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Clinique du travail. "Qui a fait du grec, ici?", interroge le Dr Pierre Firket. Aucun doigt levé dans l'assemblée... Il aurait sans doute plus de succès s'il demandait: "Qui a déjà fait un burn-out, ici?" Alors il reprend, pédagogue: "Klinô en grec signifie 'lit', 'au chevet'. Donc, au chevet du travail. Car c'est le travail qui est malade, pas le travailleur...", glisse le médecin généraliste liégeois, fondateur du "Cites". Cette "Clinique du stress", qui fêtera ses 30 ans en octobre 2025, a entre-temps vu son nom complété par "... et du travail", les deux (stress et travail) formant un couple qui peut se révéler diabolique. Pierre Firket, professeur émérite à la faculté de médecine de l'Université de Liège, n'imaginait sans doute pas à quel point il était visionnaire, à l'époque, en ouvrant les portes du centre dit "La Licorne", à l'orée des Coteaux de la Citadelle, sous l'égide d'Isosl, l'intercommunale de soins spécialisés de Liège. Un accueil extrahospitalier pour les nombreux "stressés" de la vie: stress post-traumatique, épuisement professionnel, transitions éprouvantes des jeunes vers l'âge adulte... "Aujourd'hui, nous avons 17 collaborateurs actifs en prévention individuelle et pour les collectivités en collaboration avec l'ULiège", explique Anne Burlet, coordinatrice du Cites, en préambule à la conférence "Burn-out: qu'en savons-nous aujourd'hui?" organisée en collaboration avec le Crésam (Centre de référence en santé mentale) de Namur. Le burn-out est un phénomène pluriel, on le sait. Il jongle entre des facteurs sociétaux (technologie croissante, compétitivité, "uberisation"), organisationnels (insécurité de l'emploi, surcharge et polyvalence, exigences vs manque de moyens...) et enfin des facteurs personnels (valeurs et attitudes associées au travail, perfectionnisme, âge et expérience, difficultés de vie...). Les risques psychosociaux sont clairement identifiés, engendrés tant par l'organisation et le contenu du travail mêmes que par les conditions de vie et de travail, et les relations interpersonnelles. Quand la mécanique s'enraye, elle peut consumer l'individu qui, après des phases d'alarme et de résistance, finit par s'épuiser. "Idéalement, l'équilibre entre les ressources et les contraintes permet de faire face", rappelle Céline Leclercq, clinicienne du travail chez Isosl, maître de conférence et doctorante à l'ULiège (Valorh). "Mais s'il y a trop de contraintes, le déséquilibre altère la santé." Avec des conséquences tant au niveau de l'individu (burn-out) que de l'organisation (accidents, absentéisme, effet boule de neige et turn over). À la définition du burn-out de Maslach & Leiter (2008) qui pointaient le trio 'épuisement, cynisme et manque d'accomplissement personnel', se substitue aujourd'hui celle de Desart, De Witte & Schaufeli (2019) qui soulignent quatre symptômes clefs - épuisement, distanciation mentale, dérèglement cognitif et perte de contrôle émotionnel - et trois secondaires (symptômes de stress psychique, de stress psychosomatique et état dépressif). Si l'on peut agir pour maintenir/restaurer les ressources afin d'aider le travailleur, l'idée n'est pas de "rendre les gens résistants à ce qui n'est pas acceptable" souligne le Dr Firket. Récupéré par la médecine ou 'psychologisé', le burn-out risque d'être banalisé et le terme, galvaudé ("J'ai fait un burn-out la semaine dernière", ironise le médecin). Les patients, avant d'être des malades, "sont des témoins, le reflet d'un environnement qui ne va pas. C'est la relation au travail qui pose problème, pas l'individu", insiste Pierre Firket. "Les gens que nous voyons sont normaux, ils témoignent d'un système violent de par sa logique économique." Résister, ce n'est pas faire "plus de yoga" ou "plus de méditation": c'est une forme de perversion de nous le faire croire. "Il faut inventer un nouveau système, retrouver un supplément d'âme et de collectif. Il y a encore des choses bien dans le travail, ne l'oublions pas! Les plus jeunes nous montrent une autre relation. Ils seront sans doute plus résistants car ils ventilent mieux leur vie, sans mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Je me souviens du premier assistant qui m'a dit qu'il ne travaillerait pas le samedi... Il m'a fallu un an pour m'en remettre!", conclut le Dr Firket en riant. Le salut passe sans doute par là.