et le Centre de psycho-oncologie. Le Baromètre de la motivation lancé en mars 2020 distingue la motivation volontaire ou intrinsèque (être convaincu par soi-même de la nécessité d'un comportement), la motivation par devoir (obligation, pression extérieure...) et des motivations négatives: méfiance, difficulté et défiance. "Dans la méfiance, on doute de l'efficacité, on a besoin d'être rassuré et de temps pour comprendre. La difficulté correspond aux efforts nécessaires (déplacement, temps...) pour adopter un comportement. Quant à la défiance, c'est l'opposition, l'impression d'une ingérence dans les libertés individuelles, c'est aussi dans ce groupe que circulent les fausses informations et les théories complotistes", explique le psychologue de la santé. "Dans toutes les enquêtes, on a montré un lien fort entre le type de motivation et l'intention vaccinale et que seule la motivation volontaire conduit à une plus grande volonté de se faire vacciner. Mais rien ne sert de pousser les gens, il faut qu'ils puissent se faire une opinion et comprendre l'intérêt que cela représente pour eux et les autres."La méfiance envers les autorités influence également fortement l'intention vaccinale: elle s'est accentuée au fur et à mesure de la crise, au fil des changements constants et des incohérences. Olivier Luminet insiste sur l'aspect communicationnel: "Nos comportements ont un effet décisif sur l'évolution de la pandémie, aussi bien dans la volonté ou non de se faire vacciner que de suivre les gestes barrière. La manière de communiquer l'assouplissement ou la sévérité des mesures doit être cohérente et en rapport avec la situation. Par exemple, entre octobre 20 et janvier 21, la confiance dans les autorités et la motivation des gens étaient étonnamment élevées alors qu'on était dans une période de nouvelle vague et de fatigue générale. En revanche, en février, la réouverture des salons de coiffure a eu un effet désastreux parce que les gens ont vu un décalage complet entre la situation épidémiologique (très mauvaise) et le fait de permettre ce genre d'activité.""Les autorités ont eu du mal à comprendre que les mesures ne sont pas automatiquement qualifiées d'insupportables, elles le sont quand elles sont en décalage avec la situation épidémiologique. Si elle est mauvaise, les gens sont prêts à faire des efforts."Le Baromètre indique que l'acceptation de la vaccination évolue avec le temps: "Entre mars et juin 2021, presque la moitié de ceux qui se disaient opposés au vaccin ont fini par le faire (21% dans le groupe 'refus total'). Ceci montre bien que ces questions nécessitent un certain temps de réflexion et que les gens y sont ouverts", constate le psychologue. Quel est le lien entre l'adoption des gestes barrière et le statut vaccinal? "C'est une question de motivation intrinsèque: si je suis motivé à me protéger et à protéger les autres, je vais autant adopter la démarche de vaccination que le port du masque, le respect des distances sociales... Une des difficultés actuelles c'est que les personnes non vaccinées sont objectivement plus à risque mais qu'elles se protègent nettement moins."Pourquoi cette différence de motivation entre vaccinés et non vaccinés? "La perception des risques est beaucoup plus basse chez les non vaccinés qui se sentent invulnérables et ont l'impression qu'ils ne seront pas fortement impactés en cas d'infection. Dans ce groupe, elle a fortement chuté en juillet et est très peu remontée en automne, quand les infections ont recommencé."Aujourd'hui, Omicron chamboule tout: "Une dissociation est en train de se faire entre la perception du risque d'infection qui continue à augmenter (les gens en sont conscients) et celle du risque d'infection grave qui chute littéralement au cours des dernières semaines. Les gens pensent être passés dans cette fameuse phase 'équivalente à la grippe saisonnière'. Il va être très difficile de rattraper les choses par rapport aux écarts de vaccination, à la troisième dose... Il faut expliquer qu'on ne peut pas tout d'un coup laisser tomber les gestes barrière", commente-t-il en plaidant pour une communication neutre qui met en évidence la perception des risques et les risques existants. Par rapport au Covid Safe Ticket (CST), la population vaccinée adapte ses comportements en fonction des circonstances, à l'inverse des non vaccinés qui font preuve d'une certaine rigidité alors que la situation requiert une adaptation. Seuls 10% des non vaccinés acceptent le CST, quelles que soient les circonstances. Chez les vaccinés, il y a plus de variation: autour de 70% d'acceptation pour les événements rassemblant beaucoup de monde, pour voyager, pour la vie nocturne, contre 40% pour aller en cours ou travailler. Par rapport à l'obligation vaccinale, la séparation entre vaccinés et non vaccinés est encore plus frappante: 0 à 3% des non vaccinés l'approuvent, alors qu'il y a une grande variabilité chez les vaccinés où 60-70% l'approuvent pour le secteur hospitalier, les soins aux plus vulnérables, et moins de 50% pour la vaccination des 12-18 ans. "Dans les circonstances nouvelles où la perception des risques diminue, les gens ont tendance à se dire que l'obligation vaccinale n'est pas nécessaire, qu'on est sorti de la pandémie."Le Pass vaccinal est moins bien accepté que le Pass Covid (CST), y compris par les vaccinés. "C'est une plus grande source de tension, les gens considèrent que c'est un moyen détourné d'aller vers la vaccination obligatoire, dès lors pourquoi passer par cet élément qui manifestement est compliqué et problématique?""Quand on a posé la question en décembre, deux tiers des répondants acceptaient l'idée de la troisième dose et un tiers était dans le doute ou le refus absolu. Le passage à la troisième dose ne va donc pas de soi et, de nouveau, la motivation volontaire est l'élément principal qui conduit à l'accepter. Quant à ceux qui sont motivés par devoir, ils sont plus dans la résistance qu'au printemps", souligne-t-il. Dernier sujet de friction: la vaccination des enfants. En décembre, seul un quart de la population se disait prête à faire vacciner son enfant de moins de 12 ans, avec un refus pratiquement systématique des personnes non vaccinées. Un gradient d'éducation joue: les gens qui ont un faible niveau d'éducation refusent le plus cette vaccination et, ici encore, la motivation volontaire est un facteur déterminant. "Dans ce débat sur la vaccination obligatoire, il faut absolument tenir compte du sentiment d'exclusion qui est en train de grandir assez fortement parmi les personnes non vaccinées (depuis septembre) et qui peut avoir des répercussions sur la santé mentale et sur la polarisation actuelle de la société", met en garde Olivier Luminet. "Il convient d'être attentif à ces questions de santé mentale: depuis l'automne, les indicateurs de dépression sont élevés, notamment chez les jeunes."