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Vous avez interprété deux médecins: dans Chez nous, vous personnifiez un médecin, adhérent au Front national et exerçant dans une ville du Nord. Dans Le Tigre et le Président sorti fin septembre (voir le jdm), vous teniez le rôle de Georges Clemenceau... En effet, on l'oublie souvent, mais Clemenceau était médecin. J'imagine qu'au niveau politique vous êtes plus en phase avec le personnage du Père la Victoire? Ah oui. Chez nous, le film de Lucas Belvaux, était insidieux. Il racontait la machination d'un médecin, bien sous tous rapports, rassurant, et qui cherche dans sa région à faire avancer son parti extrémiste en faisant élire une infirmière, à son tour rassurante pour la population, mais dont il désire qu'elle soit porteuse des idées que représente ce parti. Ce personnage avait une manière d'être, soufflait le chaud et le froid... J'aime les personnages ambigus et étranges, qui ne sont pas d'une seule teinte. Clemenceau est évidemment une figure plus carrée, directe, tranchée, et c'est toujours agréable de jouer des personnages de ce type. Mais on le découvre dans une période un peu de défaite. Plutôt que d'être le Père la Victoire, c'est le "perd" tout court. Il est sur la phase descendante, au moment où Deschanel débarque avec des idées progressistes pouvant correspondre à l'attente des Français, qui demandent juste la paix et qui aspirent à un monde un peu plus juste. Deschanel avait des idées formidables, mais n'est malheureusement resté que huit mois au pouvoir, et n'a pas pu les appliquer: elles concernaient le travail, la peine de mort, le vote des femmes... Clemenceau émargeait au départ du camp progressiste, avant de virer conservateur sur la fin... Une évolution que l'on constate souvent dans le monde politique: Chirac qui avait débuté à gauche en vendant L'Humanité a terminé à droite: quelquefois, les bascules sont vraiment excessives. Et j'ai parfois pu observer que des hommes politiques de bords tout à fait différents pouvaient très bien s'entendre. Des hommes de gauche peuvent trouver des hommes de droite très biens et réciproquement. Mais ils sont sans doute coincés par la discipline du parti auquel ils appartiennent. Ce film raconte ce qui se passait en 1920 et ce qui se passe toujours en politique en France aujourd'hui: la négociation, les coups bas, les changements, les évolutions, les opportunités... l'opportunisme aussi. Le rôle de Clemenceau exigeait une transformation physique qui ne devait pas être évidente? C'est évidemment ce qui est excitant. Au départ, lorsque l'on vous propose le rôle de Georges Clemenceau, vous savez qu'il y aura du boulot afin de lui ressembler. La transformation physique appartient aux maquilleurs et prenait trois heures par jour. Mais c'est surtout l'intérieur, la manière de se comporter, de parler, d'être qui m'intéressait en tant qu'acteur. J'avais visionné un petit film d'une minute qu'avaient réalisé des journalistes américains sur Clemenceau à la fin de sa vie dans sa maison en Vendée, film dans lequel on le voit avec d'autres bougonnant, râlant, pas content du soleil, du temps, des frelons. Cela m'a aidé et permis de construire à partir de cette réalité. Mais j'ai l'impression que dans votre carrière, vous avez été surtout d'abord une voix. Oui, j'ai fait pas mal de voix, c'est vrai. On me parle souvent d'Amélie Poulain. Mais vous avez aussi fait d'autres voix, notamment à la radio... À la recherche du temps perdu notamment. J'aime bien la voix car comme dit Orson Welles, "la radio a ceci de supérieur au cinéma que l'écran y est plus large". Quand on écoute une voix, on imagine qui parle: l'esprit est beaucoup plus actif que lorsqu'on regarde un film qui capte la rétine et qui vous colle dans votre siège. Que reste-t-il chez vous de Savoyard? (Il sourit) Beaucoup de choses. Il y a deux versants savoyards chez moi: il y a un côté plus montagneux du côté de mon père ; des éleveurs rendus assez humbles par la météo, dépendants du temps, et qui ne connaissaient pas les dimanches. Et puis du côté de ma mère, l'aïeul, qui était un Italien, a suivi Napoléon et s'est arrêté à Annecy. Chez eux c'est plutôt la fantaisie et la légèreté. Deux mondes qui se mélangent, citadin et montagnard. Et lorsque je retourne là-bas et que je rencontre mes cousins, je retrouve encore ces caractéristiques et pas seulement au niveau de ma propre famille. J'aime bien retrouver non seulement les paysages, mais aussi ces manières d'être. Beaucoup de ténacité, une volonté peut-être qui appartient aussi au monde paysan, peut-être parce qu'il faut se battre contre les éléments. Et puis aussi parce que la génération de mes parents n'a pas connu des moments faciles. Mon père s'est évadé deux fois durant la guerre: tout un récit familial qui crée des racines profondes. Une façon d'être qui permet de garder les pieds sur terre? Complètement. On peut prendre des coups de soleil grâce à ce métier de temps en temps, mais cela s'estompe vite, puisque l'on passe d'un extrême à l'autre. Cela fait du bien d'être savoyard: c'est un peu comme la météo. Il y a un coup de soleil, puis après vient la pluie. Un jour, je rencontre Jean-Pierre Bacri que je connaissais bien et qui me raconte quelque chose de négatif évidemment, étant toujours un peu pessimiste. Je lui ai dit: "Mais non, Jean-Pierre. Après la pluie, le beau temps", une formule facile. Et Jean-Pierre m'a répondu: "Non, André, après la pluie... la pluie" (rires) Que vous reste-t-il de votre licence en linguistique? Le plaisir des mots: la linguistique me les a fait utiliser plus encore. La littérature, j'ai été obligé de l'apprendre, et ce n'est pas forcément à ce moment que je l'ai découverte. C'est plus tard, quand je pouvais aborder les livres et les auteurs que je voulais selon mon élan, mon envie, de ce que j'en avais entendu dire. J'aime bien observer comme une langue vit, se perpétue, continue de grandir, comment les expressions évoluent. Cela vous a-t-il aidé dans votre métier? Non. Juste peut-être le plaisir des mots qui est là constamment. C'est parce que j'aime bien parler, mais aussi le fait de les voir agencés par des auteurs que j'apprécie. Comment avez-vous vécu le Covid en tant que comédien d'un certain âge: à la montagne en Savoie? Non. J'avais l'impression qu'on pouvait l'attraper autant là-bas qu'à Paris. À un moment donné, je suivais les actualités, observant les batailles entre médecins, en particulier avec le professeur Raoult. Je me suis mis à enregistrer sur mon téléphone portable, l'histoire d'un médecin qui s'appelle Ignace Philippe Semmelweiss, médecin hongrois qui a découvert, 50 ans avant Pasteur, l'existence du microbe, mais que personne ne voulait croire. Semmelweiss avait observé que beaucoup de femmes qui mouraient à la naissance de leur enfant étaient porteuses de microbes parce que les médecins les accouchaient après avoir disséqué des cadavres. Il a tout simplement eu l'idée de faire laver les mains et, soudain, la mortalité a chuté. Sauf qu'il s'est attaqué à des chapelles médicales et que personne n'a voulu le croire. Ce médecin est allé jusqu'à s'entailler le doigt et mourir pour convaincre des gens de sa thèse. Une histoire très forte que j'ai mise en ondes pour France Culture et que l'on peut toujours écouter en podcast. Je l'ai enregistré depuis chez moi: elle est passée directement de mon iPhone à France Culture....