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Une analyse poussée des données de la vaste cohorte américaine NA-ACCORD montre que lutter intensivement contre les facteurs de risque traditionnels tels que tabagisme, cholestérol, diabète, HTA, hépatite B et C s'avère plus performant pour enrayer cette spirale ascendante que le seul traitement optimal du VIH (CD4 > 200 et charge virale indétectable). Quelques chiffres pour mieux comprendre ce nouveau challenge.Une vaste cohorte pour répondre à une question capitale Certes, la présence du VIH augmente le risque des maladies cardiovasculaires ainsi que celui de certains cancers. Mais, à présent que l'espérance de vie des patients vivant avec le VIH rejoint petit à petit celle de la population générale, quelle est la contribution relative des facteurs de risque traditionnels liés à l'âge ou au mode de vie sur la morbidité et la mortalité des patients porteurs du virus ? Peu de données solides nous permettent de répondre à cette interrogation cruciale d'où l'intérêt de l'analyse de la cohorte NA-ACCORD qui réunit près de 180.000 patients vivant avec le VIH et sous traitement ARV suivis entre 2000 et 2014 dans plus de 200 centres américains spécialisés. Cancers non associés au VIHConcernant les cancers non associés au VIH, 61.500 patients étaient éligibles pour analyse. Sur une période de suivi moyen de 4 ans, on dénombre 1405 diagnostics de cancers non associés au VIH répartis comme suit: 16% poumon, 16% anus, 12% prostate, 7% lymphomes non Hodgkinien, 6% foie, 6% ORL, 6% sein, 5% mélanome, 5% colon et rectum. Il apparaît que le principal facteur de risque de cancer est le tabagisme. En effet, il augmente de 61% le risque de développer un cancer non lié au VIH et, même après exclusion du cancer du poumon, ce risque de cancer demeure augmenté de 36%. Les investigateurs ont calculé que 24% de ces cancers auraient pu être éviter en ne fumant pas. Par comparaison, seuls 3% de ces cancers non associés au VIH auraient pu être prévenus en maintenant un taux de CD4 supérieur à 200 cellules/mm3. Infarctus du myocardeL'analyse concernant le risque d'infarctus du myocarde porte sur 29.515 sujets éligibles. Sur 3,5 ans de suivi moyen, on dénombre la survenue de 347 infarctus aigus. Le tabagisme augmente de 82% le risque d'infarctus, un taux élevé de cholestérol le multiplie par un facteur 3 et l'HTA par un facteur 3.5. Notons ici un impact non négligeable du virus VIH puisque un taux de CD4 inférieur à 200 cellules/mm3 double le risque d'infarctus. Or, lutter contre ces facteurs de risque a un impact certain. Ainsi, ne pas fumer diminue ce risque de 37%, un bon contrôle du taux de cholestérol le diminue de 44% et une TA à la cible recommandée le diminue de 42%. A nouveau, lutter contre les facteurs de risque traditionnels est plus rémunérateur puisque maintenir un taux de CD4 supérieur à 200 cellules/mm3 ne réduit le risque d'infarctus aigu que de 6%.Insuffisance hépatique terminale Sur les 35.044 sujets éligibles pour cette analyse, on observe 387 cas d'insuffisance hépatique terminale sur une période de suivi moyen de 3,1 ans. Fumer n'a aucun impact sur la survenue de cet événement. Par contre, une infection par le virus de l'hépatite C ou B ainsi que des CD4 < 200 cellules/ml multiplie ce risque d'un facteur entre 3 et 4. L'abus d'alcool n'augmente le risque d'insuffisance hépatique terminale que de 78%. Mais, sur le plan de la prévention du risque, vu l'importance de la surconsommation d'alcool de cette population, l'abstinence alcoolique réduit de 35% le risque d'évolution vers un stade terminal. Eviter une contamination par le virus de l'hépatite C ou B diminue le risque d'évolution respectivement de 30% et 17%. Un taux requis en CD4 permet de réduire ce risque de 16%. Insuffisance rénale terminaleSur le plan rénal, le principal ennemi est bien évidemment l'HTA qui multiplie d'un facteur 5 le risque d'évolution vers un stade terminal. Prévenir ce risque permet de réduire le risque d'évolution de 40%. Autres ennemis du rein, l'excès de cholestérol et un taux bas de CD4 qui multiplient le risque d'évolution terminale respectivement par 2,5 et 3. Un taux de CD4 aux normes réduit ce risque de 20%. Conclusion De cette avalanche de chiffres, il ressort que tenir compte exclusivement des facteurs de risque liés au virus VIH (principalement le maintien d'un taux de CD4 > 200 cellules/ml) a globalement un moindre impact que prévenir, dépister et traiter correctement les facteurs de risque traditionnels bien connus qui mènent à l'infarctus, au cancer ou aux insuffisances rénales et hépatiques. Le message est donc clair : pour la décennie à venir, il est important de focaliser toute son attention sur le dépistage et la prise en charge thérapeutique optimale de facteurs de risque tels que l'HTA, les lipides, le tabagisme et l'infection par le virus de l'hépatite C tout en ne négligeant jamais le maintien à niveau du taux de CD4. Tout est donc question de balance ! Sur un plan plus organisationnel, il faudra aussi adapter les structures de soins dédiées aux patients VIH pour permettre cette prise en charge élargie.Réf: Athoff KN et al. Lancet HIV, 6: e93-104, 2019.