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Dans le cadre des dix ans d'existence du Modes, le syndicat organisait une conférence-débat pour poser un regard rétrospectif sur sa décennie d'activité, mais aussi et surtout pour se projeter dans les dix prochaines années et au-delà. Résolument tourné vers l'avenir, le syndicat a offert sa tribune à différents intervenants qui ont soulevé, tour à tour, la question de la future place de l'hôpital, celle des patients et celle, incontournable, de la transition écologique dans le secteur des soins. Stéphan Mercier était le premier orateur à monter sur la petite scène de l'auditoire du tout nouveau campus UCharleroi, dans la ville éponyme. Directeur général du CHU Helora, fruit de la fusion entre les hôpitaux du groupe Jolimont et le CHU Ambroise Paré (sept hôpitaux répartis entre La Louvière, Lobbes, Nivelles, Tubize, Mons et Warquignies), Stéphan Mercier évoque sa vision pour le futur des hôpitaux. Il regrette un "hospital-bashing", une réputation d'hospitalo-centrisme attribuée aux hôpitaux qui ne seraient qu'une concentration de médecins spécialistes qui ignorent ce qui se passe en dehors de leurs murs. "La médecine générale s'arrête-t-elle à la porte de l'hôpital?", questionne-t-il. "A priori, non. Mais comment faire pour adoucir ce clivage? Plus l'hôpital est grand, plus le lien avec la médecine générale est compliqué, pour ne pas dire condescendant, à la différence d'hôpitaux beaucoup plus petits, qui savent que leur référencement est tributaire de la première ligne de soins." À l'inverse, le juriste et économiste de formation rêve de l'hôpital comme d'une plaque tournante, un hub pour la santé. "C'est la notion d'hôpital liquide: voulons-nous un hôpital qui s'arrête à ses murs, ou un hôpital poreux, en contact avec l'extérieur?"Mais les freins vers l'hôpital idéal sont nombreux, et le financement est rapidement mis sur la table, non sans une pointe de véhémence: "On dirait que l'hôpital est financé par des gens qui ne connaissent pas la médecine, parce qu'on ne finance que ce qui impressionne, c'est-à-dire deux choses: ce qui saigne et ce qui utilise les machines. Exit les spécialités comme la gériatrie." Stéphan Mercier évoque ensuite un autre problème lié au financement: "On s'étonne que les hôpitaux ne collaborent pas, ne se réfèrent pas les patients entre eux, dans un objectif de santé publique. Mais on ne fait pas bouger les freins. Dans le système belge, où le partage d'honoraires n'existe pas, l'argent suit le patient. Si un de mes spécialistes envoie un patient dans un autre hôpital, je n'ai pas droit à un partage de l'honoraire entre le référent et le référé. Comment voulez-vous que les hôpitaux ne s'accrochent pas tous à leurs patients? Cela bloque la collaboration des hôpitaux."Acteur de premier plan dans la fusion des hôpitaux du nouveau groupe Helora, Stéphan Mercier, également ancien président du conseil d'administration d'Unessa, rêve à un aboutissement des réseaux hospitaliers. "C'est une réforme inachevée incompatible avec les modes de financement actuels. Par exemple, quand un hôpital est multisites, il n'est payé, pour la partie fixe, que pour un seul service d'urgences, que pour un seul service de soins intensifs... Demain, soit les fusions vont s'imposer, soit il ne se passera rien", conclut-il. Pour y arriver et pour que l'hôpital puisse ainsi se réinventer, le directeur général d'Helora réclame des éléments qui n'ont pas encore été obtenus: "Sécurisez nos budgets. Dites-nous que pour les cinq prochaines années, nous pouvons compter sur ce budget. Ensuite, donnez-nous de la visibilité, des règles stables et des économies qui restent dans le secteur. On a le sentiment de vivre certaines formes de hold-up. Du coup, on a envie de se comporter de la même manière."Dans un tout autre registre, le Dr Gérald Deschietere, responsable de l'unité de crise et d'urgences psychiatriques des Cliniques universitaires Saint-Luc, est venu soulever les nouveaux enjeux éthiques qui se présentent dans les soins de santé. Loin de la relation patriarcale qu'entretenait le médecin avec son patient, le modèle qui prend le pas aujourd'hui tend à mettre le patient et le médecin sur un pied d'égalité. "Le patient a besoin d'être rencontré dans sa singularité", explique le psychiatre. "C'est un enjeu pour les patients, mais également pour les soignants. Je constate que l'horizontalisation de la relation soulève des difficultés. Oui, il faut soulever l'idée que le patient a des droits, mais je ne crois pas à une symétrie parfaite des compétences. On risque de déresponsabiliser complètement le traitement." Le Dr Deschietere évoque l'image d'un patient devenu un client aux côtés du médecin, dans une attitude consumériste par rapport aux soins. Il cite l'exemple des urgences: "Tout le monde, quand il se sent en danger, se rend aux urgences. C'est comme un réflexe. Le rapport au temps a changé. On voit les limites de ce système, avec de la souffrance autant pour les patients que pour les soignants. Je crois vraiment dans l'idée qu'il faut donner davantage d'éducation à la santé."Dans le débat autour de la prise en considération du patient, il était impossible de ne pas mentionner la nouvelle Loi sur les droits du patient. "Globalement, comme beaucoup de collègues, je la soutiens. Mais pour autant, les principes d'émancipation du patient par rapport au discours médical doivent amener quelques éléments de réflexion, notamment sur la place centrale accordée à l'objectif de vie. Le soignant n'est plus uniquement le dépositaire de la bonne santé de son patient. Il doit pouvoir amener la question de ce que son patient puisse réaliser ses objectifs de vie, ses autres valeurs, en dehors du cadre de la santé. L'idée est de considérer le patient non plus comme un patient médical, mais comme un citoyen. Très bien, mais avec les difficultés liées au financement, je ne sais pas comment on va pouvoir faire pour faire cela et continuer à soigner..." Autre point d'achoppement de la nouvelle loi: l'obligation de verser au dossier du patient les notes personnelles du soignant. "Je n'arrive pas à comprendre l'idée qu'on veuille imposer aux soignants, aux médecins, de ne plus avoir aucune considération personnelle. On nous dit d'arrêter de penser des choses sur notre patient, ou de dire tout haut tout ce qu'on peut penser. Cet aspect-là de la loi m'inquiète beaucoup. C'est donner du crédit à quelque chose qui, pour moi, n'est pas utile."C'est enfin Pauline Modrie qui réalisera la dernière intervention, avec un mot sur la place de la transition écologique. Pauline Modrie est conseillère en développement durable et attachée à la direction du CHU UCL Namur et membre des Shifters Belgium, groupe qui milite pour la sensibilisation du grand public aux enjeux d'énergie et de climat. "Si nous voulons faire face au défi climatique, les solutions devront être systémiques et demanderont une approche intégrée de l'adaptation et de l'atténuation", attaque-t-elle d'emblée. "Il y a des mesures réalisables pour arrêter l'emballement du réchauffement climatique", rassure la bio-ingénieure de formation. "Pour cela, il faut décarboner à peu près tous les secteurs de l'économie pour l'horizon 2050.""Pourquoi ne pas se focaliser sur des secteurs moins indispensables à la société que celui de la santé?", poursuit Pauline Modrie. La question a le mérite d'être soulevée, mais trouvera rapidement réponse: "Le secteur des soins de santé représente entre 5% et 8% de l'impact carbone national, c'est énorme. Là où c'est très intéressant, c'est que le poids de l'influence des acteurs de ce secteur est énorme aussi. Les professionnels de la santé ont des voix qui sont relativement bien écoutées dans la population. Un plaidoyer autour du changement climatique, dans leur bouche, a beaucoup d'impact." En effet, une enquête réalisée par Ipsos a montré que seuls 9% de la population pense que les politiciens disent la vérité. Pour les médecins, ce taux grimpe en flèche à 85%. "Quand un médecin parle de l'impact du changement climatique, il va vraiment agir en catalyseur de changement de paradigme". À bon entendeur...