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Pour Marnix Denys, patron de Bemedtech, on n'a que trop traîné par rapport au remboursement des applications médicales dont la valeur ajoutée, en complément des thérapies traditionnelles, ne fait plus aucun doute. Certains pays européens sont déjà bien plus avancés. Le journal du Médecin: Quelle est la position officielle de Bemedtech quant au remboursement possible de certaines apps médicales par l'assurance-maladie? Vous y êtes favorable? Marnix Denys: Bien sûr, nous y sommes favorables. Le fait qu'en 2023, le financement ou non de l'utilisation des applis médicales soit encore pour certains une question ouverte nous semble franchement problématique. Les projets pilotes autour de la "santé mobile" (m-health) en Belgique datent de 2017, les premiers pas vers mHealthBelgium (partenariat public-privé entre le gouvernement, bemedtech et Agoria) de 2018. Des études de cas nationales et internationales ont alors déjà clairement montré la valeur ajoutée potentielle pour les patients et les prestataires de soins de santé. Entre-temps, la technologie n'a fait que s'améliorer. Mais en Belgique, il semble que la question du financement ou non des applications médicales fasse toujours débat! Et même les applications m-health qui ont déjà été clairement (et officiellement) évaluées de manière positive pour leur valeur ajoutée sur le terrain et que l'on voudrait donc intégrer dans le parcours de soins en question, attendent une réforme du financement du parcours de soins (oncologie, sommeil, insuffisance cardiaque). C'est là que le bât blesse. Qu'est-ce qui freine au juste? L'une des raisons pour lesquelles le financement des applications médicales est si difficile dans notre pays est que beaucoup ont une vision (trop) étroite des soins de santé. Chaque traitement consiste en des prestations intellectuelles ou techniques prédéfinies pour lesquelles nous disposons de codes de nomenclature distincts. Si, entre-temps, quelque chose venait améliorer les processus "transversaux", nous ne savons apparemment pas comment le cataloguer dans la nomenclature. Alors on le laisse un peu de côté. Et c'est un peu cela qui se passe actuellement. Faut-il innover dans l'approche du remboursement? Il faut préférer le financement au remboursement. Il ne s'agit pas de rembourser à la prestation exacte un prestataire de soins de santé pour les services qu'il a fournis et soigneusement enregistrés, mais de délimiter un budget pour le traitement d'une affection dont dispose l'équipe de soins de santé. Les prestataires de soins peuvent alors, en collaboration avec le patient, constituer eux-mêmes le paquet de soins. Et inclure ou non l'utilisation d'une application médicale, par exemple. Il s'agit d'une vision différente des soins, qui donne aux prestataires de soins beaucoup plus de liberté et leur permet d'organiser des soins sur mesure avec leurs patients. De nombreux défis sont à régler pour arriver à ce remboursement. Le KCE cite notamment: manque de transparence au plan du respect de la vie privée (RGPD notamment), critères de remboursement peu clairs, pas assez de preuves de valeur ajoutée, manque d'expertise des instances officielles et, enfin, satisfaction des patients utilisateurs mal documentée. Ces défis vous paraissent-ils pouvoir être relevés? C'est bien que le KCE ait rassemblé dans un seul et même rapport les différents défis, dont beaucoup sont connus depuis un certain temps. Nous sommes également heureux qu'ils nous aient impliqués, en tant que fédération d'entreprises qui développent des applications médicales, dans cette démarche. Maintenant, nous ne devons pas rester bloqués sur ces défis, au risque de ne plus avancer. Nous devons également avoir une vision plus large. Si vous élargissez le cadre, vous voyez que les applications médicales offrent d'énormes possibilités que les solutions "traditionnelles" ne sauraient offrir. Pensez à la surveillance à distance, au soutien continu de l'observance des patients, à la prévention secondaire, etc. Ces opportunités méritent-elles d'être saisies? Absolument. Tout le monde (patients, prestataires de soins de santé, gouvernement et industrie) en bénéficiera. Plus que cela, nous devons saisir ces opportunités. Les prescriptions traditionnelles seules ne nous mèneront nulle part en matière de soins de santé (pensons aux crises et à l'évolution démographique...). Nous avons parfois l'impression d'être paralysés par les défis liés à l'utilisation des applications médicales. Donc rien ne se passe. Une attitude critique est bien sûr bonne, mais il faut veiller à ce qu'elle ne devienne pas un frein à notre développement. Il est également toujours bon de prendre du recul et de se poser la question suivante: sommes-nous aussi critiques à l'égard des pratiques traditionnelles en matière de soins de santé? La réponse à cette question est souvent négative. Les exigences que nous imposons aux nouvelles solutions sont souvent irréalistes. En conséquence, ils ne peuvent pas percer et nous nous privons des plus petites avancées. Mais pour répondre à la question de savoir si nous pouvons relever ces défis: absolument. Mais nous n'y parviendrons que si nous mettons en pratique la santé mobile et d'autres solutions innovantes et si nous les adaptons si nécessaire. Essayer de tout résoudre à l'avance n'est ni possible ni souhaitable. L'innovation évolue si vite qu'au moment où vous avez résolu un défi, dix nouveaux sont déjà apparus. Le choix est entre ne pas innover et foncer dans le mur, ou innover et avoir quelques surprises de temps en temps, mais progresser continuellement en tant que secteur. Parmi les recommandations, le KCE demande aussi que le Comité de l'assurance de l'Inami mette sur pied "une équipe hybride composée de membres permanents qui participeront à toutes les évaluations de demandes de remboursement des technologies numériques médicales et d'experts pertinents invités". Vous y êtes favorable? Vous souhaiteriez en faire partie? Nous avons nous-mêmes expliqué cette proposition au KCE, et nous la soutenons donc certainement. Ce qui est important, bien sûr, c'est de savoir pourquoi nous soutenons un tel modèle. Aujourd'hui, nous constatons qu'il est difficile pour les comités de financement d'évaluer les applications médicales. D'ailleurs, cela ne s'applique pas seulement aux applications médicales, mais également à d'autres innovations (numériques ou autres) qui modifient/adaptent les processus de soins qui peuvent changer la façon dont nous travaillons dans le domaine des soins de santé (les traitement/soins à domicile par exemple). Cela est dû en partie à un manque de connaissances sur la santé numérique. Qu'est-ce qui coince? Prenons l'exemple d'une commission qui doit juger si elle doit rembourser ou non un certain dispositif médical. Petit détail: ce dispositif médical remplace un service "classique" pour lequel les prestataires de soins et/ou les établissements de santé concernés reçoivent un remboursement plus élevé. Ces mêmes prestataires(-institutions) de soins de santé siègent également à ce comité. Vous pouvez donc sentir que ça pourrait coincer quelque part... Cette façon de travailler n'est saine pour personne à long terme. C'est aussi l'une des explications du fait que, depuis la création de la pyramide de validation m-health, une seule application m-health a reçu un financement du gouvernement fédéral (temporaire d'ailleurs). À titre de comparaison, au cours de la même période 34 applications ont été financées en Allemagne, qui, avec la Belgique, a été l'un des premiers pays de l'UE à mettre en place un système de validation pour la santé mobile. Que proposez-vous? Nous suggérons le cycle suivant: 1/Première analyse indépendante et objective de la valeur sanitaire et économique d'une application avec une "Commission centrale de santé numérique" (à laquelle il n'est pas forcément nécessaire d'ailleurs que Bemedtech fasse partie). Cette équipe de base comprend ensuite des experts compétents. 2/Après une évaluation positive de la valeur ajoutée sanitaire et économique, une solution passe à la phase suivante (financement), autour de l'adaptation au financement. Impliquons uniquement les prestataires de soins et les établissements de santé à partir de cette phase, précisément pour éviter de les pousser dans un conflit d'intérêts. 3/Respecter la transparence sur les délais d'exécution. Maintenant, nos entreprises soumettent un dossier pour évaluation, mais c'est comme s'il finissait dans une boîte noire. Un premier groupe de travail détermine (normalement dans les six mois) si un dossier peut faire l'objet d'une évaluation plus approfondie...