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Les rapports sexuels après consommation de l'une ou l'autre drogue - ce que l'on appelle une "consommation sexualisée" - concernent toutes les classes de la population. Le terme de chemsex ou party 'n play (PnP) désigne toutefois un phénomène beaucoup plus spécifique, qui se rencontre surtout chez les hommes qui ont des rapports avec des partenaires du même sexe (HSH) mais semble actuellement se propager à d'autres franges de la communauté LGBTQ. Il consiste à consommer une sélection bien spécifique de substances dans le but spécifique d'avoir des rapports sexuels prolongés, d'en renforcer l'intensité, de les faciliter et/ou d'améliorer les prestations, et est étroitement lié à l'utilisation d'applis de rencontres destinées à un public de HSH. Le Dr Alexandre Aslan, psychothérapeute et sexologue à l'hôpital Saint-Louis à Paris, a présenté l'été dernier à l'occasion de l'Albatros International Congress of Addiction une étude réalisée sur des adeptes du chemsex fréquentant sa consultation. Il souligne tout d'abord que les rapports reposant sur des applis de rencontres du type utilisé par les HSH présentent un certain nombre de particularités. Dans ce cas de figure, le contact sexuel n'est en effet pas motivé par la rencontre avec une personne suscitant un certain émoi (puisqu'on ne sait pas à l'avance sur qui on va tomber), mais par une sorte de "besoin interne". En outre, il n'est pas rare que plusieurs personnes soient présentes à ces rendez-vous, dont le besoin de "prester" fait donc partie intégrante. Ceci peut peut provoquer chez certains une forme de blocage et la consommation de substances ne vise donc pas uniquement à optimiser le plaisir, mais aussi à lever les inhibition et à favoriser les rapports. Le chemsex repose classiquement sur trois produits utilisés ensemble ou séparément, la méthamphétamine (crystal meth), la méphédrone et le GHB/GBL (gammahydroxybutyrate/gammabutyrolactone), auxquels peuvent s'ajouter un certain nombre d'autres substances telles que la kétamine. Les orgies peuvent durer 48 heures ou plus, durant lesquelles les participants passeront d'un partenaire à l'autre. Toujours d'après le Dr Aslan, l'identité de ce dernier en tant que personne passe ainsi complètement à l'arrière-plan, l'objectif suprême étant de prolonger le plaisir sexuel. Les risques associés à ces pratiques sont évidemment nombreux. Les adeptes du chemsex s'exposent ainsi à un risque non seulement de contracter des infections sexuellement transmissibles, mais aussi d'être victimes de lésions physiques telles que des fissures anales. Les drogues utilisées dans ce contexte peuvent également provoquer des problèmes de dépression ou de psychose et stimulent fortement la sécrétion de dopamine, ce qui les rend extrêmement addictives. Le Dr Aslan décrit une trajectoire où, dans un premier temps, la personne ne peut plus vivre sa sexualité sans le recours à la drogue... et où celle-ci finit après quelques années par prendre une importance telle que le volet sexuel disparaît complètement. Certains parviennent heureusement à garder un certain contrôle sur leur consommation, mais d'autres s'enfoncent inéluctablement. Dans son enquête auprès d'une centaine de personnes pratiquant le chemsex, Alexandre Aslan a constaté des répercussions néfastes sur la vie professionnelle (60% des répondants), la vie sexuelle et intime (55%) et les rapports avec les proches (famille et amis) (63%). À l'hôpital parisien, les prestataires de soins s'efforcent de dépister le phénomène en interrogeant les patients atteints d'infections sexuellement transmissibles sur leur consommation de substances au cours des rapports. Lorsqu'un patient déclare avoir une dizaine de partenaires par mois et n'a plus eu de rapports sans recourir à l'une ou l'autre drogue depuis un mois, la vigilance est de mise. Le traitement est multidisciplinaire, mais repose avant tout sur l'intervention d'un médecin spécialiste des dépendances et d'un sexologue, qui devra s'efforcer d'identifier les éventuelles dysfonctions sexuelles. Dans l'étude du Dr Aslan, 60% des adeptes du chemsex souffraient d'une dysfonction sexuelle préalable à l'abus de substances et qui avait contribué à l'alimenter ; l'expert parisien va jusqu'à affirmer que, si ce problème sous-jacent avait été pris en charge en temps utile, la consommation de substances n'aurait probablement jamais pris les mêmes proportions. Le sexologue peut travailler avec le patient pour lui apprendre à donner un souffle nouveau à ses fantasmes sans avoir recours à la drogue. Il est également important de disposer dans l'équipe d'un médecin capable d'identifier de possibles comorbidités psychiatriques (psychose, TDA/H, etc.). Malgré tout, le psychothérapeute parisien dresse un tableau plutôt optimiste du pronostic, même dans les cas les plus sévères. Certains patients se piquent toutes les demi-heures durant 24 à 48 heures mais, moyennant un traitement efficace, ces personnes aussi sont capables d'arrêter complètement en l'espace de quelques mois. D'après Alexandre Aslan, 20 à 30% des HSH s'adonnent au chemsex - un chiffre interpelant, mais qui semble confirmé par les données de l'institut Trimbos: dans les Amsterdam Cohort Studies, 36% des HSH séronégatifs pour le VIH déclaraient avoir eu des rapports de ce type au cours des six mois écoulés.