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Une approche spectaculaire, surréaliste, très belge, à la Marcel Duchamp - le WC remplaçant l'urinoir. Elle permet de rendre visible une maladie qui "souffre" d'invisibilité justement, car considérée par les patients qui en sont victimes comme quasi honteuse, voire, si pas imaginaire, difficilement imaginable par l'entourage social, scolaire, professionnel et parfois même familial. Soutenue par la société Abbvie, cette initiative intitulée Toilet Tales a fait appel à huit jeunes street artists qui, en écoutant les podcasts de patients et en interagissant avec eux via les réseaux sociaux, ont imaginé décorer des cuvettes exposées dans la galerie pendant quelques jours. Deux autres de ces "cabinets d'estampes" l'ont été par le duo d'associations de patients francophone (au CHU de Liège à l'occasion de la journée dédiée aux patients victimes d'une maladie inflammatoire chronique de l'intestin) et néerlandophone. La cuvette décorée par cette dernière association (photo ci-dessus) arbore sur ses parois externes un dragon chinois, genre "Lotus Bleu" et de couleur en effet azure, imaginé par un jeune patient de 14 ans, lequel a choisi cet animal fabuleux pour exprimer le côté inflammatoire de ces maladies du tube digestif. Chaque oeuvre présentée dans ce "cabinet de curiosités" et qui sera mise en vente par les deux associations dispose, à la base de son socle, d'un QR code qui permet de prendre connaissance de témoignages de malades qu'ils soient sportif, adolescent ou celui d'une femme qui a dû attendre un quart de siècle et l'âge 43 ans avant de pouvoir mettre un nom sur le mal qui la rongeait... "La maladie de Crohn peut toucher une ou plusieurs parties du tube digestif, depuis la bouche jusqu'à l'anus (intestin grêle, côlon, rectum, anus) ; la rectocolite hémorragique atteint le rectum et parfois de façon continue tout ou partie du côlon (gros intestin)", précise le Pr Reenaers, spécialiste en gastro- entérologie et hépatologie au CHU de Liège. "Ces maladies, dont on ne guérit pas, peuvent évoluer par périodes de poussée et de rémission, voire rester actives de façon chronique. Elles se traduisent par des diarrhées, fréquentes et très urgentes (jusqu'à l'incontinence), des douleurs abdominales, et des symptômes plus larges tels une fatigue intense ou des douleurs articulaires."La recherche a néanmoins fait des bonds de géants ces dernières années. Comme explique le Dr Bossuyt, spécialiste en gastro-entérologie et MICI à l'hôpital Imelda à Bonheiden, il est en effet aujourd'hui possible de réduire l'inflammation de l'intestin, ce qui peut impacter favorablement la qualité de vie et prévenir certaines complications. "L'objectif actuel du corps médical", précise le praticien, "outre l'atténuation des symptômes, est la cicatrisation de la muqueuse. Il est en effet démontré que lorsque l'intestin est cicatrisé, la qualité de vie du patient augmente, et le risque de rechutes diminue, ce qui entraîne aussi une réduction du risque d'hospitalisation et de chirurgie (résection intestinale)."Outre les témoignages de médecins, le podcast donne également la parole aux infirmiers et infirmières qui se spécialisent dans l'accompagnement des patients souffrant de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. Une approche multidisciplinaire pour une souffrance multifactorielle qui atteint entre 30.000 et 40.000 Belges et qui se manifeste par des douleurs, bien entendu, des diarrhées intempestives, mais également une fatigue, un état dépressif dû au handicap social et professionnel que représente une visite au petit coin jusqu'à 20 fois par jour! Certains patients n'osent parfois plus sortir ou perdent leur travail du fait de l'incompréhension de la société dans son ensemble face à cette maladie, répétons-le, invisible et presque honteuse. "Ce sont des maladies qui vous détruisent de l'intérieur, en silence", explique Katleen Franc, présidente de l'asbl Crohn-RCUH. Exhibant ainsi une souffrance souvent obligée de se cacher... et de se réfugier dans les toilettes, ce "Game of trônes" (l'initiative s'inscrivait dans le prolongement de la journée internationale des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin du 19 mai), dans un lieu qui accueille un million de visiteurs par mois, a ainsi permis de conscientiser la société souvent myope face à cette souffrance: à la vue de ces dix cuvettes, elle a bien été forcée de chausser... sa lunette.