...

Quel est l'impact des infections virales dans la première année de vie sur la trajectoire de santé de l'enfant? Pour répondre à cette question, la Pre Anne Botteaux (European Plotkin Institute for Vaccinology - ULB) commence par un petit rappel sur le microbiote, soit l'ensemble des organismes vivants qui colonisent toutes nos surfaces muqueuses, et notamment celle du tractus respiratoire. "Le microbiote est principalement composé de bactéries (8 millions de gènes bactériens), mais on y retrouve aussi des virus et des champignons. Ce microbiote s'acquiert à la naissance et provient principalement de la mère. Il sera très différent si l'accouchement se passe par voie naturelle basse ou par césarienne, ce qui aura des conséquences sur la santé de l'enfant. La deuxième grande différence qui va se mettre en place dès la naissance dépend de la façon dont le bébé va être nourri, s'il est allaité ou pas."Largement moins étudié que le microbiote intestinal (même s'il y a de plus en plus de publications), le microbiote du tractus respiratoire est aussi un peu plus complexe. "Pourquoi? Parce qu'à ce niveau, il y a beaucoup de compartiments anatomiques et fonctionnels dif- férents, avec des différences de pression en O2 et CO2, de pH, de température tout le long. Ce qui fait que la colonisation est très différente suivant l'endroit où on se trouve dans ce tractus. Il y a aussi une différence en densité bactérienne: elle est beaucoup plus importante au niveau de l'oropharynx et moindre au niveau du poumon. On a souvent dit que le poumon était stérile, or on sait maintenant que c'est faux (102 bactéries/cm2, or le tractus respiratoire fait 70 m2). Les espèces retrouvées dans les différents compartiments diffèrent également entre l'oropharynx et le poumon."Les fonctions sont plus ou moins les mêmes qu'au niveau intestinal: contrer les pathogènes via la sécrétion de diverses molécules dont des bactériocines (capables de tuer d'autres bactéries) et du peroxyde d'hydrogène. En outre, les molécules sécrétées par ces bactéries permettent aussi la communication avec l'hôte, notamment pour aider à la maturation de l'épithélium respiratoire. Ces microbes sont donc nécessaires au développement et à l'intégrité de cet épithélium. De plus, ils vont être importants pour l'immunomodulation, c'est-à-dire pour l'éducation du système immunitaire et lui apprendre la tolérance. Comment le microbiote du nasopharynx se met-il en place? "Dans les premiers jours de vie, le microbiote respiratoire est principalement composé de Staphylococcus qui vont voir leur population diminuer rapidement. Il y a aussi beaucoup de Corynebacterium, dont la proportion va aussi diminuer et se stabiliser. Enfin, la famille des Moraxella, peu présente au début, va prendre de l'importance au fur et à mesure de l'âge. Toutes ces variations ont lieu pendant les deux premiers mois de vie et se stabilisent ensuite", explique la spécialiste. "Nous avons tous des microbiotes différents parce que de nombreux facteurs influencent leur composition. En début de vie, il est influencé par la façon dont l'enfant est né, son mode d'alimentation, mais aussi s'il vit avec de jeunes enfants autour de lui, selon la saison de sa naissance, la génétique, les vaccinations, la prise d'antibiotiques et le fait d'être en contact avec la fumée. Et enfin, il y a son exposition aux infections."Les infections du tractus respiratoire chez l'enfant sont principalement virales, elles sont responsables de 15% des décès chez les moins de cinq ans. "Chez certains enfants, il y a un problème de récurrence de ces infections, sans qu'on en connaisse la cause. Les virus respiratoires ont un tropisme pour le tractus supérieur ou inférieur. Tous sont considérés comme des 'pathobiontes', ce qui signifie que le virus peut être présent et ne donner aucun symptôme ou alors donner des infections", indique-t-elle. Une étude allemande s'est intéressée à la détection virale précoce et à la susceptibilité aux infections des voies respiratoires chez les nourrissons [1]. Ces chercheurs se sont intéressés à une cohorte de 117 bébés (2012-2014), où 38% étaient nés par césarienne et 46% nourris au sein. Pendant la première année de vie, ils ont réalisé 11 prélèvements lorsqu'ils étaient asymptomatiques et des prélèvements au cours des épisodes d'infections respiratoires aiguës. Ils ont recherché 17 virus. Résultats? En fonction de l'âge, chez les nourrissons asymptomatiques, de plus en plus de virus sont détectés, dont le plus fréquent est le rhinovirus (RV). Chez ceux qui ont fait des infections, on voit l'apparition du virus respiratoire syncytial (RSV). Ils ont montré une association significative entre l'infection respiratoire et certains virus comme le RSV, entérovirus, adénovirus, hMPV (métapneumovirus humain), coronavirus humain HKU1. Le fait d'avoir détecté la présence de virus asymptomatiques a-t-il un lien avec la survenue de ces infections respiratoires? Chez les enfants qui ont fait des infections (cinq à sept épisodes sur l'année), la détection de virus asymptomatiques, notamment du rhinovirus, est très précoce (dans les 100 premiers jours). "Il semble que la détection d'un virus (asymptomatique) pendant les premiers mois est un facteur de risque pour les infections respiratoires futures", précise Anne Botteaux. "Il y a une association entre l'âge de la première détection de virus et la susceptibilité aux infections respiratoires: plus elle est précoce, plus il y aura une susceptibilité à faire des infections respiratoires. Cette association implique principalement le rhinovirus (qui est rarement responsable d'infections). Les facteurs de risque pour les enfants qui portent le rhinovirus de façon asymptomatique sont le fait d'être nés en hiver et d'avoir de jeunes frères et soeurs.""Une étude a essayé d'élucider ce mécanisme en se disant que c'était soit une question immunologique chez l'hôte, soit que ce portage de virus affectait le microbiote. Ils ont regardé l'expression des gènes de l'hôte dans les nasopharynx et le microbiote. En termes d'expression chez l'hôte, quel gène était up- ou down-régulé au cours du temps? Ils ont observé qu'à six mois, il y a un énorme shift au niveau du nasopharynx: une batterie de gènes sont up-régulés et d'autres sont down- régulés", souligne-t-elle. Pour quoi ces gènes codent-ils? "À six mois, il y a une up-régulation des gènes qui contrôlent la mise en place de la dégranulation des neutrophiles, de la réponse interféron face aux virus et pro-inflammatoires, et une down- régulation des gènes impliqués dans la maturation et la différenciation du tractus respiratoire." Quelle corrélation avec la présence de virus? "Ces chercheurs ont remarqué que la présence de virus dans les trois premiers mois de vie augmente l'expression de certains gènes pro-inflammatoires, impliqués dans la défense immunitaire."D'autres chercheurs ont étudié la présence virale, les profils d'expression génétique et le microbiote nasopharyngé de la naissance à l'âge de 12 mois chez 114 nourrissons en bonne santé [2]. Ils ont observé que les dynamiques les plus fortes dans les profils d'expression génique se sont produites au cours des premiers jours de vie. "Deux familles nous intéressent ici", précise Anne Botteaux, "les Corynebacteries qui se maintiennent jusque l'âge de 2-3 mois, puis il y a un switch vers les Moraxella vers 5-6 mois. Chez les enfants qui font des infections respiratoires récurrentes, on voit que cette transition qui devait avoir lieu vers 5-6 mois a lieu beaucoup plus tôt. De plus, il y a apparition d'Haemophilus qui normalement ne sont pas présents."Les chercheurs concluent de leurs observations qu'une infection virale asymptomatique précoce coïncide avec une activité plus forte de l'interféron, qui est liée à une dynamique spécifique du microbiote, notamment un enrichissement trop précoce en Moraxella et l'apparition d'Haemophilus spp. Ces caractéristiques microbiennes sont à leur tour associées à des infections virales ultérieures des voies respiratoires plus fréquentes. Cette étude suggère que les infections précoces prédisposent à d'autres infections. Qu'en est-il à plus long terme? Une étude de cohorte prospective [3], menée sur 5.362 sujets nés en 1946 et suivis jusqu'en 2019, montre que les infections des voies respiratoires inférieures pendant la petite enfance sont associées à un risque presque deux fois plus élevé de décès prématuré chez l'adulte par maladie respiratoire, et représentent un cinquième de ces décès. En résumé: plus on fait d'infections étant jeune, plus il y a une diminution de la survie en fin de vie.