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J'ai effectué mon premier stage en hôpital comme externe (2e doctorat) en 1967. La salle d'hospitalisation? Commune, 30 lits dont quatre au milieu, parquet au sol lavé à la javel et ciré une fois par semaine. Les lits: cadre métallique, matelas plus alèse en caoutchouc ; une table de nuit et un siège fauteuil. Pour les entretiens avec les patients, et aussi pour les fins de vie: paravent sur roulettes. Perfusions: bouteilles en verre glucose 5% et sérum physiologique (Na Cl 0,9%), trousse sans filtre, aiguilles acier ré-aiguisées régulièrement (quasi pas de matériel jetable, pas de cathéters), compresses et sparadras, seringues en verre. Médicaments: théophylline - digitaline - pénicilline et streptomycine + chloramphénicol - morphine - thiazide - rarement furosémide - nitroglycérine - aspirine. Anesthésies: barbituriques et curare, débuts du fluothane. Imagerie: radiologie et tomographie - pas d'échos, ni CT, ni RMN. Artériographies par ponction directe aorte ou fémorale, sans cathéter ni appareil d'injection. Endoscopie: endoscopes rigides pour broncho - gastro-rectosigmoïdoscopie. Isotopes: in vivo image de captation thyroïde. Donc: une place importante pour la clinique pure et la propédeutique et pour principale qualité des médecins et des infirmiers: enthousiasme, conviction, aide et soutien réciproques. En 30 ans, tout a changé. Les progrès technologiques et pharmaceutiques ont été bien plus saisissants que le voyage sur la lune. Architecture des hôpitaux, diagnostics de précision, thérapies ciblées selon les spécificités physiopathologiques et biochimiques des lésions, génétique, marqueurs, imagerie fonctionnelle etc., ont révolutionné la médecine. Pour accompagner cette révolution, les métiers ont été bouleversés, les modes de travail renversés: hyperspécialisation de toutes les professions de santé, multidisciplinarité à la carte selon les besoins des patients, organisation non plus par métier mais selon les besoin des patients, c'est à dire par groupe de pathologie, revalidation, médecine prospective et instauration progressive de protocoles de soins, d'itinéraires cliniques et autres, tant pour des raisons de qualité (espérée et/ou mesurée) que d'utilisation raisonnable des moyens financiers mis à disposition. Autre volet, préoccupant. Ces évolutions ont nécessité coordination, administration, financement, juste reddition des comptes. Et aussi du rapportage intense vers les autorités, des contrôles, de multiples justificatifs. On a vu le management administratif back office prendre le pas et la prééminence sur les cliniciens mués en exécutants de décisions prises par des experts étrangers au métier de soignant. C'est aujourd'hui un excès qui doit être réformé, ce changement est déjà en oeuvre aux USA. Je ne parlerai pas ici des conditions de travail (heures), des gardes, des rémunérations (inférieures au SMIC, compensées par les gardes): non, de ce point de vue, ce n'était pas, et de loin, mieux jadis. Les améliorations, encore insuffisantes et trop lentes à s'imposer, sont tout de même visibles. Par contre, tout semblait possible, réalisable: il suffisait d'en avoir la volonté et de fédérer les enthousiasmes. Et c'est là que la volonté d'entreprendre, de créer, s'est heurtée au mur des réglementations publiques, des règles, des normes, à ce que furent parfois des décisions politiques d'agrément de services fleurant bon le favoritisme clientéliste. Hors cela, la médecine s'exerce aujourd'hui en appliquant régulièrement les conclusions d'études fondées et prouvées, dans un environnement où les disciplines ne sont bien souvent plus concurrentes mais dans une logique de complémentarité, d'intervention ponctuelle sur une ligne de temps que le patient parcourt avec son généraliste. Et de plus en plus souvent le patient prend la main et décide, parfois contre l'opinion de ceux qu'il a consultés. Surprise bienvenue, cette décision est respectée et mise en oeuvre. En fait, nous sommes passés, en deux générations, d'une médecine empirique où nous avions la certitude d'agir au mieux avec peu de moyens, à une médecine probabilistique disposant d'un arsenal d'outils, ajustée aux volontés du patient, où chaque intervenant voit ses interventions légitimées par une co-construction large. On a toujours la conviction d'agir au mieux, mais on sait pourquoi! Et les patients en retirent tous les bénéfices. Pour conclure, être médecin n'était pas mieux avant, différent certes, avec plus de liberté et moins d'efficacité et de bon usage des moyens. C'était le temps de nos jeunes années, de l'imagination, de l'apprentissage accéléré des nouveautés, tel qu'il en va à chaque nouvelle promotion de diplômés.