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Les professionnels du monde financier n'affichent pas un optimisme délirant pour l'année 2024. Déjà sur le plan macroéconomique, la Banque Mondiale a récemment annoncé une croissance de 2,4%, contre 2,6% en 2023. De son côté, le FMI avait déjà avancé 2,9%, après 3% l'an dernier. Et alors que l'Inde et le Japon sont cités parmi les pays tirant la moyenne vers le haut, l'Europe la tire au contraire vers le bas. En particulier l'Allemagne, aujourd'hui en très mauvaise forme, dont la (dé)croissance passerait de -0,3% l'an dernier à -0,5% cette année. Pas d'enthousiasme particulier non plus à propos des bénéfices des entreprises. De plus, en ce début d'année, les commentaires sont quasi unanimes: les investisseurs ont été trop optimistes à la fin 2023, anticipant une baisse des taux d'intérêt assez rapide. Le fait est que l'inflation a remonté en décembre et que les taux ont un peu suivi. Point de pessimisme pour autant en ce qui concerne l'année 2024 dans son ensemble: elle ne sera pas mirobolante, mais il n'y a pas de raison qu'elle soit mauvaise. Nous avons ici retenu les perspectives 2024 de trois gestionnaires d'actifs, dont la vision donne globalement un tableau riche d'enseignements. Gestionnaire de fonds chez Robeco, Arnout van Rhijn explique d'entrée de jeu: l'investisseur sera cette année assez mal rémunéré en prenant des risques. Sur la base de ratios techniques concernant les rendements et returns attendus pour les quatre années à venir, le portefeuille idéal est passé de 60% d'obligations (et 40% d'actions) en 2023 à 80% d'obligations cette année, une proportion vraiment très élevée! "En tant que spécialiste des actions, je ne vais pas vous conseiller d'investir 80% en obligations, sourit-il, mais voilà un changement spectaculaire qu'on ne peut ignorer."Très logiquement, le gestionnaire se montre dès lors assez réservé à l'égard de la bourse. Surtout pour les actions américaines, vraiment fort chères. Mais c'est au niveau global qu'il prévient: les attentes de bénéfices risquent fort de ne pas pouvoir être rencontrées, tandis que les investisseurs risquent d'exiger des actions moins chères que l'an dernier. Le jugement est très semblable chez Candriam, partenaire de Belfius: "Les performances attendues sur les marchés d'actions sont dans nos hypothèses insuffisantes pour couvrir le risque de déception sur la croissance économique et les aléas géopolitiques. Notre portefeuille pour 2024 privilégie par conséquent les obligations, avec une duration plus longue", explique Nadège Dufossé, qui supervise la gestion multi-actifs. Notion très prisée des professionnels de la finance, la duration s'apparente grosso modo à la durée. Les taux d'intérêt n'étant plus attendus en hausse, mais au contraire en baisse, la maison allonge donc la durée des placements obligataires, à l'instar de nombreux gestionnaires. Pas très "chaud" à l'égard des actions, en raison de la hausse déjà réalisée à la fin 2023, Candriam juge toutefois certaines thématiques attrayantes. Il retient ainsi la santé et la consommation non cyclique, secteurs qui ont largement sous-performé en 2023. Autant le premier est aisément identifié, même si on peut l'interpréter dans un sens plus ou moins large, autant le second mérite d'être précisé. Aussi appelé consommation de base, ce qui est plus explicite, il regroupe l'alimentation, en ce compris les boissons, les produits d'hygiène et ménagers (mais aussi le tabac, on ose à peine l'écrire...), sans oublier les entreprises de distribution. Poussée dans le dos par l'intelligence artificielle, les valeurs technologiques devraient continuer à réaliser des bénéfices en croissance. Évoquant plus spécifiquement les actions, Alex Tedder, de la maison Schroders, concède que la formidable hausse des fameux "sept magnifiques" n'est pas déraisonnable. Faut-il rappeler que ces sept valeurs technologiques américaines sont les superstars du marché, avec une hausse globale de près de 100% l'an dernier? Elle va d'un peu plus de 50% "seulement" pour Apple, Alphabet et Microsoft à pas moins de 240% pour Nvidia! Et ce n'est pas nouveau: elles ont, depuis le début 2020, explosé de 336%, contre 40% pour l'ensemble de la bourse américaine. Pas déraisonnable? Non, car leur croissance est très supérieure à la moyenne et le restera dans les deux ans à venir, estiment les analystes. Un chiffre encore: leur marge bénéficiaire est attendue un peu au-delà de 20% cette année et en 2025, soit le double du reste du marché! Peut-être n'est-il donc pas urgent de vendre ces vedettes... Plus globalement pourtant, Alex Tedder estime qu'il faut à présent changer son fusil d'épaule. C'est-à-dire se tourner davantage vers les autres marchés que Wall Street, plus particulièrement le Japon, la Grande-Bretagne et les pays émergents. Ces derniers ont beaucoup déçu ces dernières années: leur hausse globale se limite à 28% depuis la fin 2010, contre 115% pour l'Europe et 388% pour les États-Unis. Et ceci à cause de la Chine en particulier. Mais les prochaines années se présentent mieux, avec des bénéfices progressant en 2024 et 2025 davantage que dans les autres régions du monde. Outre les actions britanniques, "probablement les plus mal aimées" et donc peu chères, ce sont surtout les valeurs japonaises qui sont mises en vedette chez Schroders, comme chez quelques autres gestionnaires du reste. La raison en est simple: elles sont très bon marché. Plus de la moitié d'entre elles affichent un cours de bourse inférieur à leur valeur comptable, ce qui est exceptionnel. Ce serait normal si ces entreprises étaient peu rentables, par exemple, mais ce n'est pas le cas. De plus, elles ont récemment adopté une attitude plus positive à l'égard de leurs actionnaires, en augmentant les dividendes notamment, ce qui a attiré l'attention de l'étranger. Un investisseur néophyte pourrait s'inquiéter de l'affirmation qu'on a pu lire un peu partout, en ce début d'année, dans les commentaires financiers: "la bourse de Tokyo est au plus haut depuis 30 ans". Il ne faut évidemment pas retenir le "plus haut", mais plutôt le "30 ans". Retrouver son niveau de trois décennies plus tôt n'est évidemment pas synonyme de cherté, au contraire. La bourse américaine se situe, elle, à 11 fois son niveau d'il y a 30 ans!