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Premier volet: la cardiologie pédiatrique et le certificat d'aptitude sportive, avec l'aide du Pr Stéphane Moniotte, chef du service de cardiologie pédiatrique aux Cliniques Universitaires Saint-Luc et conseiller pour la Task Force pédiatrique belge pour le Covid-19. Le journal du Médecin: Quelle est actuellement l'incidence des cardiopathies congénitales, et a-t-elle évolué au fil du temps? Pr Stéphane Moniotte: Il n'y a pas de réelle modification de cette incidence ces dernières années, bien qu'on ait suspecté que des facteurs environnementaux comme la pollution pourraient la modifier. Elle reste aux alentours de 0,8% des naissances vivantes, que ce soit en Belgique ou ailleurs, et est indépendante de l'origine ethnique. Chez nous, cela correspond à environ 1.200 naissances par an. A noter que si rarement les cardiopathies ont une origine génétique claire et précise (en cas de trisomie 21 par exemple), la majorité des cas répondent à des causes multifactorielles, dont parfois un "climat génétique familial." Quelles sont les cardiopathies congénitales les plus fréquentes? S.M: Ce sont les non-cyanogènes, dont la plus fréquente est la communication interauriculaire, qui augmente le débit au niveau du coeur droit et donc dans la circulation pulmonaire. Le souffle généré provient non pas de la communication auriculaire elle-même mais du débit sanguin majoré au travers de la valve pulmonaire. A terme, cette malformation peut conduire à une hypertension artérielle pulmonaire fixée (syndrome d'Eisenmenger), et doit donc être prise en charge suffisamment tôt dans la vie (< 12 ans). La cardiopathie congénitale cyanogène la plus fréquente est la tétralogie de Fallot. Pour rappel, il s'agit de l'association d'une communication interventriculaire, d'une dextroposition de l'aorte, d'une sténose pulmonaire et d'une hypertrophie du ventricule droit. C'est le mélange du sang au niveau ventriculaire, passant du VD au VG, qui induit une cyanose. A quoi un médecin de première ligne doit-il être particulièrement attentif dans le suivi d'un bébé chez qui rien de particulier n'a été observé au cours des premiers jours de vie? S.M.: Bien sûr, il y a avant tout l'éventuelle présence d'un souffle cardiaque, qui peut signaler la présence d'une anomalie intracardiaque, valvulaire, ou d'une persistance du canal artériel. Il est également primordial de palper les pouls fémoraux, à rechercher systématiquement chez le nouveau-né, permettant le diagnostic d'une coarctation de l'aorte ou de pathologies dites ducto-dépendantes avec shunt droit-gauche par le canal. Dans ces cardiopathies, la fermeture du canal artériel après le retour à domicile du bébé est souvent responsable d'une mort subite, et nécessite par conséquent un diagnostic et une prise en charge spécialisée. Il convient également de mesurer la saturation du sang artériel en oxygène, idéalement au membre supérieur droit et aux membres inférieurs, ce qui permet d'avoir une mesure en amont et en aval du canal artériel. Les chiffres seront identiques en l'absence de shunt droit-gauche par le canal artériel (qui signe une pathologie ducto-dépendante) mais, dans le cas contraire, la saturation sera significativement plus basse au niveau des pieds qu'au niveau du bras droit. Les dysmorphies faciales peuvent également signaler une anomalie - notamment - cardiaque, dans le cadre d'un tableau polymalformatif. Ainsi, les malformations les plus fréquemment associées à une malformation cardiaque touchent les reins, ou le lobe des oreilles, qui est "mal" ourlé. Il faut aussi se baser sur l'anamnèse (l'enfant s'alimente-t-il bien, respire-t-il bien? ), sur la prise de poids et sur la notion d'infections respiratoires à répétition, qui pourraient trouver leur cause dans un hyperdébit pulmonaire (shunt gauche-droit), et permettre de dépister un tableau de défaillance cardiaque débutante. Les médecins généralistes se voient régulièrement demander un certificat d'aptitude au sport pour des enfants. A quoi doivent-ils prêter particulièrement attention, sur le plan cardiovasculaire, avant de le délivrer? S.M.: Le premier point important à noter est qu'en médecine générale la consultation est très souvent motivée par une plainte formulée par le patient. Dans une consultation dédiée à la délivrance souhaitée d'un certificat d'aptitude sportive, la démarche est généralement inverse: le patient vient pour faire remplir son certificat, il n'a pas de plainte ou, pire, il arrive qu'il cache au médecin ses problèmes éventuels en vue d'obtenir malgré tout son certificat d'aptitude. La dynamique est très différente. La première chose à faire est donc d'être bien précautionneux et de pratiquer une anamnèse et un examen vraiment complets, en prenant le temps et dans de bonnes conditions. A l'examen clinique, il faut bien entendu prendre les pouls ainsi que la pression artérielle au bras droit - la prise au bras gauche a peu d'importance d'un point de vue cardiologique, car on ne peut pas présumer à quel niveau exact se situe une éventuelle (récidive de) coarctation de l'aorte. Si l'auscultation cardiaque (qui doit se faire également au niveau du dos, où l'on entend souvent le souffle lié à une coarctation) n'est pas claire, on fera faire à l'enfant quelques exercices simples avant de le réausculter, afin d'augmenter transitoirement le débit cardiaque. On vérifiera les dysmorphies éventuelles, comme la maladie de Marfan (arachnodactylie + envergure des bras supérieure à la taille), ainsi que la présence de xanthomes cutanés (hypercholestérolémie familiale, avec des symptômes coronariens très précoces). Chez des adolescents, on peut découvrir des signes d'insuffisance cardiaque tels que décrits chez l'adulte, comme une hépatomégalie, des jugulaires saillantes ou un OMI. L'ECG est un examen d'une utilité considérée comme plus limitée en dépistage, mais il est peu onéreux et permet tout de même de mesurer les espaces PR et QT, d'exclure un bloc de branche, de s'assurer que le rythme est sinusal et de repérer certaines maladies rares comme le syndrome de Brugada. A l'instar de ce que recommandent de nombreuses sociétés médicales et des structures comme le CIO ou la FIFA, cet examen est tellement simple à réaliser que nous l'effectuons presque systématiquement pour le certificat d'aptitude sportive. Quid de la consultation motivée pour des syncopes à l'effort chez l'enfant? S.M. - C'est une plainte très fréquente. La moitié environ de ces syncopes sont de type vagal, avec des prodromes (impression de tachycardie, de sueurs froides...) et une perte de connaissance souvent très brève. Malgré leur aspect parfois spectaculaire, il s'agit de situations anodines, même en cas de bradycardie importante: cela n'entraîne jamais de mort subite. On peut conseiller une amélioration globale de l'hygiène de vie, avec un sommeil suffisant et, surtout, encourager à bien déjeuner le matin ainsi qu'à ajouter du sel dans un des repas de la journée pour favoriser un peu de rétention hydrosodée. Une alternative appréciée par les adolescents: la consommation quotidienne d'une boisson riche en électrolytes, du genre Aquarius et consorts. La notion de syncopes plus longues et d'apparition brutales, avec peu de prodromes, doit plutôt faire penser à des troubles du rythme (notamment d'origine héréditaire), l'ECG permettant d'en faire le diagnostic. Le cas d'un enfant qui s'écroule littéralement en plein effort doit être considéré comme très suspect d'une telle anomalie. Ce genre d'incident sérieux peut le faire convulser transitoirement par l'anoxie cérébrale induite, conduisant à poser erronément un diagnostic d'épilepsie et prescrire un traitement inapproprié pendant des années. Deux causes majeures: la cardiomyopathie hypertrophique et une anomalie d'implantation des ostia coronaires, dont l'objectivation est souvent compliquée (elle nécessite une épreuve d'effort, ou encore une coronarographie, mais ces examens peuvent être considérés comme normaux alors que, dans certaines séries rétrospectives, des autopsies ont montré qu'il y avait bien un problème d'implantation). Last but not least: dans le cadre de la pandémie de Covid-19, doit-on craindre des phénomènes comme la maladie de Kawasaki, la myocardite ou le syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique (PIMS)? S.M.: Ces complications d'une infection virale sont bien réelles. Leur incidence semble un peu fluctuer en fonction du type de variant du Sars-CoV-2 avec, semble-t-il, une incidence plus forte avec le variant Omicron. Mais les nombres d'enfants hospitalisés pour ces motifs sont actuellement faibles, la mortalité liée à ces entités est très faible, et le traitement par l'association d'IgG en IV et de stéroïdes se montre généralement très efficace. La vigilance est de mise, mais il n'y a pas lieu de céder à la panique. En cas de doute, un diagnostic spécialisé peut toujours être demandé à un cardiologue pédiatrique.