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"( Presque) tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le cannabis et le CBD sans savoir où vous informer": fameux objectif que s'est donné le Fares (Fonds des affections respiratoires) pour son webinaire du 16 avril dernier. Michaël Hogge, docteur en psychologie et chargé de projet chez Eurotox (observatoire socio-épidémiologique Alcool-Drogues), a relevé le défi. " Des cannabinoïdes dont le THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), le plus abondant et responsable de la plupart des effets psychoactifs ; le THCV (tétrahydrocannabivarin) qui fait l'objet d'études dans le traitement des troubles métaboliques comme le diabète ou comme anorexigène ; le CBD (cannabidiol), le plus prometteur en ce qui concerne le potentiel médical du cannabis ; le CBN (cannabinol) issu de la dégradation du THC... La plante contient d'autres composants dont on suspecte qu'ils modulent l'effet des cannabinoïdes et, ces dernières années, les techniques d'amendement ont fortement augmenté la teneur en THC", détaille-t-il. Classiquement, le cannabis se présente sous la forme d'herbe séchée ou de résine mais, récemment, de nouvelles formes sont apparues: huiles, bonbons, boissons... Il est consommé par inhalation, ingestion, en sublingual, usage externe et vaporisation. Le mode de consommation influence la biodisponibilité: 30% pour les joints, 50-80% par vaporisation/inhalation, 4-20% par ingestion, 20-50% en sublingual et 5-10% en topique. " Tous ces éléments ont leur importance sur l'effet ressenti. Il faut parler de cannabis au pluriel étant donné toutes ces variables et l'influence du contexte de consommation, des caractéristiques individuelles et de la métabolisation (par digestion, le pic ne survient parfois qu'après 6 h)."Le THC et le CBD agissent sur le système endocannabinoïde (récepteurs CB1 et CB2). Le THC se lie principalement au CB1 et agit surtout sur les fonctions centrales cognitives (attention, mémoire) et motrices (inhibition, coordination), il a un effet analgésique et sur la prise alimentaire (cannabinoïdes synthétiques contre la perte d'appétit)... Le CBD est un antagoniste des récepteurs CB1, ce qui explique qu'il contrebalance certains effets du THC. Il inhibe aussi la dégradation et la recapture de l'anandamide (cannabinoïde endogène). In vitro et chez l'animal, il a des propriétés neuroprotectrices, anti-inflammatoires, antidépressives, analgésiques, anxiolytiques/antipsychotiques, antioxydantes et anti-tumorales. " L'utilisation thérapeutique du cannabis ne date pas d'hier, elle remonte à 4.000 ans, en Chine", constate Michaël Hogge . "La littérature sur ce sujet est complexe, de nombreux bénéfices sont observés mais ils sont encore controversés. Et ceci pour plusieurs raisons: l'hétérogénéité des protocoles recherche, des formes de cannabis 'thérapeutique' et des symptômes, le manque de rigueur méthodologique et de nombreuses variables confondantes ne sont pas systématiquement contrôlées." A Bruxelles et en Région wallonne, la consommation de cannabis augmente: en 2018, 22,6% de la population déclaraient en avoir déjà consommé une fois dans leur vie, ils étaient 10,7% en 2001. Et 3% (surtout des hommes jeunes, 15-44 ans) ont un usage problématique (consommer dès le matin, seul...). " Le passage d'un usage occasionnel à un usage régulier est peut-être lié à l'observation d'effets positifs, à un bénéfice thérapeutique. Que l'on soit usager régulier ou occasionnel, le cannabis est en grande majorité (86%) consommé fumé avec du tabac." " En cas d'inhalation, les risques sont liés à la toxicité des fumées", précise-t-il. " Certains gardent la fumée plus longtemps dans les poumons, ce qui augmente encore le risque. Ensuite, le cannabis illégal peut être contaminé par des pesticides, des résidus d'engrais chimiques, des champignons... Si le cannabis est riche en THC et pauvre en CBD, il peut parfois entraîner des troubles anxieux, des troubles paniques aigus difficiles à gérer. Il a un impact aigu sur la cognition (fonctions attentionnelles/exécutives, mnésiques) et des effets résiduels (à partir de sept heures) plus légers. Les effets cognitifs sont médiés par le ratio THC/CBD. Il n'y a pas vraiment d'effet persistant après un arrêt prolongé de la consommation, les effets sont plutôt réversibles, néanmoins, quand la consommation est très précoce, elle impacte la scolarité." Le cannabis pourrait favoriser le développement de troubles psychotiques (schizophrénie) chez les personnes prédisposées. Les consommateurs chroniques jeunes sont plus à risque de comorbidités. " La dépendance existe, elle a un impact délétère sur la vie familiale, sociale... Attention: usage régulier ne veut pas forcément dire dépendance! 14% des demandes de traitement en centre spécialisé sont liées au cannabis, cependant, certaines émanent de la Justice: on pousse les gens à se faire traiter alors qu'il n'y a pas d'usage problématique", tempère-t-il. Les effets aigus (perceptifs, attentionnels et moteurs) ont un impact léger à modéré sur la conduite automobile, mais le risque d'accident est augmenté surtout si la consommation est associée à l'alcool. Une revue de la littérature donne quelques éléments de réduction des risques: ne pas consommer avant 18 ans, ni pendant la grossesse, attention si antécédents familiaux ou personnels de troubles mentaux, attention à la source d'approvisionnement, préférer la vaporisation (éviter les inhalations prolongées), éviter les variétés à teneur en THC élevée, privilégier un bon ratio THC/CBD (plus de CBD), espacer les consommations, éviter la conduite automobile après avoir consommé et la polyconsommation (y compris avec l'alcool). Le chanvre industriel ne peut contenir plus de 0,2% de THC (bientôt 0,3%). " Le contexte belge est très peu favorable au cannabis thérapeutique. L'AFMPS autorise les préparations magistrales à base de CBD sur prescription (non remboursable) et 2 médicaments: Sativex (THC et CBD) et Epidyolex (CBD, pas encore commercialisé). Depuis février 2020, l'huile de CBD peut être obtenue sans ordonnance en pharmacie pour usage externe (or, on sait qu'elle est consommée aussi en sublingual). En Belgique, ce sont surtout les consommateurs de cannabis psychoactif qui ont déjà expérimenté le CBD, beaucoup par curiosité. 25% l'utilisent aussi pour essayer de diminuer leur consommation de cannabis", note Michaël Hogge. Le CBD n'entraîne pas de dépendance, ni de toxicité, mais en usage chronique, il peut y avoir somnolence, perte appétit, troubles digestifs... " Des études rapportent des effets indésirables si cc>600mg/j. Il faut faire attention à la source d'approvisionnement en CBD (risque de concentration résiduelle en THC > seuil autorisé ou de présence de cannabinoïdes de synthèse) et aux interactions avec certains médicaments (antidépresseurs, anticoagulants...). Enfin, l'huile de THC/CBD n'est pas prévue pour le vapotage (risque de pneumopathie lipidique exogène)", explique le psychologue en regrettant l'absence de guidelines sur l'usage du CBD.