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On entre dans son service comme dans un paysage: à l'hôpital de Libramont, l'étage d'oncologie est garni d'un aquarium dans la salle d'attente déjà lumineuse, et lorsque le Dr Forget nous reçoit dans son bureau, c'est avec derrière lui une grande fenêtre plongeant sur le paysage environnant. Grand nuton qui irradie la sympathie, ce médecin se révèle un homme affable, légèrement chauve, qui sourit, surtout lorsqu'on lui pose cette question au final fondamentale: pourquoi s'intéresse-t-il à ces mammifères volants? Et Frédéric Forget de débuter ce qui ressemble à un conte de forêt d'Ardenne: "Tout a commencé à l'école, au collège Saint-Michel, puisque je suis bruxellois d'origine. Un ami qui est également devenu médecin psychiatre, Hughes Borremans, et moi-même, nous nous passionnions pour la nature et souhaitions devenir spécialistes en une matière. À l'époque, peu de personnes s'intéressaient aux chauves-souris, qui étaient clairement en nette régression. J'ajoute qu'il y avait un petit côté un peu magique, mystérieux... Dracula plus que Batman (il rit)." Ce citadin d'origine qui avoue son horreur de la ville a toujours voulu travailler en province de Luxembourg. Dès sa première année d'assistanat, l'étudiant d'alors a choisi l'hôpital de Virton et s'est inscrit à l'Ordre des médecins de la province... pour toujours! Et de fait, il est resté. "Pour être heureux, j'ai besoin de voir des oiseaux, même si les chauves-souris n'en sont pas (il rit). D'ailleurs, même en médecine, des études démontrent que l'homme a besoin d'une manière générale d'un paysage, un végétal, un animal. Le National Geographic a publié un numéro entier illustrant le fait que les gens guérissent plus aisément, peu importe la maladie, lorsqu'ils évoluent dans un environnement, un paysage agréables." Au Japon, il existe par exemple des forêts thérapeutiques, dont le but n'est autre que de permettre de retrouver, au travers de promenades, le bien-être. "Au sein d'un milieu plus vert, le stress diminue: une variable que l'on prend de plus en plus en compte", ajoute notre Ardennais d'adoption. Des forêts qui cachent parfois... l'arbre en Ardenne, où pins et douglas ont été plantés pour des questions évidentes de rendement, en remplacement de la forêt de feuillus originelle. Et le Dr Forget, qui refuse le terme de cancer pour l'évoquer, de décrire cet appauvrissement, cette dégradation de l'environnement et de la biodiversité qui, par ricochet, touche également les chauves-souris. Aux yeux de cet écologiste dans l'âme qui parcourt tous les jours à vélo les 12 kilomètres séparant son domicile de l'hôpital, le projet voisin de Nassonia est de l'ordre du greenwashing, la forêt domaniale de Saint-Hubert, une ancienne chasse royale, étant déjà située en zone Natura 2000. "C'est de la com!", s'esclaffe-t-il. Une communication auquel le 'médecin spécialiste' fait aussi appel par l'intermédiaire de films* sur les chauves-souris qu'il réalise, et dont le dernier a été primé - ce n'est pas le premier à l'être - au Festival international Nature de Namur. Par ailleurs, au travers de l'organisation Plecotus dont il est cofondateur, ce praticien tente de sensibiliser la population au sort des chauves-souris, notamment en organisant chaque année la Nuit européenne des chauves-souris. "Partout en Wallonie, nous invitons le public à nous suivre dans des balades nocturnes guidées, 'armés' de détecteurs à ultrason et de lampes-torches et ainsi découvrir les différentes espèces de chauve-souris présentes dans notre pays." Un événement estival orienté mouvements de jeunesse, qui sont justement en camp durant les grandes vacances. Un public idéal, ouvert, pas encore perclus de préjugés, et sur lequel Frédéric Forget mesure un impact indéniable. Mais les chauves-souris ne sont en fait qu'un prétexte pour les sensibiliser aux problèmes de l'environnement, à la biodiversité dont cet animal mal-aimé fait partie et dont on compte 23 espèces en Belgique. "Apprendre à connaître la chauve-souris", ajoute-t-il, "c'est apprendre à l'aimer, et la protéger". Par ailleurs, ce médecin a également écrit un livre sur le sujet, avouant volontiers que sa démarche ne diffère pas au niveau de l'écriture, le but étant toujours la sensibilisation. L'oncologue verrait-il la pollution et la dégradation de l'environnement comme une sorte de cancer? Il s'y refuse, mais constate que cette dégradation entraîne évidemment des problèmes chez les hommes. "Le nombre de chauves-souris a fortement régressé à partir des années 50 en Europe, suite à l'utilisation des pesticides. C'est même en constatant cette disparition que l'on a réalisé que ces produits étaient tout aussi toxiques pour l'homme. On a commencé par interdire le DDT, mais jusqu'il y a quelques années, des études montraient que l'on en trouvait encore trace jusque dans la graisse des manchots de l'Antarctique. Ce pesticide entraînait des cancers, des leucémies, voire la maladie de Parkinson." Par son action, ce médecin aurait-il quelque part le sentiment de soigner la nature? Il sourit modestement: "Cela me rappelle l'histoire du roitelet qui tente d'éteindre un incendie en jetant chaque fois la goutte d'eau qu'il recueille dans son bec. Un autre animal lui dit: 'Tu crois que cela sert à quelque chose? ' et l'oiseau de répondre: 'Je ne sais pas, mais je fais ma part...'"