Après son expérience au Conseil technique médical, démarre pour Jacques de Toeuf la longue expérience de président de l'Absym en alternance avec Marc Moens et, tardivement, Roland Lemye. Il côtoiera une multitude d'acteurs de soins, les pontes de l'Inami et de nombreux ministres comme Franck Vandenbroucke, Magda De Galan, Rudy Demotte, Laurette Onkelinx et Maggie De Block.
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Le journal du Médecin : Vous avez connu une kyrielle de ministres de la Santé publique...Jacques de Toeuf : En plus de 30 ans de syndicalisme médical, je ne me suis frotté qu'à des socialistes. J'ai commencé avec Philippe Busquin en 1989. Les ministres CVP dans les années 80, je ne les ai pas connus. Je n'étais pas à ce niveau. Concernant Jean-Luc Dehaene qui vota la loi sur les hôpitaux en 87, je l'ai connu plus tard lorsqu'on était en pétard avec Magda De Galan et surtout Marcel Colla... À cette époque, Dehaene doit reprendre la main. Je le rencontre tout seul.Finalement, tous ces ministres assurent une grande continuité dans l'action publique. Vous vous entendiez mal avec Marcel Colla...Avec Colla, on ne s'entend pas du tout. Il est l'homme du nivellement. Il fait voter l'autonomie des kinés, une mesure agressive mais au bout du compte pas mauvaise... C'est lui qui, dans son cabinet, crée le Cartel pour nous emmerder ! De Galan, aux Affaires sociales, maintient l'équilibre. Le ministre Anselme assure l'intermède. Ensuite, j'ai connu Rudy Demotte, Franck Vandenbroucke, Laurette Onkelinx,...Comment l'Absym est-elle parvenue à maintenir le cap ?Honnêtement, on n'est pas arrivé à tout maintenir... Le monde évolue. Les politiques transforment ce qu'ils ressentent chez leur militant, dans la population et aujourd'hui sur internet. On ne peut pas décréter : " C'était mieux il y a 40 ans. Il faut que cela reste. " On a dû accepter des choses qu'on n'aimait pas mais que les ministres voulaient absolument développer. Comme les maisons médicales, le forfait en médecine générale. La tendance de fond des socialistes, c'est le forfait. Ce que nous défendons dans la médecine à l'acte, c'est que le médecin soit payé pour ce qu'il fait et non pour ce qu'il est. Si on te donne un forfait et que derrière, il n'y a pas d'obligation d'un service de qualité rendu, et qu'on dit " il assure la santé de la population ", c'est une escroquerie. Nous disons que le médecin doit être sufisamment motivé pour travailler et que son argent dépende du boulot qu'il fait. Bien sûr, la médecine à l'acte peut pousser à la surconsommation. Mais le forfait sans contrainte peut déboucher sur une baisse de productivité. Si tu es salarié, un " contremaître " peut encore venir te demander d'accélérer la cadence. Mais en matière de forfait, personne ne regarde. Cela, les politiques le voulaient et l'on fait avancer au fur et à mesure (...) Bien sûr, le médecin doit être responsabilisé financièrement. Un moment, on ne voulait pas de ça. Soit on n'a pas bien mené ce combat, soit c'était idiot de s'y opposer. On n'a donc pas pu mener à bien tous les combats.Qu'avez-vous pu sauver ?Une certaine maîtrise de l'outil... Quand tu as un forfait, lorsque tu cours derrière un subside, tu es obligé pour l'obtenir de travailler comme on te dit de travailler. Par exemple, la vision de Domus Medica, c'est : à partir de 17 h, il est interdit d'encore travailler. Car c'est la garde qui commence. Donc tu perds la liberté de travailler comme tu l'entends. Soit on te dit : il faut prescrire tel type d'antibiotiques, il faut suivre tel guideline, tel trajet de soins. Notre vision c'est : si notre patient/client encore en bonne santé vient nous revoir, c'est qu'il nous considère comme son avocat (...)Quand avez-vous gagné ?Eh bien, c'est très intéressant pour la mécanique du système : on a gagné, dans les hôpitaux, lorsqu'on s'est trouvé en situation d'impasse en médico-mut ou lorsque le politique voulait " en sortir " via les intermédiaires comme Jo De Cock qui viennent faire du bilatéral en allant voir les uns et les autres pour débloquer la situation. Alors on répond : on nous a pris de l'argent donc on a cassé l'accord (en 2017, ndlr). Comme il est évident qu'on ne recevra pas d'argent supplémentaire, on demande autre chose. Et on a demandé du pouvoir dans les hôpitaux. On a reçu le conseil médical nouvelle mouture tel qu'il est inscrit dans les réseaux. À chaque fois, on peut obtenir des choses en dehors du conflit qui fout la merde en échange d'accepter le peu qu'on nous sert. Cela marche avec certains ministres, pas avec d'autres... C'est une question de confiance.Globalement, cette confiance fut présente ?Non. Certainement pas au début. Notre réputation conservatrice, limite " N-VA francophone " est une donnée du problème. Même si c'est injuste (...)Maggie De Block, plus proche philosophiquement de vous, a été plus conforme ?On ne l'a pas vue ! Il faut savoir que les libéraux flamands, depuis que je les fréquente comme Karl De Gucht (que j'ai croisé à l'époque de De Galan) qui nous a reçu comme des chiens, les médecins sont un coût pour la société, pour le patronat. Et donc, moins on les paie, mieux c'est. Les pires adversaires des médecins pour les questions d'argent ce sont les libéraux flamands. Farber m'avait bien fait comprendre que l'Absym doit discuter avec des gens qui ont beaucoup de " préalables ", de préjugés. Cela n'a pu s'améliorer qu'avec le temps. Le plus mauvais, ce fut Rudy Demotte (ndlr : ministre des Affaires sociales et de la Santé publique - 2003/2007).Concernant les mutuelles, il y a 20 ans, on avait l'impression entre vous d'une guerre perpétuelle. Aujourd'hui, c'est un peu plus convivial...À part les Mutualités chrétiennes. Ils sont insupportables ! (...) Certaines mutuelles, on ne les voit jamais. Les Neutres, par exemple, les Libérales, la SNCB. On a de bonnes relations avec les socialistes et les libres. C'est l'histoire. Cela a commencé du temps de Moureaux. Les patrons des Mutualités socialistes étaient Guy Peeters et Bernard De Backer. Bernard De Backer est devenu un ami. Nous nous voyions de temps en temps. Ce n'est pas une raison de se mettre à plat ventre mais ça crée des liens. Ça a joué. Troisquatre fois par an, nous allions les voir. Maintenant, c'est Callewart et Labille ainsi que Laasman. On se voit, on se fait un agenda de " disputes ", on essaie de se comprendre et on met les choses à plat. Même si l'on se quitte sur un désaccord, on se comprend. C'est intéressant.D'un côté, on a l'impression d'une grande fermeté, mais vous apparaissez plus comme " entriste ". Vous avez une stratégie de compréhension quitte à aller au clash...C'est ma grande différence par rapport à Wynen. Il disait toujours qu'il faut abattre son adversaire. Sinon il revient sur le ring la fois suivante. Je n'aime pas les clashs. Je préfère discuter. Ça prend du temps bien sûr. J'aime beaucoup l'idée d'entrisme. C'est du Trotski. J'ai plaidé cela dans un conseil d'administration dans les années 80...C'est ainsi que vous avez accepté la présidence d'e-Health, par exemple ?Tout à fait. Des postes qui sont très neutres (...). On coupe les rubans. Le patron, c'est l'administrateur-général (Franck Robben, ndlr). Si Onkelinx m'a bombardé là, c'était pour deux choses : fonction facilitatrice mais aussi (...) mouiller l'Absym en lui confiant un des postes en se disant " ainsi il n'y aura pas de dérapages ". Mais au bout du compte, j'ai joué le super-DRH entre les égos qui frottent. On ne perd jamais son temps à dialoguer ! Mais les médecins doivent comprendre que lorsque tu rentres dans un dialogue, in fine, tu n'auras jamais tout ce que tu voulais (...).Par rapport à la base médicale, n'y a-t-il pas une ingratitude par rapport à vous, syndicalistes ? On vous dit avides de pouvoir alors que vous le vivez comme un sacerdoce...L'ingratitude est totale. Moi j'ai réglé cela depuis longtemps grâce à Wynen. Il m'avait dit : " Le secret du bonheur conjugal c'est de mettre sa femme dans le même boulot ". Elle comprend pourquoi on est dans la merde, pourquoi on a des soucis... C'est ce que j'ai fait (...).Lors des dernières élections médicales, le taux de participation était de 24% contre 70% lors de la première édition. N'est-ce pas quelque part un échec du syndicalisme médical en place ?Beaucoup de médecins ne savent pas ce que nous faisons ! C'est notre faute. On n'a pas expliqué suffisamment. En même temps, ils ne s'intéressent pas à la chose. C'est le versus médical de la population tournée vers sa famille, la perte du sens collectif. Ils se concentrent sur l'individu. Les médecins, de plus, ont l'impression que cela ne sert à rien. Lorsqu'on négocie une avancée pour les médecins dans les hôpitaux, s'ils ne s'en servent pas, ils ont l'impression que c'est inutile. Rappelons également qu'on est dans une morosité financière depuis dix ans, depuis la crise financière de 2007. Les gars voient bien qu'ils gagnent moins bien leur vie (même si les masses financières globales démontrent le contraire, sans doute est-ce dû aux taxes ? ). Il y a tellement de contraintes que cela ne les passionne plus (...).Avez-vous le sentiment de laisser un héritage ?J'espère que non. C'est très mauvais les héritages. Ce n'est pas mon truc...