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"Est-ce que les gens mangeront moins de tartines à cause de la taxe sur les comptes-titres ? Non ! ", a déclaré Jan Jambon, ministre de l'Intérieur. Il reste qu'il s'agit bien là d'un impôt sur le patrimoine mobilier du citoyen, un prélèvement qui n'existait pas jusqu'ici en Belgique. Plusieurs autres pays le pratiquent, l'exemple le plus connu étant sans conteste celui de la France, avec cet impôt de solidarité sur la fortune (ISF) que certains viennent éluder en s'établissant chez nous. Et que le président Macron voudrait profondément modifier dans le sens d'un impôt sur la fortune immobilière, un virage négocié par l'Italie voici un quart de siècle. On relève au passage que pas mal de pays européens appliquaient naguère un tel impôt sur le patrimoine mais qu'ils l'ont supprimé assez récemment : l'Allemagne, le Danemark et la Suède en 1997, la Finlande et le Luxembourg en 2006, la Grèce en 2009... Il existe par contre aux Pays-Bas et en Suisse, notamment.Cette déjà fameuse taxe de 0,15 %, qui serait officiellement qualifiée de "taxe d'abonnement", est bel et bien le premier impôt frappant le patrimoine mobilier en tant que tel. On ne saurait toutefois perdre de vue que le patrimoine immobilier est, lui, imposé au travers du précompte immobilier. En dépit d'une terminologie identique, ce précompte ne frappe en effet pas un revenu, à l'instar du précompte mobilier sur les intérêts et dividendes, mais bien un actif, indépendamment de tout revenu. Consolation : un tel impôt existe quasiment partout et il est parfois sensiblement plus lourd que chez nous.Ce qui est plus lourd en Belgique par contre, c'est la mutation, c'est-à-dire le changement de propriétaire. Dus sur un achat immobilier, les droits d'enregistrement sont particulièrement élevés en effet, comme on le sait : 10 % en Flandre et 12,5 % en Wallonie et à Bruxelles. Tel est du moins le taux de base, avant réductions ou abattements. À l'autre extrémité du classement européen figure la Grande-Bretagne. Là-bas, sur une habitation (relativement) bon marché, on peut s'en tirer avec 1 % à peine !Affirmer que le patrimoine mobilier, lui, échappait jusqu'ici à l'impôt paraîtra quand même un brin excessif étant donné qu'il est lui aussi frappé de taxes à l'achat. Et ces dernières viennent de recevoir un nouveau petit coup de pouce, qui sera applicable à partir de l'an prochain. La taxe sur les opérations de Bourse (TOB) passera de 0,09 à 0,12 % pour les obligations et de 0,27 à 0,35 % pour les actions. Peut-être le gouvernement s'était-il vexé de voir la Belgique rétrogradée en-dessous de la France. Paris avait en effet, à la fin 2016, porté de 0,2 à 0,3 % la TOB sur les actions...L'alourdissement de la fiscalité s'opère aussi par la bande. Ainsi, cette TOB est plafonnée à un certain montant... et ce dernier doublera l'an prochain, à 1.300 euros pour les obligations et 1.600 euros pour les actions. On arrive cependant là à des montants fort élevés, soit plus d'un million pour les premières et plus de 457.000 euros pour les secondes, de sorte que cela ne concernera pas énormément de monde. Il en va différemment de la taxe de 1,32 % qui frappe la revente des sicav de capitalisation, celles qui accumulent leurs revenus au lieu de les distribuer. Le plafond doublera ici aussi, à 4.000 euros. Ceci correspond en chiffres ronds à une vente de 300.000 euros. Montant assez coquet, sans doute, mais une sicav bien diversifiée peut peser beaucoup plus lourd dans un portefeuille qu'une action individuelle. Dès lors, les investisseurs belges sont à coup sûr beaucoup plus nombreux à détenir pour 300.000 euros d'une pareille sicav que pour 457.000 euros d'une action ou pour un million d'une obligation. Ils seront donc plus nombreux à pâtir de ce nouveau plafond.Pour en revenir à la taxe de 0,15 % sur les comptes-titres, il reste pas mal de choses à préciser. Son assiette serait plus large qu'imaginé au départ, a-t-on appris la semaine dernière, même si les actions concernées seraient limitées à celles cotées en Bourse. Les titres détenus dans une entreprise familiale y échapperaient donc. On attend confirmation de tout cela. Quoi qu'il en soit, on ne s'étonne pas d'observer que le new (fiscal) game in town est aujourd'hui de chercher comment échapper à cette taxe ! Depuis que les valeurs mobilières sont dématérialisées, la détention d'actions, obligations et autres fonds n'est en effet possible qu'au travers d'un compte-titres ouvert dans une institution financière. Contrairement à ce qui prévaut aux Etats-Unis notamment, il n'est guère possible en Belgique de détenir des actions d'une société (cotée) en direct, c'est-à-dire par inscription dans le registre ad hoc de la société en question. Une exception célèbre : Solvac, le holding qui détient 30 % de Solvay. Tous les investisseurs du pays ne peuvent toutefois pas liquider leur portefeuille pour se ruer sur l'action Solvac...Il ne devrait servir à rien d'éclater son portefeuille entre diverses banques, de manière à rester en-dessous du seuil fatidique des 500.000 euros dans chacune d'entre elles. On imagine en effet mal que le gouvernement se laisse berner par cette astuce, grosse comme un câble de marine. Il l'a bien été à propos de la multiplication des carnets de dépôts, relèveront certains. Faux : il y avait clairement une tolérance à cet égard, sur laquelle il ne faut pas compter ici.Plusieurs juristes et fiscalistes ont pointé une piste patrimoniale : réaliser des donations, avec réserve d'usufruit par exemple. Le demi-million d'euros dorénavant taxé s'entend en effet par personne. Partagé entre les parents et leurs deux enfants, un portefeuille-titres de 1,8 million pourrait ainsi échapper à une taxe représentant 2.700 euros par an. A chacun de décider, une fois les modalités de cette taxe clairement précisées....Une question quand même : ne peut-on imaginer que le gouvernement renonce finalement à cette taxe sur les portefeuilles-titres, comme il l'a fait pour la (très éphémère) taxe sur la spéculation ? Très peu probable, aussi vrai que ce " geste " à l'égard du patrimoine était clairement une exigence du CD&V, soucieux d'ainsi " compenser ", aux yeux de son aile gauche, la politique jugée très pro-entreprises du gouvernement. Et ceci à défaut d'avoir obtenu une taxe sur les plus-values. Tout n'est pas acquis pour autant. Notamment la volonté de taxer les portefeuilles de plus de 500.000 euros dès le premier euro et non au-delà du demi-million. Il y aurait là inégalité de traitement entre les citoyens. Il reste moins de deux mois et demi pour préciser les choses.