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Près de 800 ans que cet 'hospice' existe, cette église qui a longtemps accueilli des malades et ensuite fait de même avec les oeuvres maîtresses de Hans Memling, dont il possède la deuxième plus grande collection au monde après le Metropolitan de New York. Un musée qui souffrait des maux de son âge et vient de faire l'objet d'une revalidation complète. Le but? Redonner à ce lieu dépositaire des trésors du Primitif flamand sa vocation hospitalière, tout en le reliant à sa fonction désormais de réceptacle des trésors de l'art. Avec en tête l'exemple des célèbres hospices de Beaune, comme le précise Dirk De fauw, le bourgmestre de Bruges, qui réussissent la symbiose entre visées historique et artistique. Le nouveau concept, aérien, habille l'édifice gothique d'un voile blanc... médical et développe cinq thématiques: hospitalité, empathie, soins médicaux et religieux, la mort et l'après. Le coeur est au choeur du récit, comme la chapelle ardente des Memlings est au coeur et au choeur de cet hôpital aux allures d'église. Avant d'y accéder, l'exposition méandre à souhait entre les thématiques pour évoquer le passé de l'hôpital au travers de tableaux souvent anonymes, de différentes époques, et d'autres attribués à Jacob van Oost, peintre brugeois baroque du 17e, qui signe notamment une mère avec enfant très touchante. Aux côtés d'instruments de soins (une impressionnante scie chirurgicale et autre flexible dite "Gigli"), des toiles évoquent l'accueil des nécessiteux ou la vie religieuse des soignantes de l'époque, de l'hôpital véritable village dans la ville, de reliquaires, dans une spectaculaire vitrine qui permettent d'accéder aux saints guérisseurs, Sainte Ursule guérissant par exemple le coeur. Ce déploiement de témoignages historiques qui se fait sans entasser les pièces mais en exhibant les plus représentatives, se double de bornes interactives qui racontent l'histoire des lieux et donnent la parole sous forme de vidéos à des soignants d'aujourd'hui (sous les portraits de l'oculiste François De Wulf et du Dr Franciscus Toomkins s'exprime en vidéo une gériatre et sexologue. Plus loin, à côté d'une pharmacie de voyage, c'est le Dr Willem De Groote qui raconte l'évolution de l'hôpital depuis l'inauguration du "nouvel hôpital" flanquant l'ancien à partir du 19e siècle). Et tout à la fois, comme le précise la conservatrice de Musea Brugge Sybilla Goegebuer, en inoculant des préoccupations médicales actuelles, au travers de témoignages et doses d'art contemporain savamment choisies. On apprend ainsi qu'entre 1300 et 1600, 15% des infirmières mouraient endéans les cinq ans, alors qu'entre 1782 et 1786, 85% des patients ressortaient vivants. Jusqu'au 17e siècle, l'accès à l'hôpital était gratuit, ensuite il devient payant, sauf pour les Brugeois. À une peinture anonyme évoquant l'épisode du bon samaritain du 16e répond une sculpture hyperréaliste, sorte de 'Pietà' paradoxalement fantasmagorique de Patricia Piccinini intitulée "The Bridge".L'oeuvre photographique magistrale sorte de cinéma figé de Gregory Crewdson intitulée "Father and Son" (le père inanimé sur son lit veillé par son fils) voisine avec un portait anonyme ancien de soeur Élisabeth Rouffelet sur son lit de mort.Et la greffe prend, pour reprendre un terme médical, entre une approche à la fois didactique, abordable et universelle, et une autre plus artistique, qui met en valeur des pièces souvent remarquables, comme ce ravissant polyptyque miniature très détaillé en ivoire illustré de scènes de vie de la Vierge. Semblant tombé du ciel, c'est dans la vraie chapelle que Berlinde De Bruyckere a déposé son archange devant la divine châsse de Sainte Ursule illustrée par Hans Memling, et qui permet d'apercevoir en arrière fond le Bruges de la fin du 15e et le Notre-Dame aux Saints de l'autre Brugeois baroque Jacob van Oost, flanqué de deux anges ; la plasticienne confie "être très honorée et émue d'être en présence de ces deux peintres, et surtout du grand maître brugeois du début de la Renaissance. Mon archange s'inscrit complètement dans ce musée dont les thématiques de la souffrance, la peine, l'agression et la mort se retrouvent dans mon oeuvre sculptée.La figure de cet archange qui s'est au propre comme au figuré littéralement consumé à la tâche se voulait également un hommage aux soignants durant le covid, qui avaient aussi besoin de repos, même s'il ne devait pas être éternel comme ma sculpture le figure". Une oeuvre sidérante, totalement incarnée d'un réalisme semblable à celui des figures carnées de Memling, qui fait de son auteur une sorte de primitive flamande d'aujourd'hui. Musée dans le musée comme le précise Sybilla Goegebuer, la salle dédiée aux cinq autres Memling située à côté est comme une seconde chapelle plus sainte encore, où le visiteur vient vénérer les oeuvres de cet artiste, saint guérisseur dont les toiles seraient les prestigieuses reliques. Un corps artistique remembré, revitalisé par le travail de numérisation effectué par l'Irpa, au centre duquel trône ce chef-d'oeuvre qu'est le triptyque de Jean le Baptiste et Jean l'Évangélique. Il déploie ses deux ailes dans une muséographie aérienne, d'une translucidité de vitrail, éclairé superbement dans un lieu à nouveau hospitalier et dont la rénovation a fait l'objet du plus grand... soin.