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Dans un monde d'un futur proche en déliquescence qu'on imagine percuté par une apocalypse nucléaire ou épidémique, Saul et Caprice sont deux artistes "plasticiens" pratiquant le body art, le premier développant de nouveaux organes à foison, la seconde les tatouant en ouvrant et fermant le corps de son partenaire et associé au cours de performances publiques. Le couple est approché par un individu, père d'un enfant assassiné par sa mère, épouvantée par la créature monstrueuse qu'était ce gamin de huit ans se nourrissant uniquement de plastique. En mémoire de son fils, ce paternel éploré voudrait que le couple révèle au cours d'une autopsie publique les nouveaux organes développés "naturellement" par son fils, alors que lui-même à subi une opération lui permettant d'ingérer les matières de l'Ancien Monde, en abondance sur ce terre souillée.... Toujours d'une ironie froide, David Cronenberg revient à la science-fiction, à l'uchronie, ou plutôt uchro-ironie, avec Crimes of the future, présenté à Cannes en avant-première mardi dernier, qui avec sa caméra "rôdante" évoque à la fois Vidéodrome et surtout Crash, deux de ses oeuvres les plus marquantes. Toujours obsédé par les liens entre plaisir et douleur, il imagine un monde où la sexualité à l'ancienne a disparu pour faire place à un condensé de Sacher-Masoch très explicite, mais où, bizarrement, la douleur a disparu. Son univers se révèle encore une fois organique, complexe comme les rapports humains et inhumains, entre ambiguïté et perversion, avec qui plus est une parodie futuriste du narcissisme artistique qui évoque le body art d'Orlan ou de Marina Abramovic. Les acteurs sont excellents, au premier rang desquelles l'inévitable Léa Seydoux et le grand Viggo Mortensen, devenu acteur fétiche de Cronenberg depuis A History of Violence, dont l'apparence et la voix évoquent à la fois Dark Vader et l'Empereur dans Star Wars. "Plastiquement", le film, qui a le même titre que son deuxième film datant de 1970 dans lequel il était aussi question de développement d'organes, est très beau, mélange de Brazil et Le Labyrinthe de Pan, avec des atmosphères gothiques et fantastiques, mais se révèle forcément sous la griffe du réalisateur canadien, insaisissable, tortueux et par moment... dérangeant. Mais Cronenberg n'est jamais aussi à l'aise... que dans le malaise.