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Le journal du Médecin: L'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique a-t-elle compté beaucoup de membres médecins? Dr Yves Namur: Depuis sa création en 1920, l'Académie en a connu quatre: Georges Marlow, Louis Delattre, médecin de Fontaine-L'Évêque qui fut un des premiers médecins hygiénistes et officia à la prison de Forest, le troisième n'est autre que votre serviteur, qui s'est démené pour qu'un autre confrère y entre: François Emmanuel. Vous êtes secrétaire perpétuel depuis trois ans, poursuivez-vous votre pratique médicale? Un jour par semaine, le mercredi de 8 à 20 heures, et cela ne désemplit pas. Avec la pandémie, j'avais repris du service de façon continue. Quand je suis en Belgique, j'essaie chaque jour, entre 18 et 19 heures, de répondre aux patients. Si une prescription est nécessaire, nous pouvons envisager une consultation vidéo. En cas d'urgence, je peux recevoir l'un ou l'autre patient en début de soirée. Mais c'est un peu lourd, du fait des déplacements que ma fonction à l'Académie implique, notamment de conseiller pour la princesse Caroline dans le cadre de la Fondation Prince Pierre de Monaco. Nous y décernons une bourse et un prix littéraire doté de 25.000 euros. En mai, nous nous sommes réunis à Paris, avec la Princesse, des membres de l'Académie française et des Goncourt. Nous nous voyons deux fois par an, à Paris et Monaco. Quel rapport entre la princesse Caroline de Monaco et l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ? Le secrétaire perpétuel est l'un de ses conseillers littéraires, Jacques De Decker le fut avant moi. La Princesse s'entoure de membres de l'Académie française comme feu madame Hélène Carrère d'Encausse, Frédéric Vitoux ou Xavier Darcos, quelques-uns de l'Académie Goncourt, Tahar Ben Jelloun. Philippe Claudel, aussi membre de notre Académie, ou Paule Constant et quatre conseillers hors France: Alain Mabanckou (Afrique), François Debluë (Suisse), Dominique Fortier (Québec) et moi-même. C'est très intéressant, et je suis assez fier d'avoir poussé l'écrivain primé en 2021. Les membres de l'Académie française n'en voulaient pas, au contraire des Goncourt. La Princesse a fait pencher la balance. De qui s'agissait-il? D'Annie Ernaux, prix Nobel de littérature un an plus tard, et que je connais bien. J'aurais aimé qu'elle devienne membre de notre Académie. Les membres du prix Prince Pierre de Monaco seront ici au printemps prochain pour une séance académique. Tout cela est intéressant, mais résulte en beaucoup de lectures, voyages et donc déplacements. En mai dernier, on m'a demandé de devenir juré du prix Alain Bosquet (Gallimard). J'ai beaucoup milité pour qu'on accueille Fatou Diome à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en tant que membre étranger, le 9 décembre prochain. Une femme qui a connu une vie extraordinaire, qui ne pouvait aller à l'école et s'arrangeait pour écouter les cours derrière les portes ou aux fenêtres. Finalement acceptée et ses primaires achevées, elle est partie à Dakar pour ses humanités. Elle faisait des ménages en Gambie pour payer ses études, y compris universitaires. Aujourd'hui, elle enseigne à l'Université à Strasbourg et de Karlsruhe. Je relis toute son oeuvre car je vais prononcer le discours lors de son introduction à l'Académie, en même temps que celle de Jacques Marx. En lisant son oeuvre, on comprend que lorsqu'elle parle, par exemple, de la "petite fille Salie du Ventre de l'Atlantique", que c'est d'elle dont il s'agit.L'écriture reste-t-elle pour vous, à défaut de la médecine, une urgence? Non. L'écriture des autres plutôt, les lire, être à leur écoute. J'attends parfois des années avant de sortir un bouquin. Mon meilleur livre, je le garde, je l'ai depuis dix ans, il s'intitule "Le coeur des faits" mais je ne le publie pas. J'ai dit à ma compagne de le sortir quand je ne serai plus là... Mais bon, je crois qu'il va tout de même paraître avant... (rires)La littérature permet au médecin d'être indiscret? Pour ce qui est de la poésie, il n'y a pas d'interférences. Mes préoccupations en poésie sont essentiellement les mêmes. Une poésie métaphysique, de réflexion, de questionnement autour du silence, de certaines situations qui étaient celles de "La tristesse du figuier", ou de "La nuit amère" paru au printemps qui tourne autour de la Shoah. À mes yeux, il s'agit d'une préoccupation essentielle, mais il ne faut pas être médecin pour cela. S'il est médecin, un romancier peut très bien 'transférer'. La vie du patient est une source d'inspiration inouïe... C'est que m'avait dit François Emmanuel à l'époque... En tant que psychiatre, François Emmanuel entend beaucoup de choses. Ce fut également le cas pour Jacqueline Harpman ou de Lydia Flem, membre chez nous, et psychothérapeute. C'était également le cas d'Henry Bauchau, qui fit également partie de l'Académie. Votre écrivain médecin préféré? François Emmanuel, dont je connais toute l'oeuvre, que j'apprécie énormément. Mais il y en a d'autres comme Tchekhov, j'avoue moins connaître Boulgakov. Conan Doyle bien sûr, dans un autre domaine que le policier. Chez Actes Sud, Hubert Nyssen avait fait paraître un petit volume, "La lanterne rouge", des contes médicaux qui n'ont rien à voir avec Sherlock Holmes. Le titre vient du fait qu'à Londres, les maisons des médecins étaient éclairées le soir avec une lanterne rouge. Y a-t-il beaucoup de poètes médecins ou de médecins poètes ? Il y eut Georges Marlow, évidemment, également Lorand Gaspar, Français mais d'origine hongroise qui était chirurgien à Jérusalem et à Tunis. Son oeuvre est publiée chez Gallimard en collection de poche. On publie de plus en plus de témoignages de médecins sur leur pratique. Comment expliquez-vous cela ?La vie du médecin est tellement riche de ce que nous recevons des autres, des patients. Il y a tellement d'anecdotes dans lesquelles nous pouvons puiser. Ce qu'a fait Georges Duhamel qui a puisé dans ses carnets de vie de médecin et chirurgien pour ses romans. Par rapport à un employé de bureau ou un banquier, nous avons probablement un rapport à la vie et aux autres bien plus riche...