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L'inflation régresse ces derniers mois, tant en Europe qu'aux États-Unis, tandis que l'économie résiste mieux que beaucoup le craignaient. La situation n'est donc vraiment pas dramatique. De là à affirmer que tout baigne, il y a une marge. La plupart des économistes s'attendent toujours à une récession aux États-Unis d'ici la fin de l'année, tandis qu'en Europe, plus précisément dans la zone euro, on y est déjà, avec une croissance négative de -0,1 %, tant au 4è trimestre 2022 qu'au 1er trimestre 2023. On sait en effet que deux trimestres consécutifs dans le rouge, c'est la définition d'une récession. Fût-elle quasiment symbolique dans le cas présent. À noter que la Belgique s'en tire mieux que la moyenne, avec des chiffres de respectivement +0,1 % et +0,5 %. Au contraire de l'Allemagne, dont l'économie s'est contractée de -0,5 % au dernier trimestre 2022 et de -0,3 % au premier trimestre 2023.Cette panne de l'Allemagne ne surprend pas quand on sait que, si l'activité reste assez soutenue dans les services, l'industrie est à la peine. C'est un premier souci, alors même que l'Europe ne cesse d'évoquer la nécessité de se réindustrialiser, pour corriger sa vulnérabilité aux importations de produits stratégiques. L'autre souci reste l'inflation. Elle régresse, mais assez lentement et irrégulièrement : en avril, elle avait même légèrement augmenté, à 7 %, contre 6,9 % en mars, ceci à un an d'écart et dans la zone euro. La chute des prix énergétiques l'a cependant fait reculer à 6 % en mai. Et à 2,7 % seulement en Belgique ! On est loin du sommet de 10,6 % enregistré en octobre 2022, mais loin également de la quasi-absence d'inflation (moins de 1 %) qui était de mise encore à la fin 2019. C'est que les prix alimentaires demeurent tendus : +12,5 % en mai 2023, toujours à un an d'écart. Et on ne les voit guère dégringoler à court terme.S'il serait dès lors déplacé de se montrer euphorique, il est au moins un spectre que la plupart des économistes écartent d'un revers de la main : une répétition du marasme dans lequel les pays occidentaux se sont englués à partir de 1973, suite au premier choc pétrolier. " Le choc énergétique de 2022 en Europe n'a pas les mêmes conséquences que celui constaté dans les années 1970. La forme du choc, sa géographie, les mécanismes d'indexation et la politique économique ne se ressemblent pas ". C'est en ces termes que le gestionnaire d'actifs Ostrum Asset Management introduit son étude comparative entre les deux époques. Ostrum AM n'est pas un gestionnaire confidentiel : c'est le nouveau nom de Natixis AM, une importante banque française. Quels sont ses arguments, ainsi que ceux des autres économistes ?Le premier point est de nature fondamentale : les énergies fossiles pèsent aujourd'hui moins lourd qu'en 1973 dans la " consommation primaire d'énergie ", suivant l'expression consacrée, en particulier en Europe. En France, elles sont ainsi revenues à une petite moitié, contre pas moins de 93 % en 1973. Le nucléaire était à l'époque insignifiant (0,9 %), tandis que les énergies renouvelables pointaient déjà à 6 %. Non les éoliennes ou le photovoltaïque, mais l'hydraulique. Le renouvelable a aujourd'hui un peu plus que doublé, tandis que le nucléaire a bondi à 36,7 % (chiffre de 2021) du total. Une flambée du prix du pétrole ou du gaz a donc aujourd'hui un impact nettement moindre, ce qui vaut également pour la Belgique.L'autre élément essentiel est bien connu du consommateur : autant le prix du gaz a explosé l'an dernier, autant il s'est dégonflé à vive allure. Au point de revenir récemment aux environs de 30 et même (temporairement) 20 euros le mégawatt/heure (MWh), contre plus de 300 durant l'été 2022 ! Un feu de paille, donc, comme illustré sur le graphique ci-contre, à l'inverse du quasi-quadruplement du prix du pétrole intervenu fin 1973, qui fut durable. Conséquence de la guerre du Kippour d'octobre 1973, entre Israël et ses voisins, le " premier choc pétrolier " causa une débâcle boursière et une récession sévère. Il s'est inscrit dans les livres d'histoire, y compris par le biais des mesures d'économie d'énergie alors imaginées, notamment les... dimanches sans voitures, récemment revenus à la mode. Il a même largement occulté le deuxième choc pétrolier survenu en 1979, dans le sillage notamment de la révolution iranienne. Lui non plus ne fut pas sans conséquences graves : le passage du baril de 13 à 35 dollars entraîna également une récession sévère au début des années 80.À l'issue de ces deux chocs aux racines politiques, le prix du pétrole fut donc multiplié par 10 en 6 ou 7 ans à peine : on comprend que nos économies en aient été fameusement secouées, comme le portefeuille du consommateur !Deux autres éléments sont à souligner. D'une part, la flambée du prix du gaz intervenue l'an dernier n'a guère entraîné le pétrole dans son sillage. Ce n'est donc qu'une partie des énergies fossiles qui s'est emballée. D'autre part, le phénomène fut essentiellement européen. Alors que le pétrole circule aisément au niveau mondial, le gaz nécessite des infrastructures coûteuses. Soit des gazoducs, soit des unités de liquéfaction et de regazéification, ainsi que des navires spécifiques. Ni les uns, ni les autres ne sont disponibles à bref délai ! Ceci explique que le prix du gaz ait flambé... en Europe, mais absolument pas aux États-Unis par exemple. L'impact économique et inflationniste de cette flambée fut donc, au niveau international, beaucoup plus limité que celui du choc pétrolier de 1973. Quitte à ce que l'inflation trouve d'autres sources, comme aux États-Unis.L'étude d'Ostrum AM pointe deux autres différences entre les années 1970 et aujourd'hui. Le premier est l'indexation des revenus. Elle est quasiment inexistante (sauf en Belgique, est-il souligné) alors que, dans le sillage du premier choc pétrolier, des mesures avaient été prises dans plusieurs pays. Ce fut évidemment un facteur de persistance de l'inflation.Plus importante peut-être est la différence entre les politiques menées alors et maintenant. Dans les années 70, le choc fut très rude pour les entreprises, dont les bénéfices chutèrent et qui n'avaient dès lors plus assez de moyens pour investir. D'où une forte contraction de l'activité économique. Le choc de 2022 fut au contraire largement mutualisé : les États ont pris sur eux d'aider tant les consommateurs que les entreprises, pour soutenir la conjoncture. " L'épisode actuel n'est certes pas achevé, mais il ne ressemblera pas au seul moment de forte inflation de l'après-guerre en Europe qu'était l'impact du premier choc pétrolier ", conclut l'étude.